Duo MR/Engagés: Et maintenant, le plus dur reste à faire…

Forts de 
leur victoire, Les Engagés ne vont pas servir ­uniquement de marchepied aux libéraux. Ils auront à cœur de calmer les velléités libérales et voudront sans doute arrondir les angles d’une politique trop brutale. © BELGA
Baptiste Lambert

La vague bleue azure a déferlé sur la Wallonie. Une coalition de centre-droit se dessine, mais le duo fera face à une forte résistance de la gauche.

“Et maintenant, au boulot !”, a conclu le président du MR, Georges-Louis Bouchez, lors de son speech de victoire. Il semble en être le premier conscient : mettre en place sa politique ne sera pas un long fleuve tranquille.

Une chose est sûre : la formation libérale ne pourra plus se cacher. Régulièrement au pouvoir en Wallonie, le MR a longtemps pointé la domination socialiste. Et sur papier, ce n’est certainement pas faux : le PS a récolté à chaque fois la ministre-présidence, à trois exceptions depuis 1981. Le libéral André Damseaux a fait un passage éclair à la tête de l’exécutif wallon en 1982, sous la bannière du PRL. Melchior Wathelet, du PSC, a gouverné de 1982 à 1985. Et puis 40 ans se sont écoulés avant de retrouver un libéral, avec Willy Borsus, qui a pris la ministre-présidence entre 2017 et 2018, suite au coup de poignard du cdH, qui avait débarqué le PS et Paul Magnette de la majorité.

Selon toute logique, à près de 30% en Wallonie, score historique, la formation libérale devrait décrocher le strapontin wallon. Et elle n’aura plus dans ses pattes des socialistes encombrants. Car une coalition est sur les rails avec Les Engagés, qui engrangent la plus belle percée, avec un gain de près de 9,7%, à 20,7%. Au niveau du programme, cette coalition de centre-droit pourrait s’y retrouver facilement pour mener les réformes socio-économiques souhaitées. Dans la réalité, ce sera sans doute plus compliqué que cela.

Du pain sur la planche

Quelques indicateurs pour expliquer l’ampleur de leur défi. Le PIB par habitant de la Wallonie est de 30.700 euros, c’est moins que celui de la Lituanie, de la Slovénie et de la République tchèque, qui étaient encore sous le joug soviétique il y a moins de 30 ans. Et par province, le constat est encore plus interpellant : le PIB par habitant du Hainaut se dégrade depuis 2011 et se situe à 74% de la moyenne européenne, là où celui du Brabant wallon est à 152%.

Sur le front de l’emploi, le talon d’Achille wallon, ce n’est guère plus brillant. Entre 2019 et 2023, sous la précédente législature, le taux d’emploi est passé de 64,6% à un timide 65,5%. Le taux de chômage a progressé de 7,2% à 8,2%, et le taux d’inactivité (malades de longue durée, RIS, pré-retraités) tourne toujours autour de 25%.

Sur le plan de la croissance, elle a moins bien résisté en Wallonie qu’en Flandre durant la période des crises. Et les perspectives jusqu’à 2028 ne sont pas meilleures : 1,1% par an en Wallonie contre 1,3% pour la Flandre.

Reste que cette vague de centre-droit est largement plébiscitée par les organisations patronales, mais elles jugeront sur pièces. “Dimanche, les électeurs ont fait passer un message clair qui souligne l’importance des dossiers socio-économiques”, a souligné Cécile Neven (AKT), la patronne des patrons wallons. “Avant de partager la richesse, il faut la créer, ajoute-t-elle. La priorité est maintenant d’avancer sans tarder.”

Du côté de l’Union des classes moyennes (UCM), Pierre-Frédéric Nyst, s’est dit “rassuré” par les résultats des élections. “Une majorité formée par le MR et Les Engagés offrirait un environnement beaucoup plus confortable aux indépendants et leur permettrait de développer leurs entreprises.” Mais le président de l’UCM espère que “ceux qui se disent PME friendly iront jusqu’au bout dans leur logique”.

Cette vague de centre-droit est largement plébiscitée par les organisations patronales.

La gauche n’a pas dit 
son dernier mot

Si une coalition entre le MR et les Engagés veut entamer une politique de rupture, elle devra forcément faire face à une opposition. Et elle disposera encore d’un solide poids politique. Malgré le recul général, PS (-2,9%), PTB (-1,6%) et Ecolo (-7,5%) pèsent encore respectivement 23,2%, 12,1% et 7%, soit 32 sièges cumulés au Parlement wallon contre 43 pour le MR et Les Engagés.

Si l’on y ajoute la pression syndicale, qui ne sera pas tendre avec une telle coalition, les choses pourraient rapidement dégénérer. D’autant que le style Bouchez fait rarement dans la dentelle. Or, le président du MR lorgnerait la ministre-présidence wallonne. En coulisses, il se dit que Georges-Louis Bouchez aimerait assoir sa présidence au sein du parti, avant de se propulser à la tête de la Wallonie, pour y mener sa politique. Il voudrait marquer le coup rapidement pour poursuivre la bonne dynamique des libéraux jusqu’aux élections communales.

A ce stade, c’est encore de la politique-fiction. Les Engagés ne vont pas servir uniquement de marchepied aux libéraux, forts de leur éclatante victoire. Ils auront à cœur de calmer les velléités libérales et voudront sans doute arrondir les angles d’une politique trop brutale.

Du reste, de nombreux leviers économiques ne se situent pas en Wallonie. Prenez par exemple la limitation dans le temps des allocations de chômage ou la politique des malades de longue durée, qui dépendent de l’échelon fédéral, où il y a encore des incertitudes. Il en va de même d’une réforme fiscale, ou des réformes du travail et des pensions plus approfondies. Une coalition miroir des Régions wallonne et flamande est probable au fédéral, mais rien n’est fait.

Cadeau empoisonné

Dans nos colonnes, en mars dernier, André Antoine (Les Engagés), ancien ministre wallon du Budget et député sortant, avait ces mots : “Nous sommes clairement dans la situation où la prochaine législature, celle de 2024-2029, va devoir payer les promesses du gouvernement actuel”.

Il faisait référence à la situation budgétaire, qui fait dire à beaucoup de commentateurs que la prochaine législature ne sera pas une sinécure. On sait que l’effort de guerre devrait tourner autour de 30 milliards d’euros pour toutes les entités du pays. En tout cas si l’on veut respecter le nouveau carcan budgétaire européen. La part de la Wallonie reste à déterminer, mais l’état des finances publiques est catastrophique.

Depuis 2017, la dette wallonne a quasiment doublé, note la Cour des comptes. Elle passera de 21 milliards à environ 40 milliards d’euros d’ici fin 2024, selon les projections. A l’horizon 2030, la dette wallonne risque d’approcher les 280% des recettes de la Région, selon la Commission externe de la dette.

Adrien Dolimont (MR), ministre sortant du Budget, appelait la prochaine coalition à faire de l’axe budgétaire “le chapitre numéro 1 du prochain accord de gouvernement”. “Une sélectivité que l’on n’a absolument pas vue dans la tripartite précédente”, recalait François Desquesnes (Les Engagés), député wallon, en référence au plan de relance qui a multiplié les mesures. Celui qui sera peut-être bientôt ministre posait ses conditions pour intégrer une future majorité : “Il faut arrêter les projets du plan de relance qui ne sont pas encore initiés”.

Ce qui est moins rassurant, c’est que l’évaluation des priorités du MR dégradait l’état des finances publiques, selon une analyse du Bureau du Plan, avant les élections. Les priorités des Engagés, elles, maintenaient le déficit à un terrifiant 5,4%. Bien sûr, cette analyse ne reprenait pas l’ensemble du programme des deux partis politiques, mais la simplification administrative et des institutions, qu’ils appellent de leurs vœux, pour réduire les dépenses publiques, n’ira pas de soi et pourrait, là aussi, subir une résistance interne.

Bref, entre la pression budgétaire, la pression politique, la pression syndicale, la résistance des administrations et le style Bouchez, la majorité de centre-droit aura fort à faire pour initier une éventuelle politique de rupture.

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