La Belgique vit au-dessus de ses moyens. Les partis politiques qui forment l’Arizona avaient largement porté ce message durant la campagne et ils ont été plébiscités aux élections. Le coût du vieillissement, en ce compris les pensions, est devenu impayable. Le ministre des Pensions, Jan Jambon (N-VA), doit coucher sa réforme, mais provoque l’ire des magistrats et des professeurs d’université, qui ne veulent visiblement pas participer au fardeau.
C’est un syndrome désormais bien connu dans les pays endettés. Si la nécessité d’un grand effort budgétaire est de plus en plus acceptée, il devrait d’abord se faire chez les autres. L’Arizona a prévu de réduire les dépenses publiques de 16 milliards d’euros d’ici la fin de la législature, et forcément, tout le monde espère que la foudre tombera à côté. C’est le phénomène NIMBY : not in my backyard.
Un premier coup de semonce est intervenu lors de l’accord de Pâques. Il a initié plusieurs mesures de la réforme des pensions. L’Arizona a d’abord décidé de limiter l’indexation des pensions d’un montant supérieur à 5.250 euros brut. Ensuite, dans sa volonté de faire converger les pensions, quel que soit le statut (employé, indépendant et fonctionnaire), le gouvernement a prévu de mettre fin à certains mécanismes qui valorisent les pensions des fonctionnaires. C’est le cas pour le calcul de leur pension qui se fait sur base du salaire des 10 dernières années de carrière. Dorénavant, ce calcul tiendra compte de toute la carrière, comme pour les autres statuts.
Le bras de fer
Après la grogne des recteurs et des professeurs d’université, c’est au tour de la magistrature d’exercer une énorme pression sur le gouvernement fédéral. Elle menace notamment de mettre fin à la suspension de la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement. Cet arrangement avec la ministre de la Justice permettait de reporter des peines de prison pour éviter d’aggraver la problématique de surpopulation carcérale.
Des délégations avaient déjà rencontré Annelies Verlinden (cd&v) et Jan Jambon. Vendredi, des représentants de la magistrature sont allés livrer leurs doléances au député fédéral Ismaël Nuino (Les Engagés). Ils semblent avoir été entendus. Le député ira demander au ministre des pensions de ne pas toucher à la pension des magistrats, a appris La Libre.
“Je ressens une véritable tension au sein de la magistrature, qui a été particulièrement heurtée, explique le député fédéral. Cette réforme est, pour les magistrats, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les manques de moyens sont nombreux, ils le dénoncent avec force depuis longtemps tout en continuant à mener leurs missions. Dans un tel contexte, ils ont donc vécu cet épisode comme un affront, parce qu’ils estiment ne pas avoir été entendus, et que la décision concernant les pensions a été prise sans concertation préalable. Il faut pouvoir entendre que cela les a gênés.”
Mises bout à bout, les mesures pourraient raboter de 30 à 40% la pension des magistrats pensionnés, a évalué le Collège du ministère public.
Exemptions ?
“Finalement, un peu d’écoute et de bon sens! Il faut effectivement retirer l’Ordre judiciaire de ce package et négocier une part juste qui tient compte de l’effet cumulé de toutes les mesures”, s’est réjoui Frédéric Van Leeuw, procureur génération près de la Cour d’appel de Bruxelles. Le magistrat évoque également la perte d’attractivité du métier et le possible “l’exode” des meilleurs profils, si les attaques de l’Arizona devaient passer.
Cet argument de l’attractivité avait aussi été utilisé par la rectrice de l’Université de Liège, Anne-Sophie Nyssen, dans une interview accordée au Soir, la semaine dernière : “L’attractivité du métier des chercheurs et académiques est notamment basée sur le niveau des futures pensions. Nous avons des carrières assez tardives, car elles débutent avec une thèse de doctorat, puis des séjours à l’étranger en postdoctorat, puis il y a les différentes étapes du parcours. À côté de cela, nous acceptons des salaires, qui à responsabilité égale, sont bien moindres que dans le privé, un secteur privé où il y a aussi un second pilier de pension financé par l’employeur. Rien de tout cela ici. En changeant les règles des pensions, le gouvernement rompt l’équilibre construit sur une carrière.”
Personne ici ne doute de la validité des arguments des uns et des autres. Mais à politique inchangée, le déficit de la Belgique atteindrait 6% du PIB en 2029, soit 43 milliards d’euros. C’est au moins 20 milliards de trop. Le principe de l’effort budgétaire, c’est qu’il soit porté par tous, sans exceptions. Tant en matière de réforme fiscale – “les épaules les plus larges” – qu’en matière de pension. Y compris quand on a une retraite à 5.000 euros.