L’invraisemblable dérapage budgétaire pour l’achat de 400 blindés français par la Défense


À ce niveau, on ne peut plus vraiment parler de dérapage mais de faillite collective. Le coût pour l’acquisition de 400 blindés français par la défense devrait passer de 1,5 milliard à 14,4 milliards, pointe un rapport confidentiel de la Cour des comptes. Les coûts liés au stockage, à l’entretien ou aux munitions ont été… oubliés par la Défense, révèle la VRT. Cela met évidemment dans l’embarras le nouveau ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA), dont le nouveau budget défense comporte pas mal incertitudes.
L’actuel ministre de la Défense n’est bien sûr pas directement responsable de ce décuplement des coûts. La commande auprès de la France de 382 Griffon et 60 Jaguar, des véhicules et des engins blindés, date de 2018, sous le gouvernement Michel, dont le ministre était toutefois déjà un nationaliste, Steven Vandeput.
Les premiers blindés seront d’ailleurs livrés “au mois de juin”, nous confiait récemment Jean-Michel Girard, le nouvel administrateur délégué de KNDS Belgium, dont la maison-mère s’est vu confier le contrat. Le tout fait partie du programme CaMo, qui vise à renforcer l’interopérabilité entre les armées terrestres de la France et de la Belgique, à l’instar de ce qui se fait déjà au niveau naval avec les Pays-Bas.
Mais désormais, un grain de sable semble s’être glissé entre les gouvernements belge et français. En cause, un rapport de la Cour des comptes qui indique que le coût de ce contrat devrait passer de 1,5 milliard à 14,4 milliards d’euros.

À qui la faute ?
La Défense belge semble avoir complètement raté son travail d’évaluation des coûts. La Cour des comptes donne quelques exemples. Prenez les casernes et les entrepôts dans lesquels ces véhicules blindés devront être stockés. Leur coût n’a pas été pris en compte. “A Léopoldsbourg et à Marche-en-Famenne, ces travaux coûteront 230 millions. Dans la future caserne de Flandre orientale encore à construire, la facture sera là de 225 millions. À Charleroi, il faudra débourser 216 millions d’euros supplémentaires”, écrit la VRT.
Prenez les frais d’entretien. Ils seront de 60 millions d’euros par pendant 25 ans. Facture : 1,6 milliard d’euros. Soit le montant du contrat de départ, souligne la Cour des comptes. Et la liste des manquements est encore longue : munitions, pièces détachées… rien ne semble avoir été correctement anticipé. “La Défense n’a mené aucune analyse formelle des risques“, tacle la Cour des comptes.
La Défense, elle, se justifie, assez maladroitement : “Il s’agit de véhicules blindés entièrement nouveaux, donc nous ne disposions pas encore des données techniques nécessaires pour estimer leur fonctionnement, leur entretien, ou le coût des pièces et des munitions.” Un argument qui ne prend pas auprès de spécialistes. Au niveau de l’armée de l’air, par exemple, tous les coûts du cycle de vie des contrats des F-16, et, tout récemment, des 34 F-35, ont pu largement être évalués.

Retombées économiques
La faillite serait totale. Parce qu’en plus de cette mauvaise évaluation, les retombées économiques pour la Belgique auraient été mal négociées, pointe le rapport. On sait justement que la commande des F-16 a rapporté très gros pour bon nombre d’entreprises de la défense en Belgique, mais également au niveau civil. Ce sera sans doute moins le cas pour les F-35, car la Belgique est arrivée très tard dans la conception des appareils, au contraire des Pays-Bas, par exemple. C’est le fruit d’une longue hésitation politique, déjà sous le gouvernement Michel.
Ici, avec le contrat des blindés, la Belgique aurait “oublié” d’exiger des garanties de retour sur investissement. L’investissement initial de 1,5 milliard d’euros prévoyait des retombées économiques de 910 millions d’euros. Fin 2023, seuls 626 millions d’euros, soit 70 % du montant prévu, ont été obtenus. Mais le contrat ne spécifiait aucune clause en cas d’objectif non-atteint, éclaire la Cour des comptes.
Il était par ailleurs prévu que les tourelles des blindés soient construites par la FN Herstal, mais c’est finalement la France qui les équipera. Aussi, la Belgique n’a pas eu accès aux moyens de communication sécurisés français, écrit la VRT, ce qui remet ici en cause les fondements du programme CaMo. Tout ceci, mis bout à bout, provoque des tensions entre les gouvernements belge et français.
Nouvelles incertitudes
Au total, à près de 15 milliards d’euros, il s’agira tout simplement de l’un des plus gros contrats de l’histoire de la défense. Les regards vers l’armée de terre sont accusateurs : “Ce qu’elle dépense, la marine ou l’aviation ne pourra plus le dépenser”, écrit la Cour des comptes.
Or, on sait que l’Arizona vient de se mettre d’accord pour faire monter le budget de la Défense à 2% du PIB, ce qui le portera à 10 milliards d’euros par an. Si on ne sait pas encore très bien où trouver cet argent, on ne sait pas non plus vraiment comment l’allouer. Dans le document qui a été déposé à la Chambre, vendredi, par le ministre de la Défense, la répartition se faisait comme suit, a appris La Libre :
- 6,3 milliards d’euros, le plus gros, aux moyens de “subsistance” (rémunérations, frais de fonctionnement, etc.)
- 1,9 milliard au matériel
- 1,4 milliard aux entraînements
- 500 millions aux infrastructures.
Dans les 6,3 milliards, 3,7 milliards sont destinés au “crédit prévisionnel”. C’est ici que réside l’incertitude. On sait que le gouvernement fédéral a promis 1 milliard d’euros à l’Ukraine. Le reste irait à des investissements complémentaires sans qu’on en connaisse les aboutissements. Dans sa note de politique générale, Theo Francken évoquait justement l’achat de blindés dans le cadre du programme CaMo. Il était aussi question de munitions en tous genres.
Il reste à espérer que chaque composante de l’armée n’ait pas sous-évalué ses besoins. Sans quoi le budget de la Défense, pourtant sérieusement gonflé, pourrait rapidement devenir étriqué.
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