“Empilement administratif, retards, surcoûts” ou le casse-tête du Brexit pour les entreprises

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C’est le bazar !”: trois semaines après le rétablissement des formalités douanières liées au Brexit, des transporteurs et entreprises confrontés à “l’empilement administratif” et une “impréparation” britannique déplorent retards et surcoûts, sur fond de “flou généralisé”.

“Les premiers jours étaient difficiles, il y a eu énormément de retards: certains de nos chauffeurs ont dû attendre une semaine côté britannique pour faire les déclarations à l’export”, déplore Benoît Lefebvre, dirigeant de la société Sonotri, spécialisée dans le transport de produits chimiques.

“On a eu droit à tout: le client qui n’a rien déclaré, celui qui a mal fait les démarches (…) la queue pour obtenir les documents en Angleterre”, raconte le transporteur basé en Normandie, dont 20% du chiffre d’affaires est lié au Royaume-Uni.

Membre d’un groupe de travail d’acteurs de la chaîne logistique, il assure que “la première semaine, 60% des cargaisons arrivant sur les ports normands ne pouvaient pas être acceptées en France sans contrôles complémentaires”.

Principal problème: la saturation des services douaniers britanniques, récemment dénoncée par le préfet du Nord dans un courrier au gouvernement.

La fluidité des échanges repose sur un système de “frontière intelligente”: les chauffeurs présentent un code-barres, relié aux déclarations remplies en amont par les entreprises ou leurs prestataires représentants en douane.

Mais côté anglais, “il y a de nombreux bugs informatiques” relève Paul-François Schira, sous-préfet chargé du Brexit pour les Hauts-de-France (nord de la France) pointant aussi “un mauvais dimensionnement des services de contrôles sanitaires” anglais.

– “Du 24H/24H” –

“Une seule lettre d’écart entre deux formulaires bloque tout !”, souligne M. Lefebvre. Et avec un accord arraché à quelques jours du Brexit, “les systèmes britanniques et européens n’ont pas été bien harmonisés, interconnectés”.

Entre déclarations douanières ou de sûreté, formalités spécifiques aux marchandises réglementées, permis d’accès au Kent et tests obligatoires liés au Covid-19, “imaginez le nombre de formulaires !”, lâche-t-il.

La charge pèse sur une “myriade d’entreprises” aux niveaux de préparation “extrêmement variables”, certaines petites entreprises n’ayant “jamais exporté hors UE”, rappelle Sébastien Rivera, secrétaire de la Fédération nationale des transporteurs routiers pour le Pas-de-Calais (nord).

Gérant de deux sociétés de représentants en douane à Dunkerque (nord), habitués à “la grande exportation”, Xavier Dewynter a vu la demande “augmenter drastiquement” depuis le Brexit, “une vingtaine de nouveaux clients, pour des voyages réguliers à traiter dans l’urgence”.

“On est en train de recruter trois nouveaux agents – sur une dizaine au total – et de se réorganiser, car Eurotunnel et les ferries fonctionnent 24H/24H, ce n’était pas dans nos habitudes”, explique-t-il à l’AFP. “Mais j’en veux énormément aux négociateurs du Brexit. Comment se préparer, sans informations jusqu’au dernier moment ?”

– “Devenir spécialiste” –

Beaucoup d’entreprises “n’ont rien compris”, estime-t-il, citant celles qui “voulaient annuler des contrats après l’accord, croyant qu’il n’y aurait rien à faire”, ou celles appelant en panique “pour être libérées” d’un terminal.

Paul-François Schira nuance: la préfecture a “sondé le niveau de préparation” des camions, et calculé qu’à l’export vers l’Angleterre, “90 à 95%” étaient prêts à passer la frontière. Dans l’autre sens, ce taux est “estimé à 80 ou 85%”.

“Les acteurs sont en train de se roder”, assure-t-il, espérant que “les Anglais résoudront rapidement leurs problèmes informatiques”, alors que “seulement 50% du flux habituel circule aujourd’hui”.

“On passe clairement d’un système de transport standard à un métier de spécialiste”, résume Benoît Lefebvre.

Pour Eli Gifford, dirigeant de “Tea together”, qui produit confitures et conserves pour l’hôtellerie, les formalités “coûtent 200 euros par envoi”. “Pour une facture de 10.000 euros c’est assez peu, mais c’est plus compliqué pour les petites commandes”, comme “les échantillons envoyés jusqu’ici gratuitement”.

“On va inciter les clients à commander en gros”, affirme l’entrepreneur, pour qui l’Angleterre représente un tiers du portefeuille. Mais “avec le Covid-19, ils souffrent et ne veulent pas stocker”. Et si le Brexit “parait aujourd’hui secondaire, (…) tout le monde s’en serait bien passé”.

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