En visite d’entreprise avec… Jean-Luc Crucke

© C. Cardon/ Belgaimage

L’économie sociale, ce n’est a priori pas le créneau favori du MR. Mais Jean-Luc Crucke adore surprendre son monde. Il a choisi de nous emmener dans une entreprise de travail adapté. Une occasion de parler subsides, transparence, formation, insertion… Et aussi, on ne se refait pas, panneaux photovoltaïques.

“J’ai choisi cette entreprise car elle crée de l’emploi autrement. Donner un cadre de vie à plus de 300 personnes, c’est formidable. Et quand on discute avec les dirigeants, on parle d’une vraie activité économique, avec des clients, des marchés, des projets d’investissement. ”

Jean-Luc Crucke nous emmène au Rucher, une entreprise de travail adapté installée à Leuze-en-Hainaut. Ne vous fiez pas trop à cette dénomination, il s’agit avant tout d’une entreprise, fière de son chiffre d’affaires de 6,5 millions d’euros (+ 50 % en cinq ans) et de ses premiers pas dans l’e-commerce (elle assure la logistique pour les ventes de la biscuiterie Desobry). ” Quand on sort d’ici, on n’a plus le même regard sur les entreprises de travail adapté “, résume Jean-Luc Crucke.

Profil

en 1962 à Renaix

Diplômé en droit (UCL), avocat

Bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing (Hainaut) depuis 1997

Député depuis 2004

Ministre wallon du Budget, des Finances, de l’Energie, du Climat et des Aéroports depuis 2017

Adepte de la marche, du volley et du hockey

Cette entreprise se distingue des autres par son personnel, composé à 90% de personnes handicapées. Le candidat libéral ne devra donc pas relayer ici les propositions classiques de son parti sur l’exonération de cotisations sociales jusqu’au troisième emploi créé par une PME ou le droit à l’erreur administrative pour un indépendant. En revanche, il en apprendra sur l’insécurité financière dans laquelle vit le secteur. Il n’en revient pas d’apprendre que les aides à l’emploi de personnes handicapées sont réparties entre les entreprises du secteur selon des critères apparemment très aléatoires. ” Nous ne connaissons pas les règles de calcul, affirme la directrice du Rucher, Manuela Vivier. Les enveloppes sont indexées, ce qui n’est déjà pas mal, mais elles n’évoluent pas en adéquation avec la croissance de l’entreprise. Cela freine notre développement. ” Entre les quotas accordés par l’administration et l’occupation réelle du Rucher, il y a un écart de 67 unités, soit plus d’un cinquième de l’effectif total. Difficile pour elle d’ébaucher le planning de 2020 et d’envisager de nouveaux travaux d’extension du bâtiment quand elle ne sait pas encore précisément à quelles aides le Rucher a droit pour… 2018 !

” La première chose, c’est d’ouvrir les livres et de montrer sur quelles bases ces quotas sont répartis, insiste Jean-Luc Crucke. Sans cette connaissance des données exactes, il est impossible d’avoir un vrai débat. ” On est prêt à parier que, quel que soit son destin après le 26 mai, le Hainuyer s’intéressera d’un peu plus près au fonctionnement de l’Agence pour une vie de qualité (Aviq), l’organisme wallon en charge, notamment, des aides aux personnes handicapées…

En visite d'entreprise avec... Jean-Luc Crucke
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“Aller chercher ce qui rassemble”

En attendant, nous avons là le credo politique du bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing : les solutions émergent d’une discussion franche entre tous les acteurs. En ce sens, il juge l’actuelle situation politique régionale, où la majorité n’est plus vraiment majoritaire et doit négocier des appuis ponctuels pour faire voter des textes, ” tout à fait passionnante “. ” J’ai toujours pensé qu’il fallait savoir écouter l’autre et respecter les différences, poursuit Jean-Luc Crucke. Nous sommes forcés de le faire au vu des circonstances. Il ne faut pas regarder l’opposition comme un bloc d’adversaires mais comme des hommes et des femmes qui essaient de faire avancer leurs dossiers. Et le job ensuite, c’est d’aller chercher ce qui rassemble les gens. ” Il ne désespère pas d’y parvenir in extremis dans le dossier photovoltaïque.

Transition facile : le Rucher vient d’installer des panneaux photovoltaïques d’une capacité de 1 MWh. De quoi couvrir 70% de ses besoins en électricité. Cet investissement séduit bien entendu le ministre wallon de l’Energie, grand supporter de l’autoconsommation. Il y va de son petit conseil à ses interlocuteurs du jour. ” Nous venons de lancer l’autoconsommation collective, en songeant notamment aux zones d’activité économique, dit-il. Vous pourriez être les premiers à utiliser le mécanisme en cédant une partie de votre production quand vous ne l’utilisez pas, à d’autres entreprises du zoning. ”

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“Pour l’isolation, prenez exemple sur ma commune”

La création de micro-réseaux, sur les zonings et ailleurs, est l’un des éléments phares du volet ” énergie ” du programme électoral du MR. Ce programme prévoit aussi un vaste plan d’isolation des bâtiments publics. Avec quels moyens ? Jean-Luc Crucke est convaincu que des entreprises, des banques ou des fonds d’investissement peuvent jouer les tiers-investisseurs. C’est d’ailleurs le cas dans sa commune, Frasnes-lez-Anvaing, qui vient de lancer un cahier des charges pour la mise aux normes les plus pertinentes sur le plan climatique de tous les bâtiments publics communaux. ” Ces tiers-investisseurs iront de l’audit de la situation existante jusqu’à la proposition de nouvelles améliorations, précise notre interlocuteur. Ça, c’est de la politique. Il ne s’agit pas de faire le métier d’un autre – de se profiler comme électricien ou constructeur – mais de mettre en place les conditions qui permettront de faire évoluer positivement une situation. Le politique est en réalité un intermédiaire de la réussite. ”

Il a tenté d’amorcer une démarche similaire pour l’isolation des bâtiments privés. Pour l’heure, sans avoir encore réussi à faire travailler ensemble les investisseurs potentiels. Mais il n’a pas abandonné l’idée et songe à ” des coups de pouce fiscaux ” pour mobiliser l’épargne. ” J’avais lu l’économiste français Pierre Larrouturou avant beaucoup d’autres et j’ai été l’un des premiers à relayer chez nous l’idée d’une banque européenne du climat “, ajoute Jean-Luc Crucke. Il est convaincu que si on les informait plus explicitement sur les investissements durables de tel ou tel fonds, par exemple en labellisant des produits d’assurance-vie, les épargnants seraient prêts à réorienter leurs choix de placement. ” La population est prête à changer ses comportements, qu’on ne me dise pas le contraire, lâche-t-il. A la différence de nos parents ou de nos grands-parents, nous savons aujourd’hui que notre planète a des limites. Il faut accepter et comprendre cela – les rapports du Giec nous l’expliquent depuis un certain temps – pour trouver des solutions volontaristes. ”

Notre interlocuteur adore parler climat et énergie. Vous tentez de le brancher sur la digitalisation de l’économie, il bifurque rapidement sur les compteurs intelligents pour lesquels il a élaboré un décret voté par le Parlement wallon. ” Nous avons besoin de ces technologies pour réussir la transition énergétique, je ne comprends pas pourquoi Ecolo s’est opposé aux compteurs intelligents, confie Jean-Luc Crucke. Il existe des personnes électro-sensibles, je connais et comprends leurs craintes. C’est bien pour cela que le compteur intelligent ne sera pas imposé partout. Mais ne faisons pas barrage à la science. Sans elle, notre société ne pourra pas répondre aux défis de demain. ”

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“Pour l’école, prenez exemple sur ma commune”

Et quand ce n’est pas l’énergie, c’est l’expérience de bourgmestre qui reprend le dessus. Pour l’enseignement, par exemple, il préfère appuyer sa réflexion sur le succès des écoles communales de Frasnes, qui sont passées de 200 à 1.000 élèves en quelques années. ” J’ai simplement fait confiance aux équipes, explique Jean-Luc Crucke. J’ai demandé aux directeurs de personnaliser leur projet pédagogique et de vraiment porter ce projet. Moi, de mon côté, je leur ai laissé le libre choix total du corps professoral, sans la moindre intervention politique. Vous avez alors de vraies équipes dans les écoles et ça fonctionne. On responsabilise les directions d’établissement, ça ne demande pas de révolution décrétale. ” Accorder plus de liberté d’action, y compris pédagogique, aux directions d’école, c’était justement l’une des recommandations phares du rapport de McKinsey qui a servi de prélude aux discussions sur le pacte d’excellence…

Ne nous embarquons pas dans des discussions théoriques sur ce pacte. Restons sur le terrain avec le Rucher qui, comme d’autres entreprises, pourrait être un acteur de formation plus important. ” Nous avons construit de superbes partenariats avec les écoles de la région et nous offrons des contrats d’apprentissage à des jeunes dès leur sortie de l’école “, explique Manuela Vivier. Le Rucher est actuellement agréé pour trois places en apprentissage et souhaiterait doubler son offre. A nouveau, le message à l’adresse du ministre aura sans doute fait mouche… ” Je me suis mis au défi de rencontrer 48 professions pendant cette campagne, conclut Jean-Luc Crucke. Pris par nos agendas, les réunions, etc., nous ne faisons pas cela assez souvent. C’est une erreur. Ces rencontres sur le terrain m’apprennent chaque fois quelque chose. ”

Une entreprise presque comme les autres

Le Rucher assure des opérations de manutention, d'empaquetage et d'expédition.
Le Rucher assure des opérations de manutention, d’empaquetage et d’expédition.© C. Cardon/ Belgaimage

Le Rucher existe depuis 1982 mais l’entreprise a pris son véritable envol économique en 2010 en s’installant dans un bâtiment de 8.000 m2 sur le zoning de Leuze-en-Hainaut. Six ans plus tard, elle érigeait un deuxième bâtiment, de 15.000 m2 cette fois. L’entreprise de travail adapté est alors passée de 120 à plus de 300 emplois. L’entreprise prépare une nouvelle extension de quelque 2.200 m2. Voilà qui dénote, à tout le moins, une véritable ambition de croissance. Elle n’est peut-être pas tout à fait comme les autres mais, nul besoin d’ergoter, il s’agit bel et bien d’une entreprise. Le Rucher assure des opérations de manutention, d’empaquetage et d’expédition de biberons pour Beldico, de verrines sucrées pour VerBau, de marchandises diverses mises en promotion par Colruyt, de produits alimentaires pour les Tartes de Françoise, de cosmétiques pour l’Asinerie des Collines, etc. Tout cela génère un chiffre d’affaires de 6,5 millions d’euros et occupe 309 personnes (dont 20 encadrants) à Leuze-en-Hainaut. N’est-ce pas toutefois une concurrence un peu déloyale par rapport aux entreprises classiques ? ” Nous sommes plutôt des partenaires, répond Manuela Vivier, directrice générale du Rucher. Nos équipes les aident à répondre à des besoins plus basiques et leur permettent ainsi de se concentrer pleinement sur leur métier. ”

Et puis, il ne faut pas négliger le rôle sociétal rempli par de telles entreprises. Elles permettent à des gens qui ne pourraient pas trouver un emploi dans l’économie classique de s’épanouir dans une fonction, de se sentir utile et de gagner une relative autonomie financière. En ce sens, les entreprises de travail adapté sont, dit Manuela Vivier, ” une arme de plus pour combattre le chômage “. ” Notre fédération sectorielle, Eweta, est intégrée dans les instances patronales, conclut-elle. Cela montre que nous sommes considérés comme des acteurs économiques à part entière. ” Les entreprises de travail adapté emploient 9.500 personnes en Wallonie. Les subsides couvrent en moyenne un tiers de leurs besoins, le solde provenant de leurs recettes d’exploitation.

3 phrases à compléter

En visite d'entreprise avec... Jean-Luc Crucke
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Après le 26 mai, la Belgique sera… ? A la croisée des chemins. Il n’y aura pas de septième réforme de l’Etat, nous avons cinq ans pour préparer la Wallonie et Bruxelles à la diminution progressive des moyens provenant de la solidarité nationale à partir de 2024. Nous devrons notamment réfléchir, entre francophones, à la réduction du coût de nos structures. Je pense que l’institution provinciale doit disparaître et que la Fédération doit céder une série de compétences aux Régions.

Si je suis élu, je m’engage à… ? Garder la ligne. Dans les deux sens du terme, politique et physique. Depuis que je fais attention à mon corps et à mon alimentation, ça me donne de nouvelles énergies.

Pendant la campagne électorale, je me ressource…? Simplement en admirant les magnifiques collines de ma région, le Pays des collines. Je suis fier de ce que nous avons pu réaliser. Egalement au niveau économique. La sucrerie a fermé, nous avons reconditionné le site en une zone d’activités économiques et il y a désormais plus d’emplois qu’auparavant. Et dans des métiers du futur.

On n’oublie pas la réforme fiscale

La visite du Rucher ne se prêtait pas spécialement à une discussion fiscale. Alors, on l’a menée en marge, lors d’une discussion dans une ancienne bonneterie reconvertie en… boulangerie artisanale. Jean-Luc Crucke soutient totalement l’idée de relever la quotité exonérée d’impôts jusqu’à 13.500 euros annuels (soit le niveau de l’allocation de chômage minimale). Cela doit faire gagner jusqu’à 100 euros nets par mois en moyenne, et un peu plus encore pour les plus faibles revenus. L’intention est bien entendu de creuser l’écart entre les allocations et les petits salaires afin d’inciter au travail.

” C’est une mesure motivante pour tous les travailleurs, résume Jean-Luc Crucke. Pour moi, cela s’inscrit clairement dans la philosophie libérale qui se veut respectueuse du travail de chacun. On apporte du pouvoir d’achat supplémentaire aux plus démunis, mais ce pouvoir d’achat, l’économie en a besoin pour fonctionner. ” Il est convaincu qu’un effort de réduction des dépenses publiques conjugué aux effets-retours sur la consommation et l’investissement rendent cette réforme fiscale supportable pour les finances publiques.

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