Le bon d’Etat à un an à précompte réduit est-il une bonne chose ?
Essayons de nous y retrouver dans la jungle des arguments pour ou contre les « bons Van Peteghem ». Quelles critiques sont justifiées et lesquelles ne le sont pas ? Trends Tendance répond aux quatre grandes questions que posent le possible lancement, en mars, d’un nouveau bon d’Etat à précompte réduit.
L’Etat va bientôt lancer ses bons d’état en mars. Cette nouvelle initiative du ministre des Finances Vincent Van Peteghem a suscité énormément de commentaires d’économistes défendant la position de la trésorerie de notre grand argentier contre les critiques qui ont été émises notamment par la secrétaire d’Etat Alexia Bertrand.
Nous allons essayer de voir quelles critiques sont justifiées et lesquelles ne le sont pas, en répondant aux quatre grandes questions que posent le possible lancement, en mars, d’un nouveau bon d’Etat à précompte réduit après celui de septembre qui avait récolté près de 22 milliards d’euros.
Avec ce bon d’Etat, l’Etat se finance-t-il meilleur marché ?
Oui, parce qu’il paie aux particuliers un coupon qui est un peu en dessous de celui qu’il paie aux investisseurs institutionnels. En septembre dernier, par exemple, l’Etat avait émis son bon à un an à un taux brut de 3,30%, alors que le certificat du trésor (les instruments destinés aux professionnels) procurait un rendement de plus de 3,6%. Et ce mardi, la Trésorerie a annoncé que le prochain bon d’Etat de mars aurait un coupon de 3%, alors que, sur le marché secondaire, les certificats du trésor rapportent 3,5%.
Mais s’il faut tenir compte de tous les frais qu’une telle opération nécessite, l’atout des bons d’Etat se réduit. Car l’Etat doit payer une commission aux banques qui distribuent cet instrument, il doit organiser un marché secondaire pour que les particuliers puissent revendre avant terme leurs bons s’ils le veulent, et il doit gérer les détachements de coupons et les paiements de ceux-ci.
Il reste qu’il y a un réel avantage à ce que l’Etat s’adresse aux particuliers pour se financer, car il diversifie ainsi ses sources de financement. On l’a vu en 2011, quand le marché a voulu spéculer contre la dette belge. L’Etat s’est alors tourné vers le particulier, en émettant les fameux bons Leterme à précompte réduit. Les épargnants ont répondu présents, et la spéculation s’est immédiatement arrêtée.
L’Etat ne ferait-il pas mieux d’emprunter à long terme ?
C’est l’argument que la secrétaire d’Etat au Budget Alexia Bertrand oppose au ministre des Finances Vincent Van Peteghem. En effet à l’heure actuelle, la courbe des taux est inversée. Cela signifie que les taux à court terme sont plus élevés que les taux à long terme, c’est-à-dire les taux à 5 ou 10 ans. Pour être précis, la courbe a même la forme du sigle Nike : on paie un taux d’intérêt de 4,5% à très court terme, de 3,5% à 1 ans, de 2,7% à 5 ans, de 3% à 10 ans, et de 3,4% à 20 ans…. Donc, emprunter à 5 ou 10 ans coûte moins cher qu’emprunter à 1 an. Cela s’explique parce que si à long terme les investisseurs s’attendent à ce que l’inflation revienne à la normale dans quelques années, elle ne l’est pas encore. Or, le taux pour emprunter à dix ans est la moyenne des taux à un an que les investisseurs anticipent pour ces dix prochaines années.
Mais dire qu’il vaudrait mieux emprunter aujourd’hui à dix ans qu’à un an n’est pas correct, car personne ne peut dire avec certitude quels seront les taux dans 1,3, 5, 10 ou 15 ans. Il vaut donc toujours mieux diversifier, et emprunter à toutes les échéances pour limiter les risques. Si l’on s’arrête ici, l’argument d’Alexia Bertrand ne tient pas.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. D’abord parce que lorsque l’on gère la dette de l’Etat, il vaut mieux avoir beaucoup d’emprunt à long terme afin de ne pas être surpris si jamais, pour une raison ou l’autre, les taux à court terme se mettent à flamber. Ainsi, la durée moyenne de la dette de l’Etat en juin dernier était de 10 ans environ.
En outre, les besoins de financement de l’Etat, c’est-à-dire l’argent que le Trésor doit emprunter pour rembourser les anciens emprunts qui arrivent régulièrement à échéance et pour payer le déficit public, sont d’un peu plus de 40 milliards d’euros par an. Les 22 milliards engrangés en septembre dernier ne sont donc pas nécessairement une bonne opération pour l’Etat, car ce dernier a trop emprunté à court terme. Il a en quelque sorte déséquilibré le bateau. Et il doit penser à rembourser cette masse de 22 milliards en septembre prochain, ce qui n’est pas anodin. Remettre le couvert en émettant à nouveau à court terme en mars (avec un bon à trois ans, mais surtout un bon à un an que le ministre veut avantager) ne résout donc pas ce problème de gestion de risques de taux. Et là, Alexia Bertrand a raison.
Le précompte à 15% est-il mauvais pour l’Etat ?
Pour l’Etat, permettre aux détenteurs d’un bon à un an de ne payer que 15% de précompte plutôt que 30% est à première vue un cadeau aux épargnants. Mais c’est oublier que la grande masse de l’épargne qui est venue investir dans ces bons à précompte réduit provient du livret réglementé, qui lui est exempté de précompte. Ces 15% de précompte semblent donc finalement amener des recettes supplémentaires à l’Etat.
Mais est-ce que cet instrument à précompte réduit est une concurrence déloyale pour les banques ? La réponse est nuancée. Les banques n’ont en effet pas à se plaindre car elles bénéficient depuis des lustres de dépôts attirés par l’exemption de précompte dont bénéficient le livret. Dans les faits, c’est un peu plus compliqué, car si l’Etat crée un nouvel instrument d’épargne pourvu d’un avantage fiscal venant ponctionner les dépôts des épargnants, ce n’est pas sans effet sur le système bancaire. Et cela nous mène à la dernière question.
Ce bon à précompte réduit risque-t-il de déstabiliser les banques ?
Il y a un risque, en effet, de fragiliser certains établissements. Parlons d’abord du risque que les banques manquent de liquidités pour faire leur business. Plusieurs économistes ont répondu que ce risque n’existait pas, arguant, avec raison, que les banques ont relativement bien supporté le choc de septembre dernier. Mais si l’on regarde d’un peu plus près, certaines banques de taille moyenne ont quand même ressenti le choc assez douloureusement. Et si l’on ancre dans l’esprit de l’épargnant que le livret n’est plus l’instrument d’épargne par excellence, les liquidités vont continuer à quitter la mare bancaire. Si les banques doivent aller chercher leurs liquidités ailleurs, elles paieront davantage, et elles rehausseront donc, pour conserver leurs marges, le taux des prêts qu’elles octroient.
Mais on dira, avec raison encore : les banques peuvent faire un effort, leurs résultats sont florissants. Cependant, ces beaux résultats reposent en partie sur le plantureux cadeau que leur offre la BCE en rémunérant leurs liquidités excédentaires à 4%. Les banques belges ont ainsi déposé plus de 180 milliards auprès de la BCE, ce qui leur procure donc plus de 7 milliards d’euros de recettes, en se tournant les pouces. Certes, la moitié de cette somme provient de banques dépositaires internationales, comme Euroclear ou Bank of NY. Mais il reste donc que les banques commerciales belges « classiques » reçoivent grosso modo, si le taux de 4% se maintient, plus de 3,5 milliards d’intérêts par an en provenance de la BCE.
Mais ce n’est pas parce que l’on donne un cadeau indu d’un côté qu’il faut retirer de l’argent de l’autre. La solution la plus simple consiste simplement à ne plus faire de cadeau. Car ici aussi, une banque n’est pas l’autre. Certaines banques ont placé pas mal de liquidités auprès de la BCE, d’autres beaucoup moins. Car un modèle d’affaire n’est pas l’autre.
En résumé.
Pour la gestion de la dette publique, un bon d’Etat à un an précompté à 15% a l’avantage de signifier au marché, comme en 2011, que l’épargne belge est prête à financer l’Etat à des conditions relativement avantageuses.
Mais il a aussi un inconvénient : au vu des opérations déjà menées, et celles qui se profilent, il n’est pas neutre, notamment en termes de gestion de risque de taux, de concurrence avec les autres instruments d’épargne, et de stabilité du système bancaire, car certains petits établissements risquent de souffrir d’une fuite des dépôts si le Trésor continue à réorienter vers lui une partie de l’épargne liquide des particuliers.
Pour le paysage financier, multiplier les émissions d’un bon d’état à un an à précompte réduit n’est donc ni inodore, ni incolore.
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