Alors que le nombre de bénéficiaires du statut BIM dépasse les 2,3 millions de personnes, deux députés de la majorité plaident pour un durcissement des critères d’accès. Mais les scénarios de réforme risquent de toucher des publics sensibles, de l’agriculteur au pensionné propriétaire.
Le statut BIM (bénéficiaire de l’intervention majorée) offre un accès fortement réduit aux soins de santé. Pour ces patients, la consultation chez le médecin généraliste se limite souvent à un euro. Un avantage social majeur, mais dont le coût ne cesse d’augmenter. Le député Daniel Bacquelaine (MR) rappelait récemment dans La Libre que le statut concernait 13 % de la population en 2013, près de 20 % fin 2023, et pourrait – selon les projections qu’il évoque – approcher les 3 millions de bénéficiaires dans les prochaines années.
Un glissement qui pose un problème budgétaire évident, mais aussi un enjeu de financement pour les hôpitaux et les cliniques privées, confrontés à une hausse du nombre de patients bénéficiant d’un remboursement majoré.
On devrait bientôt dépasser les trois millions de bénéficiaires
Qui peut disposer d’un statut Bim ?
Le député Jean-François Gatelier (Les Engagés) y voit également un problème “d’équité sociale”, indiquait-il à nos confrères du Vif, fin octobre. De nombreux médecins disent être surpris de voir certains patients bénéficier du statut BIM alors que leur situation réelle ne semble pas correspondre au public visé. Celui qui est issu de la profession a déposé une proposition pour revoir l’accès au statut BIM.
Pour l’heure, il faut savoir que le statut BIM est accordé automatiquement à différents profils : bénéficiaires du revenu d’intégration (RIS), personnes en situation de handicap, orphelins, etc. D’autres ménages peuvent y accéder sur base de leurs revenus, à condition de ne pas dépasser un plafond annuel : environ 28.000 euros bruts.
L’idée est de réallouer des budgets vers plus d’équité sociale
C’est là que les difficultés apparaissent.
D’une part, les mutualités doivent se baser sur des données fiscales vieilles de deux ans pour vérifier les revenus. D’autre part, elles se basent uniquement sur les revenus bruts imposables, ce qui exclut une série d’éléments pourtant déterminants pour évaluer le niveau de vie réel.
Les mutuelles réalisent aujourd’hui des contrôles complémentaires, mais Bacquelaine et Gatelier veulent aller plus loin : intégrer dans l’évaluation non seulement l’ensemble des revenus du ménage, mais aussi le patrimoine immobilier et mobilier. Une personne disposant d’un faible revenu mais d’un patrimoine conséquent peut, en effet, bénéficier du statut BIM.
Ce débat est le bienvenu, mais pas sûr qu’il se concrètisera…
La boîte de Pandore
“Ce débat est bienvenu”, estime l’économiste Philippe Defeyt. “Oui, si on tient compte de tous les revenus, certaines personnes ou ménages bénéficient d’avantages auxquels ils n’auraient pas droit en toute équité.”
Mais l’économiste met immédiatement en garde face à l’enthousiasme des deux députés. “Je ne suis pas sûr que cette volonté politique se concrétisera dès lors qu’on se rendra compte que des ménages comme des pensionnés indépendants (petite pension mais revenus locatifs) ou une partie des agriculteurs (dont certains revenus ne se retrouvent pas dans l’extrait de rôle) perdront leur statut Bim ou d’autres avantages.”
En d’autres termes, c’est ouvrir la boite de Pandore.
Cinq grandes difficultés
Dans une note qu’il a fait parvenir à Trends-Tendances, Philippe Defeyt recense en effet une série d’obstacles majeurs – techniques, budgétaires et politiques – qui compliquent fortement la mise en pratique des intentions affichées par les deux députés.
- À commencer par la question la plus sensible : quels revenus faut-il réellement prendre en compte ? Aujourd’hui, le calcul repose surtout sur les revenus bruts imposables, ce qui ne reflète qu’une partie du niveau de vie réel. Beaucoup de revenus échappent à l’impôt ou ne sont que partiellement déclarés : revenus mobiliers, loyers réels, aides agricoles, avantages en nature comme les voitures-salaires, ou encore les revenus dégagés via des sociétés de management. Intégrer tout cela, comme le souhaitent Bacquelaine et Gatelier, bouleverserait profondément le système… et ferait inévitablement des perdants.
- S’ajoute une deuxième difficulté : la taille et la composition du ménage, aujourd’hui très mal prises en compte. Le BIM applique une majoration forfaitaire de 5.200 euros par personne supplémentaire, alors que les budgets de référence évaluent le coût réel plutôt autour de 6.400 euros. Résultat : deux ménages au même niveau de vie peuvent être traités différemment selon leur configuration familiale. “C’est un biais énorme et complètement ignoré dans plusieurs dispositifs sociaux”, souligne Defeyt, qui rappelle que les allocations familiales wallonnes ne tiennent absolument pas compte du nombre d’enfants dans l’évaluation des revenus.

- Troisième verrou : l’effet de seuil, décrit comme “implacable”. Un euro supplémentaire peut faire perdre le droit au BIM. Le risque de perdre un avantage significatif pousse certains ménages à refuser un emploi, une augmentation ou un passage à temps plein : un véritable piège à l’emploi. Pour y répondre, il faudrait introduire des barèmes progressifs ou plusieurs niveaux de droits, mais cela compliquerait fortement la gestion administrative.
- Quatrième difficulté : la période de revenus prise en compte. Les revenus utilisés pour déterminer l’accès au BIM datent souvent de deux ans, ce qui ne reflète pas les changements rapides de situation (séparation, perte d’emploi, maladie). Les mutualités peuvent demander des justificatifs plus récents, mais cela reste partiel. Gatelier veut fonder le système sur la “situation matérielle réelle” du ménage, mais cela supposerait une coordination renforcée entre le SPF Finances, les mutualités et la Banque Carrefour de la Sécurité sociale.
- Enfin, cinquième point : l’équité horizontale, c’est-à-dire l’équité entre ménages au niveau de vie similaire. Defeyt souligne que certains ménages cumulent plusieurs aides en raison d’une structure de seuils mal calibrée, tandis que d’autres, au revenu par unité de consommation équivalent, n’y ont pas droit. Une incohérence qui alimente le sentiment d’injustice sociale.
Les pistes à creuser
Pour sortir de ce “fouillis d’aides conditionnelles”, Philippe Defeyt avance plusieurs pistes.
D’abord, tenir réellement compte de tous les revenus, y compris les revenus mobiliers, les loyers réels ou imputés, les avantages en nature et certaines aides aujourd’hui non déclarées. Dans le cas des propriétaires occupants, il propose de réévaluer le revenu cadastral pour le rapprocher du revenu locatif réel, tout en déduisant le prêt hypothécaire — ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ensuite, mieux intégrer la taille et la composition des ménages, en se basant sur les budgets de référence plutôt que sur les barèmes actuels, largement sous-évalués. Cela impliquerait d’augmenter fortement les montants pris en compte par personne supplémentaire, avec un effet budgétaire important, mais une plus grande cohérence sociale.
Troisième piste : limiter les effets de seuil en introduisant plusieurs tranches de droits, en prolongeant temporairement les avantages au-delà du plafond ou en utilisant des mécanismes progressifs (comme dans le logement social, où le loyer est proportionnel au revenu).
Enfin, Defeyt plaide pour une centralisation et une harmonisation des données via la Banque Carrefour de la Sécurité sociale, afin d’utiliser les revenus les plus récents possibles et d’éviter les incohérences entre dispositifs wallons, fédéraux et communautaires.
Politiquement sensible
Mais même avec ces pistes, réformer le statut BIM reste un dossier hyper sensible, car il toucherait à des profils électoraux que le MR et Les Engagés n’ont sans doute pas envie d’embêter. De plus, une meilleure prise en compte des revenus suppose une collecte de données beaucoup plus intrusive. Pas sûr non plus que les électeurs des libéraux et des centristes apprécient.
Daniel Bacquelaine veut déposer à son tour une proposition de loi pour modifier les conditions d’accès au statut BIM. Mais ne s’interdit aucun débat plus profond : tant sur le Maximum à facturer, qui protège les plus précaires, que sur le Ticket modérateur, qui n’a plus été indexé depuis deux décennies.