Faut-il craindre une hausse des taxes communales?
Alerte sur les finances communales. Le poids des crises et les coûts du personnel, de l’aide sociale et des pensions des statutaires plongent les budgets dans le rouge. Si bien qu’on est en droit de se demander si la seule issue des communes ne serait pas d’augmenter leurs taxes.
Vous avez sans doute déjà lu quantité d’articles qui vous dressent le bilan peu flatteur des finances publiques, que ce soit au niveau fédéral ou régional. Mais c’est oublier que les communes ont subi les mêmes crises. Avec cette particularité : les communes sont comme les ménages, elles sont tenues de présenter un budget à l’équilibre. Elles ne peuvent pas s’endetter pour leurs dépenses ordinaires. Sans quoi elles doivent faire appel au Fonds régional bruxellois de refinancement des trésoreries communales (FRBRTC), à Bruxelles, ou au Centre régional d’aide aux communes (CRAC), en Wallonie.
Le bilan financier des communes vient d’être objectivé par la Banque Belfius, qui s’est fendue d’une large étude sur les finances publiques. Premier constat : la situation des communes bruxelloises est pire que celle des communes wallonnes. À Bruxelles, 11 communes sur 19 sont actuellement sous plan de gestion, soutenues par le FRBRTC. Une sacrée contrainte : “Elles doivent rendre des comptes à la Région bruxelloise et un inspecteur vient contrôler toutes leurs dépenses pendant 20 ans”, précise Arnaud Dessoy, directeur des études sur les finances publiques chez Belfius. En d’autres termes : elles perdent une partie de leur autonomie, pourtant inscrite dans la Constitution.
De leur côté, les communes wallonnes ont mieux résisté. Mais souvent “de manière artificielle, puisqu’elles ont pu compter sur le plan Oxygène”, explique Julien Flagothier, conseiller en Finances publiques à l’Union des Villes et Communes de Wallonie. Ce plan a permis, dans bien des cas, de combler les déficits. Les plus grandes difficultés sont généralement rencontrées “dans les grandes villes et les petites communes”, précise l’expert. En tout, selon les données du CRAC, 67 communes wallonnes sur 262 restent sous le joug financier de la Région.
“La Wallonie, c’est 3,6 millions d’habitants. Si on ne prend que les communes et les CPAS, on est déjà à plus de 500 organisations.” – François Desquesnes (Les Engagés)
Le poids du personnel et des pensions
Ce n’est pas la crise sanitaire qui a le plus plombé le budget des communes, mais l’inflation. Les communes bruxelloises et wallonnes ont été confrontées à une hausse inédite des charges de personnel, qui représentent un peu plus de 40% de leurs dépenses ordinaires. L’indexation a fait très mal, avec 10 dépassements de l’indice pivot au cours de la législature.
Mais l’élément qui inquiète tous les élus locaux est la charge des pensions du personnel statutaire. Explications : les pensions des agents communaux statutaires fonctionnent en vase clos, c’est unique en Belgique. C’est aux communes d’en assurer la viabilité financière. Le problème, c’est que la masse critique de fonctionnaires nommés qui doit cotiser est de plus en plus réduite, car ils sont de plus en plus remplacés par des contractuels (qui dépendent du régime général des pensions). La conséquence, c’est que les communes doivent mettre la main au portefeuille de plus en plus régulièrement.
L’élément qui inquiète tous les élus locaux est la charge des pensions du personnel statutaire.
Le poids des CPAS
Cette charge des pensions est une bombe prête à éclater. D’autant que tous les autres postes de dépenses sont dans le rouge vif. C’est le cas des charges sur la dette, pour les dépenses extraordinaires (investissements), qui pèsent sur les communes de manière croissante, mais aussi et surtout, des dotations aux zones de police et aux CPAS.
La dotation aux CPAS, deuxième poste de dépenses à Bruxelles, et troisième en Wallonie, derrière les frais de fonctionnement, mérite une attention particulière. Car avec la limitation des allocations de chômage à deux ans, envisagée très sérieusement par les négociateurs fédéraux, un nombre important de chômeurs exclus glisseront vers le revenu d’insertion (RIS).
Les CPAS wallons estiment cet arrivage entre 17.000 et 34.000, sur 52.000 personnes concernées. À ce stade, la note de Bart De Wever envisage une compensation de 200 millions d’euros à l’échelle du pays, en faveur des organismes locaux.
La fédération évalue le coût de cette réforme “entre 71 et 219 millions d’euros, rien que pour la Wallonie”. Et c’est sans compter les besoins en personnel supplémentaire, “car on nous demande aussi une mission d’accompagnement et d’activation, dans les 30 jours, de ces bénéficiaires supplémentaires”, précise Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS. Dans un précédent cadastre, la fédération estimait déjà ses besoins en personnel à 800 personnes, sans la réforme.
Tout ceci alors que la situation budgétaire des CPAS est déjà très compliquée. Les crises à répétition ont nécessité une intervention accrue des centres publics d’action sociale. En Wallonie, l’ensemble des aides sociales a progressé de 7,9% par an, contre 8,4% à Bruxelles au cours de la législature écoulée. La dotation aux CPAS représente 309 euros par habitant en Wallonie et même 411 euros à Bruxelles.
Hausse des taxes à Bruxelles
Ce long constat dressé, on en vient à la question qui fâche : comment faire face à la montée des coûts ? Au sein de la Déclaration de politique générale wallonne, l’accent a clairement été mis sur la rationalisation, la recherche d’efficacité et, in fine, la réduction des coûts. Il ne faut donc pas s’attendre à voir les dotations et subsides (Fonds des communes) augmenter subitement. Cette raréfaction de l’argent régional pourrait pousser les communes à augmenter leurs recettes par leurs propres moyens : l’impôt local.
À Bruxelles, 52% des recettes proviennent de la fiscalité communale, en Wallonie 45%. On y retrouve les parts réservées aux communes sur le précompte immobilier et l’IPP, le reste émane de taxes locales propres (déchets, débits de boisson, surface de bureau, etc.). Le premier levier fiscal représente 776 euros par habitant et par an à Bruxelles contre 344 euros en Wallonie. Le deuxième, respectivement, 241 euros et 341 euros. Les autres taxes, en moyenne, sont évaluées à 312 euros par an à Bruxelles et à 241 euros en Wallonie.
Au sud du pays, durant la législature écoulée, il est à souligner que les taux d’imposition dans les communes wallonnes sont restés stables, au contraire des communes bruxelloises. Mis à part un ajustement à la hausse en 2020, “très peu de communes ont procédé à des modifications de leur imposition les années suivantes” en Wallonie, souligne Arnaud Dessoy.
Une sorte de tax shift s’opère à Bruxelles où le précompte immobilier prend progressivement plus de poids que l’IPP. Ainsi, durant la législature écoulée, 11 communes ont appliqué un nombre de centimes additionnels plus élevé au précompte immobilier. Par contre, neuf communes ont procédé à une diminution du taux d’imposition communal à l’IPP. Quant à la fiscalité locale, elle a progressé de 5,4%, rien qu’en 2024. Au global, la pression fiscale est plus élevée à Bruxelles qu’elle ne l’était en 2018.
Plusieurs raisons l’expliquent. Les communes bruxelloises n’ont pu compter sur un plan Oxygène. Ensuite, un accord social a également participé à augmenter les coûts de personnel pas totalement compensés par la Région. Il faut aussi y ajouter une indexation moins importante du Fonds des communes et des coûts propres aux grandes villes, comme le poids dans le budget de la sécurité et de l’aide sociale.
Les communes sont-elles à l’os ?
Pour améliorer leur situation financière, les communes n’ont pas 36 leviers, mais quatre : augmenter leurs recettes ordinaires/extraordinaires ou diminuer leurs dépenses ordinaires/extraordinaires. Le premier consiste à augmenter les impôts, ce que n’envisagent que 11% des élus locaux interrogés par Belfius. Pas très étonnant, à quelques encablures des élections. “Si les communes se sont appauvries, il en va de même pour les citoyens. Faire peser sur eux l’assainissement budgétaire reste très délicat”, commente Julien Flagothier. Qui plus est quand un nombre important de communes se trouvent déjà aux taux maximums préconisés. En effet, chaque année, le ministre de tutelle envoie aux communes une circulaire qui recommande un certain niveau d’imposition. Cette circulaire n’a pas force de loi, mais est fortement conseillée.
Beaucoup plus d’élus sont favorables à une réduction des dépenses ordinaires. Mais là encore, Julien Flagothier reste dubitatif, tout comme Arnaud Dessoy. Va-t-on économiser sur le personnel, alors qu’il n’a pas du tout augmenté, en volume, sous la précédente législature ? Va-t-on diminuer les dotations à la police ou aux CPAS, alors que les besoins sont amenés à augmenter et que les communes sont dans l’obligation légale d’y répondre ? Les frais de fonctionnement, quant à eux, représentent en Wallonie 1 milliard d’euros sur les 7 milliards de dépenses par an. “Ça ne sauvera pas les communes sans dégrader la qualité du service public”, estime Julien Flagothier.
Agir sur les recettes et les dépenses extraordinaires est possible, mais cela se ferait inévitablement au détriment de l’investissement public. “Reporter un projet d’investissement, comme la réparation d’une route, coûte plus cher à long terme. Construire coûte plus qu’entretenir”, prévient le conseiller, qui met également en garde contre “la dette cachée” qu’on occulte dans le présent, mais qui pèse sur les générations futures.
Dans les faits, les communes s’adonnent au panachage : c’est en jouant sur tous ces facteurs que les communes parviennent, bon an mal an, à tenir leur budget. Il reste à trouver des réformes systémiques qui sauveront les finances communales à long terme. Deux pistes sont explorées : une fusion verticale des communes, pour développer des économies d’échelle, ou une fusion horizontale entre une commune et son CPAS.
La première sera laissée au jugement des communes, en respect de leur autonomie. La deuxième deviendra obligatoire pour les communes qui refuseraient de faire leur propre examen, précise le nouveau ministre des Pouvoirs locaux, François Desquesnes (Les Engagés). Quand on lui fait remarquer que ces deux formules ne suscitent pas beaucoup d’enthousiasme parmi les concernées, celui qui est aussi vice-ministre-président ne tourne pas autour du pot: “Nécessité fait loi. On ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens. La Wallonie, c’est 3,6 millions d’habitants. Si on ne prend que les communes et les CPAS, on est déjà à plus de 500 organisations. Si vous y ajoutez les intercommunales et les associations chapitre XII, vous arrivez à 800 institutions publiques. Nos concitoyens ne comprendraient pas qu’on ne fournisse pas un effort d’adaptation.”
Craint-il une hausse de la fiscalité au niveau local ? “Les citoyens feront leurs choix, lors des élections, mais la fiscalité n’est pas une solution pour nous. En revanche, la simplification administrative et la recherche d’efficience à l’instar du ‘spending review’ à la Région sont un chemin à prendre. Est-ce qu’une politique donnée est le moyen le plus efficace pour atteindre un objectif ? Si c’est ‘non’, on corrige, si c’est ‘oui’, on maintient.”
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