Des espions israéliens, une fausse entreprise: l’hallucinante histoire belge du litige autour d’un contrat de vaccin anti-covid

Frank Vandenbroucke

Le litige entre un distributeur de vaccins anti-covid et le cabinet du ministre de la santé Frank Vandenbroucke semble atteindre un surréalisme auquel même en Belgique on n’est pas habitué. Le point sur une histoire riche en révélations surprenantes.

Le fournisseur médical Medista et Sarah Taybi, sa CEO, sont en guerre contre le cabinet du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke. Ils s’estiment lésés par le gouvernement. Et tous les coups sont permis pour remporter la bataille.

De quoi s’agit-il ?

Le litige a trait au marché accordé par le SPF Santé publique pour la distribution et le stockage de la réserve stratégique de médicaments, des tests et des vaccins contre le Covid. Entre 2020 et 2022, ce contrat avait été attribué à la PME belge Medista. Dès le début de la crise et jusqu’à la fin de 2021, elle et son personnel vont fournir d’énormes efforts pour répondre aux demandes du gouvernement. Elle s’attribue d’ailleurs une large partie du succès de la campagne de vaccination. «Notre contrat devait courir jusqu’en 2025. Et pourtant, à la fin de 2021, un nouvel appel d’offres a été lancé, avec des critères très différents. Tout à coup, nous n’étions plus nécessaires. »  Et, en effet, en 2022, ce sont les sociétés Movianto et Raes Logistics qui remportent le marché. « Ces deux entreprises étaient tellement moins chères que Medista – Raes même à 55 % – que le cabinet s’est demandé si le gouvernement n’avait pas surpayé Medista la première fois», précise toutefois De Standaard

Pour Medista par contre ce revirement doit beaucoup au fait que Movianto aurait « été aidée et favorisée par une fonctionnaire du SPF Santé publique ». Et dans Het Nieuwsblad, Taybi révèle aussi qu’elle se sentait ciblée par l’administration, “après avoir osé dénoncer que l’administration avait acheté pour près de 100 millions de produits falsifiés et presque périmés”. “Soudain, les contacts sont devenus très difficiles et les factures contestées sans raison.» Quoi qu’il en soit, face à ce désaveu, Medista introduit un recours au Conseil d’État… qui lui donne tort sur toute la ligne.

Une vidéo compromettante

Le peu de succès au Conseil d’État et le silence des autorités vont pousser Sarah Taybi à trouver d’autres tactiques moins chronophages qu’une procédure juridique étirée à l’infini pour prouver sa bonne foi. Elle choisit alors de chercher elle-même les preuves de ce qu’elle avance. Une quête qui a, semble-t-il, porté ses fruits à en croire des vidéos publiées sur Het Laatste Nieuws. On peut y voir une fonctionnaire du SPF Santé publique déclarée avoir “aidé” Movianto, le concurrent de Medista, et avoir “ouvert la voie”. Un cadre de Movianto se serait lui aussi laissé piéger.

Ces vidéos ont été obtenues avec l’aide d’une société de détectives privés Black Cube (où seraient aussi actifs des anciens des services de renseignement israéliens), via un scénario monté de toute pièce et des caméras cachées. Back Cube s’enorgueillit de pouvoir découvrir l’introuvable. Elle aurait eu parmi ses clients Harvey Weinstein qui cherchait à discréditer les femmes et journalistes derrière le mouvement « Me Too », mais aussi Viktor Orban. Dans le cas qui nous occupe, la société de détectives privés a organisé de faux entretiens d’embauche pour un poste de direction dans une entreprise fictive créée pour l’occasion (Edgewise Capital). Pas quoi perturber Sarah Taybi qui précise que « si le Conseil d’État avait besoin de plus de preuves, les voilà »

5,3 millions de factures “impayées

Outre ses démarches pour dénoncer ce qu’elle considère comme une trahison, Sarah Taybi fait également valoir des factures impayées par le SPF pour un montant total de quelque 5,3 millions d’euros (5 398 098,29 euros exactement). Selon le SPF Santé publique, les montants exorbitants facturés n’avaient pas de justification. Le litige entre Medista et le SPF Santé publique sur ce point est d’ailleurs toujours en cours. Medista s’est encore fendue la semaine d’une lettre envoyée au Premier ministre Alexander De Croo, à la présidente de la Chambre Éliane Tillieux et au ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke. Dans cette lettre, l’entreprise fait part de sa volonté de conclure un accord à l’amiable.

Et qu’en pensent les autorités ?

Vendredi, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke et le patron du SPF Santé publique ont tenu un point presse pour réagir à ces informations et contester les résultats obtenus par les enquêteurs engagés par Medista. Selon Frank Vandenbroucke l’arrêt du Conseil d’État « a rendu un arrêt très étoffé, 70 pages d’analyse. Tous les arguments, toutes les accusations de Medista ont été examinés en détail par le Conseil d’Etat, il y a déjà un an. Cela veut dire que les procédures qui ont été organisées par ma fonctionnaire ont été validées par le Conseil d’Etat dans un arrêt qui dit que Medista a tort sur tous les points”.

Quant aux vidéos en caméra cachée, le ministre va demander un audit pour y voir plus clair. Il signale cependant qu’à ce stade, il ne semble n’avoir rien à reprocher à sa fonctionnaire. «Il n’y a rien de mal à ce que des fonctionnaires contactent des entreprises potentiellement intéressées au cours de la procédure préliminaire à un appel d’offres et les aident même si elles ont des questions sur la procédure. Nous l’encourageons même », précise encore le Ministre.

Dans la foulée Movianto a déposé une plainte contre Medista, tout comme la fonctionnaire du SPF Santé. Vandebroucke estime lui que ce genre de procédé est a minima « extrêmement contraire à l’éthique”.

Sarah Taybi (41 ans) s’est confiée au Het Nieuwsblad. « Elle est une dirigeante d’entreprise particulière. Une combattante », précise le quotidien. “Je ne sais pas si ma société Medista survivra à cette lutte. J’en doute. Mais je continue à me battre. Je l’ai créée de toutes pièces. C’est mon enfant, je ferai tout pour lui.” C’est une autodidacte qui sera construite par force de volonté. Enchaînant travail le jour et cours du soir en gestion d’entreprise, elle va ensuite travailler dans plusieurs entreprises pharmaceutiques. Elle achète en 2017, avec l’aide d’investisseurs, la société pharmaceutique Medista dans le Limbourg. Elle va la transformer en une entreprise spécialisée dans le stockage et la distribution de médicaments.

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