Des taux plus élevés pendant plus longtemps : quelles sont les perspectives pour les investisseurs et l’économie en 2024 ?
2024 s’approche, et les experts commencent à préparer leurs perspectives économiques. Pour Goldman Sachs, 2024 sera surtout placée sous le signe des taux “plus élévés pendant plus longtemps”. Un nouvel environnement auquel il faudra apprendre à s’habituer. Mais l’IA et la géopolitique sont aussi à garder en tête.
Pour prédire l’avenir, personne n’a de boule de cristal. Mais en fin d’année, de nombreuses banques et leurs analystes financiers s’adonnent à l’exercice d’imaginer les tendances qui pourraient régir l’année à venir, voire les événements auxquels l’on pourrait s’attendre. Ce mardi, Goldman Sachs a ainsi présenté ses perspectives pour 2024, lors d’une table ronde à laquelle Trends Tendances a pu assister.
La grande thématique qu’il faudra prendre en compte est le “higher for longer” des taux d’intérêt. Ils resteront élevés pendant longtemps. Selon les experts, ils auraient cependant atteint leur plafond, dans de nombreuses économies. Des baisses seraient également possibles en 2024. Mais l’épisode des taux directeurs à 0% de ces dernières années est loin derrière nous. Il faut donc s’adapter à des taux plus élevés, sur le long terme, maintenant que la hausse des taux qui a crispé le marché et l’économie ces 18 derniers mois, est terminée.
“Higher for longer”: quel impact ?
“Il y a de bonnes nouvelles dans le resserrement des politiques monétaires : il commence à prendre effet. Et un atterrissage en douceur est en train de se produire”, notamment aux Etats-Unis, explique Ashish Shah, co-responsable de la gestion d’actifs auprès de Goldman Sachs. Un atterrissage en douceur est une baisse de l’inflation sans récession. Il ajoute que certaines banques centrales auraient même dorénavant de la marge de manoeuvre pour réduire les taux, si l’économie venait à trop ralentir. Pour l’économie dans son ensemble, le gros de la tempête serait donc passé.
Mais à échelle sectorielle et micro-économique, les perspectives sont plus nuancées. Michael Bruun, spécialiste des marchés privés (c-à-d les entreprises non cotées en bourse) réfléchit à l’impact des taux plus élevés sur différents secteurs. Dans le domaine de la santé par exemple, les entreprises pourraient être tentées par une grande réduction des coûts, qui se traduirait par de l’out-sourcing de certaines activités (vers des pays où les coûts sont moins élevés). C’est un risque pour la Belgique, où de grands groupes pharmaceutiques ont élu domicile, et où la charge fiscale et salariale est souvent jugée élevée par les entreprises.
Cependant, Bruun estime que d’autres secteurs ne seront pas vraiment impactés par les taux plus élevés. Les grandes tendances de la digitalisation et de la transition verte, par exemple de l’énergie (il y a cependant des craintes, dans le monde même de l’énergie, sur un recul des investissements et le retrait de projets, à cause des taux), du transport, le recyclage des matières premières et les modèles économiques circulaires, continueront de plus belle. Puis, avec une potentielle baisse des taux, les introductions en bourse devraient elles reprendre plus fortement l’année prochaine.
“Ces taux plus élevés vont défier les business model de tout un nombre d’entreprises”, commente aussi Alexandra Wilson-Elizondo, CIO adjointe. De nombreuses entreprises sont nées dans un environnement où les taux étaient bas et l’argent “gratuit” disponible. Il faudrait donc apprendre à identifier les gagnants dans ce nouvel environnement. La tech, notamment celle dite “disruptive” et qui invente des solutions tout à fait nouvelles, n’est généralement pas immédiatement rentable et souffe dans cet environnement.
Sur ce point, Shah renchérit qu’il faut aussi prendre en compte l’impact des taux sur les consommateurs. Avec des taux plus élevés, tout comme avec l’inflation, les habitudes de consommation changent. Et cela a un impact sur les entreprises, “qui devront être plus sensibles aux prix”.
Les trois commentateurs soulignent ainsi une grande divergence qu’il faut aussi prendre en compte, dans ce contexte. Il y a aujoud’hui plus de différences entre les différents secteurs, dans les différents secteurs et entre les consommateurs qu’auparavant. A échelle internationale aussi : certaines économies gardent le cap de la croissance et d’autres tournent au ralenti. Les réponses des banques centrales sont donc également différentes.
Intelligence artificielle
A côté du nouvel environnement des taux, les analystes se penchent aussi sur l’intelligence artificielle. 2023 a déjà été l’année de l’IA, avec le lancement de ChatGPT à la toute fin de 2022. Mais cette tendance ne fait que commencer. “L’IA est une révolution qui devra apporter 1,5 point de croissance en plus pour les dix ans à venir. Comme ce fut le cas pour l’électricité entre 1919 et 29 et pour l’ordinateur entre 1989 et 99”, explique Bruun. Il voit surtout du potentiel pour le marketing, pour l’instant, tout comme pour le code, qui est “devenu beaucoup plus propre”. “Mais elle peut encore halluciner sur certaines choses. On n’est pas encore à la productivité totale : il faut encore voir les limites, comme les régulations.”
“L’IA est un opportunité, mais aussi un risque. Elle permet de donner du pouvoir à des acteurs malveillants”, met en garde Shah. Il souligne que les entreprises doivent donc investir dans la cyber-sécurité ; aussi à cause du contexte géopolitique.
“Hors de contrôle”
Géopolitique, voilà une autre thématique à garder en tête. De nombreux entreprises vont essayer de s’éloigner de la Chine. L’Inde mais aussi le Japon devraient profiter de cette tendance, s’accordent à dire les experts.
Mais le contexte géopolitique comporte aussi un risque. “Les risques sont hors de contrôle. Les conséquences possibles ne sont actuellement pas encore incluses dans les prix des actifs, par rapport à ce que nous sommes en mesure de contrôler”, explique Bruun. En d’autres mots, il faut rester vigilant. D’autres chocs imprévus pourraient venir bousculer l’économie mondiale.
Pour Wilson-Elizondo LE risque sous-estimé à garder en tête est une éventuelle explosion du chômage, malgré un atterrissage en douceur. Pour Shah, c’est la réduction du bilan des banques centrales et des banques en général, elle auraient ainsi moins de marges de manoeuvre pour répondre en cas d’un choc. Voilà des clés d’analyse pour appréhender l’année à venir… pour le reste, l’avenir nous le dira.
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