Fuites en cascade de la super-note Arizona : à qui profite le crime ?

Bart De Wever - BELGA PHOTO DIRK WAEM
Baptiste Lambert

Après la parenthèse communale, les négociations fédérales ont repris le devant de l’actualité politique. Presque immédiatement, dès la semaine dernière, le document de travail de Bart De Wever a fuité dans la presse. C’est une pratique courante, mais qui peut provoquer certaines tensions. Fin août, c’est à partir de ces fuites que l’Arizona a commencé à dérailler.

Mercredi dernier, les négociateurs de chaque parti et leurs sherpas recevaient l’agenda des prochaines négociations, ainsi que la dernière version de la “supernota” du formateur, Bart De Wever (N-VA). Il n’a fallu que quelques heures pour qu’une partie de son contenu soit dévoilée dans Le Soir. On y apprenait que le parti nationaliste débarquait enfin avec des revendications communautaires, qui étaient étrangement absentes auparavant. Au menu : la régionalisation de plusieurs institutions fédérales touchant aux “établissements scientifiques fédéraux”, comme la Bibliothèque royale, l’Institut des sciences naturelles ou l’Institut royal de météorologie. “Voilà la météo régionalisée !”, s’époumonait déjà l’opposition.

Il figurait surtout dans la note, la volonté de responsabiliser financièrement davantage les entités fédérées. Un dernier volet concernait la fin des emplois statutaires dans la fonction publique, comme cela vient d’être décidé au niveau wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Marché du travail, fiscalité et pension

Dès le lendemain, une autre partie de la note tombait dans l’escarcelle de La Libre, qui révélait les volets liés aux pensions, à la fiscalité et au marché de l’emploi. Avec du neuf par rapport à la dernière version de l’été dernier. Par exemple, pour augmenter l’écart entre l’activité et l’inactivité, il est question d’établir un cadastre des avantages sociaux et de les plafonner en fonction du revenu minimum d’une personne sur le marché du travail. Le but est toujours de créer un écart de 500 euros entre un travailleur et un bénéficiaire d’allocations.

En matière de fiscalité, on retrouve encore une quotité exonérée d’impôt revue à la hausse, qui passerait de 10.570 euros à 12.000 euros. Tout comme une révision des tranches d’impôt, avec cette fois la suppression pure et simple du taux le plus élevé de 50%, la création d’un nouveau taux de 35% et l’élargissement des taux de 25 et 40%. En termes de revenus mobiliers, il est question de les regrouper sous un panier commun où ils seraient taxés au même niveau, après exonération d’une première tranche au montant encore inconnu. Bart De Wever veut également s’attaquer à plusieurs niches fiscales (RDT, carte essence, etc.) et remet sur la table la taxe de 10% des plus-values d’actifs financiers, sans rétroactivité sur les gains historiques.

Enfin, au niveau des pensions, le but est toujours de rapprocher les différents statuts. Le calcul de la pension du fonctionnaire serait progressivement modifié pour se calquer sur celui des employés. Concrètement, le montant de la pension du fonctionnaire se fait sur base des émoluments des 10 dernières années, alors que celui de l’employé se fait sur base des montants de l’ensemble de la carrière. La super note veut changer ça. Par ailleurs, les périodes assimilées, qui rentrent en compte dans le calcul d’une carrière, seront durcies. De sorte que l’inactivité soit moins avantagée. “Aujourd’hui, un tiers des droits à la pension se fonde sur des périodes non travaillées”, est-il écrit dans la super note.

Sécurité, revenus locatifs, indépendants

À partir de là, c’est devenu la foire aux fuites. Notamment dans De Tijd, L’Echo et HLN. Il fut question de fusion des zones de police à Bruxelles et du renforcement de la police locale, ce dont les communes ne se plaindront pas.

Au niveau des revenus immobiliers, une révision de la taxe sur les revenus locatifs est aussi sur la table. Sans doute revue à la hausse, mais sans précision sur le nombre de propriétés.

Et la fuite du jour concerne les indépendants, dans L’Echo : ceux-ci pourraient déduire 10% des bénéfices ou des revenus professionnels jusqu’à 100.000 euros, avec un maximum de 10.000 euros. Soit une sorte de déduction forfaitaire des frais professionnels, comme elle existe pour les salariés.

Rupture de confiance

Politiquement, ces fuites en cascade soulèvent évidemment des questions. Car elles peuvent ruiner la confiance entre les partenaires. C’est d’ailleurs une réalité : l’Arizona est beaucoup moins homogène qu’on ne le dit. La méfiance est de mise depuis l’exercice avorté de la fin de l’été. À l’époque, ces fuites ont offert de munitions gratuites à l’opposition qui a pu choisir à sa guise un angle d’attaque avant les élections communales. Les partis qui négocient auront beau dire qu’il ne s’agit pas d’accords définitifs, mais de simples documents de négociation, le ver est déjà dans la pomme.

En coulisses et dans la presse, on peine à trouver les mots pour dénoncer ce genre de pratiques. Mais la question de savoir s’il ne s’agit pas de mécontentements feints est entière. Car beaucoup se prêtent au jeu. Tantôt pour dévoiler au grand jour la trop grande emprise de la N-VA sur les négociations. Tantôt pour tester une mesure auprès de l’opinion publique ou de groupes d’influence. Tantôt pour acculer un partenaire.

Mais plus fondamentalement, les fuites ne veulent dire qu’une chose, si elles émanent de certains négociateurs : la volonté de ne pas arriver à un accord, ou en tout cas, pas trop rapidement.

À qui profite le crime ?

Autour de la table, deux “usual suspects” : Vooruit et le MR, soit les deux partis aux antipodes de l’Arizona. En septembre dernier, leur confrontation sur les réformes fiscales, et la taxation des plus-values en particulier, a fait couler la première tentative de De Wever. Logiquement, on assisterait aujourd’hui à la même confrontation. Le formateur, qui n’est pas né de la dernière pluie, saurait d’ailleurs très bien qui sont les auteurs de ces fuites. Car, fin joueur, il adresserait des “super notes” légèrement adaptées aux différents négociateurs, explique une source à la newsletter politique W16. De sorte que les auteurs soient immédiatement repérés.

Objectivement, Vooruit, seul parti de centre-gauche de cette coalition, est le parti qui a le moins à gagner dans cette Arizona. Il a une bonne raison de retarder l’échéance et de durcir le jeu. Et pourquoi pas faire revenir dans les négociations le PS, qui a plutôt résisté lors des communales. Si Vooruit n’y arrive pas, il vendra chèrement sa peau, quoi qu’il arrive.

Du côté du MR, on ne veut certainement pas revoir les socialistes francophones revenir au centre du jeu. Mais tout le monde aura noté que sur le plan fiscal, cette nouvelle version de la “super-note” est encore plus dure vis-à-vis des niches fiscales. Par ces fuites, le MR dévoilerait simplement pourquoi il a rechigné et rechigne encore à donner son blanc-seing, pour éviter de se faire accuser à tort et de porter le valet puant. Plus cyniquement, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une stratégie plus large de Georges-Louis Bouchez, qui n’a jamais caché sa volonté d’accéder au 16. Un poste pour lequel De Wever ne jouera pas sa vie.

Une dernière option peut expliquer l’origine des fuites. Elle pointe vers certains groupes d’intérêts qui consultent également les notes, nous précise une source au sein des négociations. Et là encore, les yeux se tournent vers le MR où l’information est difficilement cadenassée.

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