Bruno Colmant: “Le projet de réforme fiscale n’est pas favorable au MR et soulève des questions fondamentales”

Bruno Colmant met en garde.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

“Pour le MR, c’est problématique. C’est une négation de ce qu’il avait promis: baisser les impôts pour stimuler la croissance économique”, dit l’économiste. Evoquant la taxation des plus-values, il précise: “Ce serait la première fois que l’on taxerait la substance du capital de manière généralisée, ce serait une évolution super importante.”

L’économiste Bruno Colmant, membre de l’Académie royale, explique combien la réforme fiscale envisagée par les partis de la future Arizona est loin d’être anecdotique. Elle n’est pas favorable au MR en l’état, dit-il, mais soulève surtout d’autres questions plus fondamentales. Entretien.

L’épure fiscale qui se trouve dans la “super note” du formateur Bart De Wever est-elle préjudiciable pour le MR?

Il y a un élément favorable pour lui, c’est l’allégement de la fiscalité sur le travail, mais tous les partis étaient demandeurs à ce sujet. Par contre, l’alourdissement de la fiscalité sur les valeurs mobilières ne lui serait pas favorable. En réalité, on ne peut taxer que les plus-values cotées en bourse. En d’autres termes, on s’en prend au rentier qui a décidé de placer ses économies dans du capital à risque.

Cela va toucher la classe moyenne. Les grandes familles qui ont de grandes participations de contrôle dans les entreprises ne les vendent jamais, elles les transmettent par donation. Dans ce cas, il n’y a pas d’encaissement par plus-value. Cela touchera essentiellement l’épargnant moyen. Pour le MR, c’est problématique. C’est une négation de ce qu’il avait promis: baisser les impôts pour stimuler la croissance économique.

Ce qui aurait plus de sens et qui serait acceptable pour le MR, c’est que l’on taxe les plus-values de 10%, mais que l’on baisse le précompte mobilier. Ce serait plus équilibré. Ou alors, que l’on taxe les plus-values réalisées à court terme, avant trois ans.

Mais cela va induire une série d’autres conséquences.

C’est-à-dire?

Par exemple, les gens qui font gérer leur portefeuille par des banquiers vont leur dire qu’ils ne veulent plus de Sicav par capitalisation, parce qu’un jour ou l’autre, ils faut les vendre et faire une plus-value. On demandera en réalité de ne plus trop faire tourner les portefeuilles ou de faire des moins-values pour compenser, dans certains cas. Toute la structuration du patrimoine risque d’être modifiée.

Certaines personnes vont peut-être décider de vendre leurs titres pour mettre leur argent en dépôts d’épargne.

Ce qui va a l’encontre de mobiliser l’épargne des Belges?

Tout à fait. Prenez une entreprise qui se met en bourse pour la première fois, c’est une volonté de faire appel à du capital à risque. Cela peut décourager des porteurs.

La philosophie de la taxation belge, c’est que l’on taxe le revenu: ce n’est pas pour rien que l’on parle du Code de l’impôt sur le revenu. On ne taxe pas la substance d’un capital, à quelques exceptions près. Ce serait la première fois qu’on le ferait de manière généralisée, ce serait une évolution fiscale super importante.

On ne mesure pas, à mon sens, tous les effets de corrélation, ce que l’on appelle les comportements adaptatifs.

Mais si l’on parle de tax-shift, il est inéluctable de le faire, non?

Oui, mais on pourrait aussi globaliser les revenus mobiliers, plutôt que d’avoir un précompte libératoire, par exemple.

Ce n’est pas tout. Lorsque l’on décide de revoir les barèmes de l’impôt sur le travail, en détaxant une partie, cela pourrait aussi avoir des effets collatéraux. Un travailleur actif sous le statut de SPRL ou SRL pourrait décider de le faire autrement, diminuant l’impôt des sociétés. Des entreprises pourraient décider de diminuer le salaire brut pour leurs nouveaux employés, pour obtenir le même net qu’auparavant.

La volonté de supprimer le quotient conjugual, si elle se confirme, pourrait également décourager des couples de travailler ensemble et mettre à mal le petit commerce.

Ce tax-shift porterait apparement sur 8,5 milliards d’euros. C’est énorme. A-t-on fait une étude d’incidence ou est-ce le seul fruit d’une négociation politique? Je reste dubitatif par rapport à la simplicité apparente des choses. La seule institution qui pourrait calculer cela, c’est le Bureau du Plan, mais je ne pense pas qu’il soit impliqué.

Le contexte politique tendu d’une telle négociation n’est pas l’idéal?

Non, parce que cela demande qu’on fasse tourner des scénarios. Quand Charles Michel avait fait son tax-shift en détaxant le premier emploi, cela avait créé des effets d’aubaine et coûté plus d’argent que cela n’en avait rapporté.

La fiscalité, c’est quelque chose de très compliqué: aucune niche fiscale n’est le fruit du hasard. Cela ne peut pas être revu sans considérer toutes les variables.

En trois jours, pour débloquer la négociation politique, risque-t-on de faire pire que bien?

Le risque, c’est d’avoir une réforme qui représente ce qu’aucun parti n’avait promis avant les élections.

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