Une baisse ou une hausse de la TVA peut-elle inciter à manger autrement ?
Fruits et légumes, produits laitiers, viande et poisson… Et si les aliments de nos assiettes étaient taxés différemment? Le consommateur pourrait-il réellement changer ses habitudes? Quelles conséquences sur le prix?
Payer moins pour manger mieux? C’était en substance ce que proposait la première ébauche de la réforme fiscale via une modification de la TVA sur les produits alimentaires. Taxer la consommation à un niveau similaire à la Suède aurait permis de réduire de près de 10 milliards supplémentaires la taxation du travail, “tout en restant loin des pays ayant les taux de TVA les plus élevés”, explique l’économiste Etienne de Callataÿ. “En compensant les hausses des prix par une hausse de revenus nets pour les citoyens”, précise Philippe Defeyt, économiste à l’Institut pour un développement durable.
“La proposition initiale consistait en un shift majeur de l’impôt sur le revenu vers des taxes (TVA) sur la consommation, sur des comportements et produits polluants ou sur les produits qui sont mauvais pour la santé”, précise Alexia Bertrand, secrétaire d’Etat au Budget et à la Protection des consommateurs. “Cela aurait été intéressant car la Belgique se distingue par la lourdeur de ses taxes sur les revenus du travail, non pas par ses taxes à la consommation”, ajoute Etienne de Callataÿ. C’était sans compter l’inflation venue perturber le plan initial. “En raison de la forte augmentation des prix au cours des 15 derniers mois, une augmentation globale de la TVA n’était plus aussi évidente”, analyse la secrétaire d’Etat.
Le gouvernement a-t-il manqué l’occasion de diminuer les prix pour le consommateur? Comment définir les produits concernés? Une modification de la TVA peut-elle inciter à consommer autrement? Analyse en trois questions.
1. Le gouvernement a-t-il manqué l’occasion de diminuer les prix pour le consommateur?
Le prix d’abord. En modifiant la TVA sur certains produits, les prix des biens à la consommation pouvaient-ils considérablement varier en magasin? En Europe, l’expérience a déjà été tentée mais de façon peu concluante. L’Espagne, par exemple, a récemment introduit un tarif zéro pour les aliments de base. Pain, lait, fromage, œufs, fruits, légumes, céréales… L’ensemble de ces produits n’est plus taxé à la vente depuis le début de l’année. Initialement mis en place dans le but de freiner l’inflation, le gouvernement espagnol souhaite à présent maintenir cette mesure.
Après cet ajustement de la TVA, les prix dans les supermarchés espagnols ont été partiellement réduits, selon une analyse réalisée par le département de recherche de la Commission européenne. Les prix du fromage, des fruits et des pâtes ont été répercutés sur le consommateur. En revanche, cela n’a été que très partiellement le cas pour le pain et le lait. “Une baisse de la TVA profite généralement très peu aux consommateurs”, précise Etienne de Callataÿ qui ajoute que cela bénéficie davantage aux entreprises qui augmentent leurs marges bénéficiaires. Un exemple belge? Le secteur horeca dont la TVA est passée à 12% contre 21% auparavant. “Peu de Belges ont eu l’occasion de voir se traduire cette diminution de TVA sur les cartes de restaurant”, ajoute Philippe Defeyt.
L’effet d’une réduction de la TVA peut varier considérablement et dépend de nombreux facteurs. Selon la Commission européenne, elle dépend en grande partie de la concurrence sur le marché puisque les acteurs essayent alors de maintenir les prix aussi bas que possible afin de conserver leur part de marché.
Des chercheurs allemands ont également constaté que l’effet était plus important pour les catégories de produits pour lesquelles il y avait un large choix. Il faut également que les consommateurs soient “bien informés de la mesure, de sorte que tant les producteurs que les détaillants soient contraints de répercuter la réduction de la taxe”, note la Commission européenne. “Prenez l’exemple de Coca-Cola qui vend ses produits moins chers en France qu’en Belgique, suggère Etienne de Callataÿ. Cette différence de prix n’a rien à voir avec les coûts de production ou la fiscalité, c’est la disposition des consommateurs à payer le prix pour la boisson qui varie.”
2. Comment définir les produits de base?
La première difficulté qui se pose en matière de consommation est de définir avec précision quel produit doit être concerné – ou pas – par une modification de la TVA. Faut-il exempter de TVA l’ensemble des fruits et légumes quitte à favoriser les produits exotiques ou importés? “Cela signifie donner un coup de pouce fiscal aussi à des fruits exotiques issus de zones déforestées ou des légumes importés sans normes sociales et environnementales”, pointe Philippe Duvivier, président de la Fugea (Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs).
Sans distinction précise d’un panier de base, la mesure n’aurait pas beaucoup de sens mais définir celui-ci est loin d’être évident. Si l’on tient compte de la santé, les champignons, en tant que légumes, profiteraient d’une exemption de la TVA. Mais les truffes ou les pleurotes doivent-ils être détaxés?
“Comme souvent, on se focalise sur des catégories d’aliments sans regarder le modèle de production”, ajoute Philippe Duvivier qui rappelle que la Wallonie compte de nombreux producteurs de viande et de produits laitiers. “Cela signifie que l’on taxerait en premier lieu les produits locaux.”
L’aspect environnemental ne facilite pas non plus la définition précise d’un panier. Par exemple, toute la viande doit-elle être taxée au même niveau? Celle-ci est considérée comme un achat “peu responsable” mais toutes les viandes n’ont pas un coût égal et certaines sont plus gourmandes en ressources que d’autres. C’est le cas du bœuf ou de l’agneau, les viandes dont la production est la plus émettrice de gaz à effet de serre.
“Effectivement, la consommation pollue et certains aliments plus que d’autres”, admet Etienne de Callataÿ qui affirme cependant que la fiscalité ne permet pas de faire une distinction correcte. “Quel incitant faut-il privilégier, l’alimentation saine ou durable?”, s’interroge-t-il.
3. Une modification de la TVA peut-elle inciter à consommer autrement?
Par le biais de la TVA, le gouvernement souhaitait taxer de manière plus lourde les comportements et achats à éviter. “Limiter les hausses de TVA a pour conséquence de limiter les possibilités de récompenser les bons comportements par une baisse de la TVA”, poursuit Alexia Bertrand.
“Réduire la TVA est une ineptie sur le plan budgétaire et social.” ETIENNE DE CALLATAŸ, ÉCONOMISTE
Cependant, la thèse selon laquelle les consommateurs se tourneraient davantage vers les aliments plus sains car plus accessibles est discutée. Les Pays-Bas, par exemple, réexaminent actuellement l’idée de réduire la TVA sur les fruits et légumes après qu’une analyse économique a montré que les réductions de prix sont trop faibles pour inciter réellement les consommateurs à manger plus de fruits et de légumes. “Avec une réduction de 6 à 0%, la différence pour le consommateur n’est pas assez importante, explique Philippe Defeyt. Si le consommateur ne ressent pas les effets de cette diminution à la caisse, cela a peu de conséquence sur ses achats.”
Pour Etienne de Callataÿ, fervent défenseur de la TVA à 21%, la mesure pourrait même être contre-productive. “Réduire la TVA est une ineptie sur le plan budgétaire et social, avance l’économiste. Cela revient à en faire profiter tout le monde alors que seul un petit groupe en a besoin. En d’autres termes, cela coûte cher et c’est inefficace.”
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