Énergie: cinq questions à propos des centrales au gaz en Belgique
Le gaz est la technologie de transition idéale dans un monde qui mise de plus en plus sur l’énergie renouvelable. Même si cette transition s’annonce tout sauf simple.
Le 30 avril dernier, le conseil des ministres a redéfini le cadre légal qui va déterminer notre futur paysage énergétique. Il a adopté les sept arrêtés royaux qui entourent le mécanisme de rémunération de la capacité (CRM) qui doit permettre de fermer nos sept centrales nucléaires d’ici 2025. Il a aussi fixé la capacité qui sera mise aux enchères au mois d’octobre, soit 2,3 GW, c’est-à-dire deux à trois nouvelles centrales au gaz. Ces centrales sont, en effet, le complément idéal dans un système électrique qui fait la part belle à l’énergie renouveable. Tel est aussi le message de la Febeg, la fédération belge des entreprises électriques et gazières. “Il y a différentes manières d’atteindre les objectifs climatiques de 2050, lance le directeur général Marc Van den Bosch. Jusqu’à présent, on se focalisait essentiellement sur l’efficacité énergétique et l’électricité renouvelable mais nous pensons que le gaz renouvelable et à faibles émissions de carbone jouera également un rôle fondamental dans la transition.”
Jusqu’à présent, on se focalisait essentiellement sur l’efficacité énergétique et l’électricité renouvelable mais nous pensons que le gaz renouvelable et à faibles émissions de carbone est également appelé à jouer un rôle fondamental.
Marc Van den Bosch, Febeg
Or les obstacles semblent se multiplier sur la voie menant aux nouvelles centrales au gaz ces derniers temps. Pour la ministre de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA), le dossier des émissions d’oxydes d’azote remet en question les licences en Flandre. La centrale au gaz de Dils Energie à Dilsen-Stokkem, récemment vendue au conglomérat allemand RWE, a suscité une vague de protestations de la part des riverains et des autorités communales. L’entreprise énergétique Eneco a vu son projet de nouvelle centrale à Manage plombé par un fonctionnaire de l’aménagement du territoire qui impose l’installation d’une station de captage et de stockage du CO2. Surprenant quand on sait que cette technologie n’existe pas encore. “D’autant plus surprenant que pareille condition n’est pas imposée aux autres centrales de Wallonie“, fait remarquer Mark Van Hamme, porte-parole d’Eneco.
En outre, ce fameux mécanisme de rémunération de la capacité est vu d’un mauvais oeil par la Creg, le régulateur fédéral de l’énergie, qui craint une facture trop salée. Elle est actuellement estimée par le fédéral entre 238 et 253 millions d’euros sur 15 ans. La ministre fédérale de l’Energie Tinne Van der Straeten (Groen) a eu récemment un entretien constructif, semble-t-il, avec la commissaire européenne Margrethe Vestager. L’Europe doit encore approuver le système.
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1. Pourquoi les centrales au gaz sont-elles nécessaires?
La part d’électricité renouvelable devrait croître de 17,3% en 2017 à 40,4% en 2030, selon les prévisions de la Febeg. Dans un monde où l’énergie solaire ou éolienne occupe une place de plus en plus importante dans le mix énergétique, le besoin de capacité flexible et modulable devient pressant. A savoir le besoin d’augmenter et de diminuer rapidement la production d’énergie quand cela s’avère nécessaire. Toute la difficulté consiste à assurer un équilibre constant entre l’offre et la demande sur le réseau électrique.
Le contrôle de la demande (amorçage et désamorçage des grandes installations industrielles) ainsi que le stockage dans des parcs de batteries pourraient couvrir en partie l’écart entre la production et la consommation, sans plus. Il faut donc produire de l’énergie à plus grande échelle. Or il n’y a plus de centrales au charbon en Belgique depuis des années. Les centrales nucléaires ne sont pas capables de réagir avec flexibilité à la versatilité des sources d’énergie verte. “Il faut un certain nombre de centrales au gaz pour remplacer les réacteurs nucléaires qui seront stoppés, quel que soit le ministre de l’Energie”, déclarait il y a peu Jonas Dutordoir, porte- parole de la ministre Tinne Van der Straeten.
2. Ne vaudrait-il pas mieux garder en activité les deux réacteurs nucléaires les plus récents?
Les nouvelles centrales au gaz émettent plus de CO2 que les centrales nucléaires existantes. Elles nécessitent aussi des investissements afin de remplacer la capacité nucléaire amortie. Un système d’aide est donc indispensable à leur construction.
Le maintien de deux centrales nucléaires serait en outre moins onéreux, selon certaines études. Les avantages sociaux autrefois estimés à 600 millions d’euros par an ont été réajustés à 100 millions d’euros annuels dans la dernière étude du centre de connaissances EnergyVille. “Plus on mise sur l’énergie renouvelable, le stockage et le contrôle de la demande avec le back-up des centrales au gaz, plus les avantages sociaux sont localisés”, précise Ronnie Belmans, professeur à la KU Leuven et CEO d’EnergyVille.
Les centrales au gaz augmentent drastiquement la quantité d’émissions de CO2 au niveau de la Belgique mais pas de l’Europe. En effet, le secteur énergétique relève du système européen d’échange de quotas d’émissions SEQE-UE selon lequel toutes les centrales doivent respecter des quotas d’émission par tonne de CO2 rejetée. Comme les quotas d’émissions disponibles diminuent, les nouvelles centrales remplacent peu à peu les installations plus polluantes sur le marché.
3. Les centrales au gaz seront-elles rentables?
Si la sortie complète du nucléaire se concrétise, ce genre de centrale peut compter sur 6.500 heures de fonctionnement par an. Autrement dit, elles assurent de facto le baseload, c’est-à-dire la quantité d’électricité consommée. “Mais le but ultime des nouvelles centrales est la flexibilité, pointe Mark Van Hamme. Le besoin de centrales au gaz augmente proportionnellement à la quantité d’énergie verte sur le réseau. Elles sont alors réduites au rôle de centrales de back-up qui ne fonctionnent qu’un nombre d’heures limité.”
Une aide s’avère malgré tout indispensable. “C’est idiot, estime Ronnie Belmans (EnergyVille). C’est une réaction de panique. Rien n’a été entrepris ces 20 dernières années pour remplacer les centrales nucléaires. D’un point de vue technique, la Belgique est l’endroit idéal pour construire des nouvelles centrales au gaz: le prix du gaz naturel y est très bon marché et les lignes haute tension de qualité. Le CRM a été instauré suite au manque de confiance des fournisseurs d’énergie dans le gouvernement. Le gouvernement se voit donc obligé de monnayer cette confiance. Si les vieilles centrales nucléaires avaient été fermées en 2014 et 2015, nous disposerions déjà de nouvelles centrales au gaz, sans aide.” “Nous rattrapons peu à peu le retard de ces dernières années d’inaction, explique Jonas Dutordoir. Le mécanisme d’aide est un mécanisme d’assurance essentiellement, destiné à faire en sorte que la lumière reste allumée au prix le plus bas possible. Il doit aussi ouvrir la voie aux 100% d’énergie renouvelable. Nous avons assisté ces dernières semaines à des prix record du fait notamment de l’arrêt inopiné du réacteur nucléaire de Tihange 2. Auparavant, des éoliennes avaient dû être mises à l’arrêt alors que le vent soufflait. A certains moments, il y a trop d’électricité et pas assez de flexibilité. Sans le mécanisme d’investissement, ce genre de situation risque de se répéter plus souvent. Le marché de l’énergie est confronté à ses limites, notre infrastructure de production se trouve en fin de cycle. Il ne faut pas se leurrer: le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires coûte très cher et ce coût devra être amorti par le producteur.”
Si les vieilles centrales nucléaires avaient été fermées en 2014 et 2015, nous disposerions déjà de nouvelles centrales au gaz, sans aide.
Ronnie Belmans, EnergyVille
“L’aide sert essentiellement à inciter les investisseurs à réaliser leurs projets, ajoute Mark Van Hamme. Ce n’est pas parce que vous sollicitez que vous serez sélectionné.”
4. Combien de temps encore aurons-nous besoin des centrales au gaz?
Les nouvelles centrales au gaz devraient déjà tenir compte d’une reconversion. “La transition progressive vers le gaz renouvelable et à faibles émissions de carbone devrait se concrétiser entre 2030 et 2050, anticipe Mark Van den Bosch de la Febeg. Il est ici question de biogaz, d’hydrogène vert, de méthane ou encore de gaz naturel à faibles émissions de carbone grâce au CCS et au CCU ( captage et stockage/utilisation du CO2, Ndlr).” La ministre Tinne Van der Straeten mise elle aussi sur la décarbonisation des centrales au gaz. Elle a présenté deux projets de ce genre dans le cadre du plan de relance européen.
Quant à savoir si les centrales peuvent également servir à utiliser ou produire de l’hydrogène, c’est une autre paire de manches. “Où irions-nous chercher ces quantités astronomiques de gaz vert? , s’interroge Ronnie Belmans. L’Europe ne dispose pas de suffisamment d’énergie verte pour produire assez d’hydrogène vert. Nous devrons donc l’importer. Mais ces molécules devront être directement utilisées.”
Mark Van den Bosch évoque également le sector coupling auquel l’Europe attache beaucoup d’importance, à savoir l’interaction entre les secteurs électriques et gaziers pour atteindre efficacement les objectifs climatiques. “Le marché du gaz naturel pratique depuis longtemps le stockage saisonnier qui pourrait également s’appliquer à l’électricité renouvelable afin de renforcer la sécurité d’approvisionnement.”
5. Le gaz naturel risque-t-il d’accroître notre dépendance de l’étranger?
L’Europe dépend en partie de la Russie et du Moyen-Orient pour son approvisionnement en gaz, les pays d’Europe occidentale surtout. Pour ne pas dépendre du transit via la Géorgie, l’Allemagne a entrepris avec North Stream la construction d’un gazoduc qui assure son approvisionnement en droite ligne de la Russie.
Ce genre de considération géostratégique ne se justifie pas chez nous. La Belgique importe du gaz des Pays-Bas et de Norvège essentiellement (80% en 2018), du Royaume-Uni, du Qatar et d’Allemagne dans une moindre mesure. Les Pays-Bas comptent réduire leur production de gaz au cours des prochaines années.
La Belgique est un pays de transit important. Le gaz russe en provenance de la presqu’île de Yamal en Sibérie est acheminé par tanker jusqu’au terminal du gestionnaire de réseau gazier Fluxys à Zeebrugge, d’où il est réorienté vers d’autres destinations. Ce statut de plaque tournante – comme pour le transport des conteneurs – assure à la Belgique des tarifs avantageux.
“La Belgique importe massivement du gaz et du pétrole depuis des années. Le jour où nous pourrons importer de l’hydrogène vert des pays méditerranéens, de nouvelles opportunités avec d’autres pays s’offriront à nous”, conclut Jonas Dutordoir.
Dans quelle mesure le gaz est-il vert?
Le 21 avril dernier, la Commission européenne a ébauché les premières lignes de sa taxonomie verte. Elle a fixé toute une série de critères permettant aux organismes financiers et aux fonds d’investissement de repérer les activités et les investissements respectueux de l’environnement.
On est encore loin du compte. Les activités émettrices de CO2 ont été réduites de quasi 80% mais certains secteurs, dont celui de l’agriculture et de l’énergie, laissent encore à désirer. Les centrales au gaz et les réacteurs nucléaires peuvent-il être considérés comme “verts”? Question délicate s’il en est. La France insiste tout particulièrement pour que les centrales nucléaires obtiennent le fameux statut vert. De nombreux pays d’Europe occidentale expriment le même souhait pour les centrales au gaz, appelées à remplacer les centrales au charbon polluantes. La décision devrait tomber cet automne.
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