“Décidément, le monde politique n’est pas à la hauteur”: quand les économistes alertent sur l’état de l’Europe
La France “malade de l’Europe”, après l’Allemagne. L’Europe à la traîne des Etats-Unis et de la Chine. Le degré d’urgence n’est pas suffisant dans ce contexte géopolitique délétère, constatent les économistes Bernard Keppenne et Bruno Colmant. Quand va-t-on se réveiller? Trop tard?
C’est un cri du coeur, qui domine le blog quotidien de Bernard Keppenne, chief economist chez CBC, ce jeudi 28 novembre: “Décidément, le monde politique en Europe ne semble pas comprendre et mesurer les enjeux qui touchent l’Europe et qui nécessitent des réformes rapides et en profondeur.”
Il en veut pour preuve “la France, deuxième malade de l’Europe” après l’Allemagne. En réalité, c’est le moteur de l’Europe qui est grippé… au pire moment, alors que l’escalade militaire au départ de l’Ukraine effraie et que Donald Trump se prépare à revenir à la Maison-Blanche.
“La France, malade”
“Prenons le cas de la France, soulige Bernard Keppenne, où l’indice de confiance des consommateurs, publié par l’INSEE, montre une très nette dégradation.” L’INSEE constate que “en novembre 2024, l’opinion des ménages sur le niveau de vie passé et futur en France se dégrade de nouveau”. Et “les craintes des ménages concernant l’évolution du chômage augmentent de nouveau nettement”.
Les cas de Auchan, Michelin et tant d’autres illustrent la dégradation.
“Pendant ce temps, que fait le monde politique français, il s’écharpe et menace le gouvernement d’un vote de censure qui provoquerait sa chute, poursuit Bernard Keppenne. Résultat, le différentiel de taux entre le Bund 10 ans et l’obligation française sur la même période s’est nettement élargi et a atteint son niveau le plus élevé depuis juillet 2012.”
Il met en garde: “Compte tenu des débats qui n’en finissent pas et d’un projet de budget qui ne tient plus la route, le Premier ministre va sans doute recourir au fameux article 49.3, avec à la clef une motion de censure qui serait votée par les deux extrêmes. Et après, on fait quoi?“
La BCE n’a pas pour vocation de soulager des questions nationales, écrit Bernard Keppenne. Mais il complète: “Il est en effet évident que la BCE, et dès lors sa politique monétaire, n’est pas là pour régler les problèmes structurels des Etats et n’est pas là non plus pour palier aux absences de prises de décision par le monde politique. Mais la dégradation de la situation en Europe fait qu’une baisse des taux de 0.50% de la part de la BCE en décembre pourrait un peu soulager les ménages et les entreprises.”
“L’Europe est perdante”
Dans ses nombreux posts sur Linkedin, l’économiste Bruno Colmant ne cesse de mettre en garde contre le retour de Trump, le risque d’une extension du conflit ukrainien ou de la perte de compétitivité européenne.
Un dernier exemple, en début de semaine: “La géopolitique traverse un immense basculement, souligne-t-il. Les États-Unis, sous l’administration Trump, vont donner un coup de fouet indescriptible à leurs industries. La Chine, devenue leur principal rival dans de nombreux domaines, notamment l’intelligence artificielle, domine également des secteurs industriels que l’Europe avait jugé commode — et très rentable — de délocaliser dans des pays à salaires plus bas.”
“En décrochant sur le plan de la croissance économique, l’Europe doit affronter des chocs contradictoires, prolonge-t-il. Un éloignement progressif des États-Unis, une concurrence chinoise de plus en plus féroce, et bien sûr, une guerre que, malgré leurs grands discours, les Européens ne pourront ni ne voudront poursuivre sans l’aide américaine.”
“Tout cela pourrait être géré avec soin si l’Europe était politiquement unifiée, constate Bruno Colmant. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Certains pays, comme la France et l’Allemagne, affichent des positions politiques très affirmées, tandis que la Commission européenne repose sur des compromis fragiles. De plus, certains États souhaitent s’extraire du carcan européen pour retrouver une liberté d’action diplomatique et économique, souvent en lien avec les États-Unis. C’est notamment le cas de la Pologne, des Pays-Bas et de l’Italie.”
Alors, on fait quoi? “Je commence à me demander, de manière contre-intuitive, s’il ne faut pas réinventer un modèle plus confédéral et moins fédéral. Une confédération est une union volontaire d’États indépendants qui délèguent certains pouvoirs limités à un organe central commun, tout en restant pleinement souverains. La question mérite d’être posée… car s’impose déjà. Cela mènera à une Europe à plusieurs vitesses.”
En tout état de cause, quand va-t-on se réveiller? Trop tard?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici