Déchets plastiques: la Wallonie joue les “game changers”
Envisager un problème comme une opportunité et se profiler comme un “game changer”, c’est aussi possible dans la sphère publique. La Wallonie le montre à travers ses politiques environnementales et singulièrement le traitement des déchets.
Chiche! Tel est l’état d’esprit de Pierre-Yves Jeholet, alors ministre wallon de l’Economie, quand il lance le défi au début 2019: essayons de recycler nous-mêmes, en Wallonie, les plastiques usagés que nous envoyions parfois très loin, jusqu’en Chine. La belle ambition n’a pas tardé à se concrétiser. Le gouvernement wallon a lancé un appel à projets (avec potentiellement jusqu’à 60 millions d’euros de financement public à la clé) et les suggestions ont afflué d’Europe et d’Amérique du Nord avec toute une série d’acteurs qui ne se seraient sans doute jamais intéressés à la Belgique sans cette initiative gouvernementale.
Il a fallu ensuite sélectionner les projets les plus pertinents et, le cas échéant, les recalibrer en fonction du volume nécessaire à la rentabilité de l’investissement. Deux ans et une crise du Covid-19 plus tard, le premier chantier de construction d’une usine de recyclage de plastiques usagés va pouvoir commencer. Elle permettra de recycler 40.000 tonnes de bouteilles PET par an à Couillet, sur un site appartenant à Tibi, l’intercommunale de gestion des déchets de Charleroi. Cet investissement de 40 millions d’euros (avec sans doute un prêt de la Wallonie, via la SRIW) devrait générer la création d’une quarantaine d’emplois. Il devrait être opérationnel à la fin 2022. Deux autres projets devraient suivre cette année: le recyclage de polymères techniques (plastiques à haute valeur ajoutée, présents notamment dans les appareils électroménagers) piloté par le groupe canadien Lavergne et celui de plastiques rigides par Renewi, une multinationale du recyclage. Ces deux projets représentent un investissement de près de 35 millions, avec une intervention de la SRIW pour une quinzaine de millions.
Des ministres lancent parfois des appels à projets, sans trop savoir ce que cela pourrait donner.”
Didier Paquot, économiste à l’Institut Jules Destrée
La souplesse des autorités publiques
Le “chiche!” de Pierre-Yves Jeholet semble donc porter ses fruits et contribuer ainsi tant à la relocalisation d’activités économiques et qu’à l’émergence de solutions aux défis environnementaux. “La difficulté d’une politique industrielle, c’est souvent l’équilibre entre le top-down et le bottom-up, analyse Didier Paquot, économiste à l’Institut Jules Destrée et fin connaisseur du tissu wallon. Des ministres lancent parfois des appels à projets, sans trop savoir ce que cela pourrait donner et généralement cela débouche alors sur pas grand-chose. Dans le cadre du traitement des plastiques usagés, il y a eu une discussion préalable avec le secteur pour préparer et organiser l’appel à projets. Il faut connaître ce qu’il y a dans le pipe des entreprises avant d’enclencher la machine. En plus, je constate avec plaisir qu’on se limite à quelques projets bien financés, ce qui devrait augmenter l’efficacité économique.”
Dans ce dossier, les autorités publiques ont en outre fait preuve d’une belle souplesse. Il s’est en effet très vite avéré que la rentabilité de certains projets imposait de collecter des flux dépassant celui de la Wallonie. Les autorités régionales se sont donc associées à Fost Plus, la structure nationale de gestion des déchets d’emballage, pour l’usine de recyclage des PET. “Fost Plus garantit l’approvisionnement pendant neuf ans, précise Olivier Bouchat, vice- président du comité de direction de la SRIW. Ces contrats à long terme permettent d’amortir les investissements et d’attirer ainsi des acteurs internationaux.” Conséquence de l’optique nationale: deux autres projets (recyclage des films d’emballage et des polyoléfines mélangées) se concrétiseront en Flandre.
Du matelas à la couche-culotte
La ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo), est bien décidée à poursuivre dans cette voie qui tente de conjuguer les avancées économiques et écologiques. “L’accord de gouvernement prévoit de recycler 70% des déchets ménagers à l’horizon 2030 et de faire ‘maigrir’ la poubelle des Wallons de 150 à 100 kg, explique-t-elle. Quand nous posons ces objectifs politiques, quand nous fixons un cadre réglementaire, nous créons aussi des opportunités économiques.” L’enjeu est alors de parvenir à aiguiller les entreprises vers ces opportunités. Illustration avec… les matelas usagés. Depuis le 1er janvier, il existe en Wallonie une obligation de reprise des vieux matelas à travers les recyparcs. “En parallèle, nous aidons à structurer la filière de recyclage, poursuit la ministre. Il existait une unité pilote de recyclage de matelas usagés à Sombreffe (appartenant au groupe Suez), elle passera en phase industrielle et augmentera ses effectifs de 10 à 30 personnes.” Ce développement devrait également être soutenu par la SRIW dans le cadre de son appel à projets.
Ça fait 30 ans que je travaille dans le secteur et je peux vous dire que l’entreprise qui ne prend pas soin du devenir de ses produits sera un jour ou l’autre appelée à disparaître.”
Luc Baeyens, CEO de Sources Alma
Plus on veut recycler, mieux il faut trier car tous les plastiques n’ont pas les mêmes composants. D’où le grand intérêt de développer des unités de tri avec lecture optique comme celle du groupe Comet (lire l’encadré intitulé “L’intelligence artificielle au service du tri des déchets”) pour les métaux ou comme le futur centre Val’up à Ghlin (Mons) dont le chantier a démarré en octobre dernier. Cet investissement de 30 millions d’euros, piloté par les entreprises Vanheede et Suez ainsi que des intercommunales hainuyères, permettra de séparer 14 fractions différentes de plastique. Cette unité emploiera une centaine de personnes à l’horizon 2022.
A l’état plus embryonnaire, il y a aussi toute une série de projets liés aux plastiques, soutenus par la Wallonie, notamment pour le recyclage des masques chirurgicaux et des couches-culottes (AMB Ecosteryl) ou la production de bioplastiques à partir de déchets alimentaires (PolyPea). “Dans toute la filière, nous avons des acteurs innovants en Wallonie, confie Diego Lancksweert, chargé de projets au sein de Plastiwin, le cluster qui regroupe 120 société actives dans la plasturgie. Je vois toutefois un trou dans la chaîne: quand on broie le plastique pour le recycler, il faut généralement le reformuler, intégrer des additifs qui lui donneront les propriétés souhaitées. A ce niveau-là, nous manquons d’acteurs en Wallonie.” Voilà qui ressemble à une suggestion pour un futur appel à projets…
On ne peut pas penser les choses sans penser à la filière économique derrière.” Céline Tellier, ministre wallonne de l’Environnement (Ecolo)
Ce foisonnement de projets atteste d’un dynamisme réjouissant. Encore faudra-t-il tenir sur la longueur… C’est l’une des craintes de Didier Paquot. “Développer une filière, en combler les chaînons manquants, cela se construit sur de nombreuses années, explique l’économiste de l’Institut Jules Destrée. Cela implique le choix d’un intermédiaire clair entre les acteurs de terrain et l’autorité publique. Le morcellement de la politique industrielle entre les outils financiers, les pôles de compétitivité, les clusters ne favorise pas une bonne coordination globale. Enfin, une filière ne se bâtit pas en une législature. Trop souvent, quand on change de ministre, quand on change de coalition, un dossier n’est plus aussi prioritaire qu’avant.”
Un cas unique d’économie circulaire
Vous ne connaissez pas Sources Alma? Mais peut-être connaissez-vous Cristalline, Saint-Yorre, Saint-Amand, Pierval ou Vichy Célestins? Toutes ces marques d’eau minérale possèdent un point commun: l’embouteillage assuré par Sources Alma, une société familiale qui gère 45 sites à travers l’Europe de l’ouest. C’est donc un acteur de poids, leader sur le marché français, qui vient investir en Belgique pour construire l’usine de recyclage des bouteilles en PET à Couillet (Charleroi). Sources Alma intervient ici aux côtés de Suez, l’un des leaders mondiaux du traitement des déchets.
>>> Lire aussi: “L’économie circulaire est une opportunité”
Cet investissement, amorcé et soutenu par les pouvoirs publics via un prêt de la SRIW, illustre deux préoccupations économiques actuelles: la relocalisation et la circularité. L’usine traitera des déchets qui étaient pour l’essentiel expédiés à l’étranger, parfois jusqu’en Asie. Bientôt, le flux sera intégralement recyclé à Couillet, ce qui générera 40 emplois. Les bouteilles seront triées, lavées, broyées et transformées en granulés, lesquels serviront ensuite à la fabrication de nouvelles bouteilles destinées au marché belge. “Nous sommes en plein dans une véritable économie circulaire, commente Luc Baeyens, CEO d’Alma. Réunir comme cela toute la chaîne – la fabrication des bouteilles, le remplissage, le transport, la distribution, la collecte des déchets, le broyage et le recyclage – je pense que c’est un exemple unique au monde. La Belgique peut en être fière. C’était quand même malheureux de voir tous ces déchets partir à l’étranger, parfois très loin. Les traiter ici, c’est bon pour l’économie, pour l’emploi et pour l’environnement. Ça fait 30 ans que je travaille dans le secteur et je peux vous dire que l’entreprise qui ne prend pas soin du devenir de ses produits sera un jour ou l’autre appelée à disparaître. Nous devons faire attention à la planète. Ne pas songer à la réutilisation et au recyclage, c’est ridicule.”
L’arbre ne cache pas la forêt économique
Les articulations entre économie et environnement ne se limitent pas au traitement des déchets et Céline Tellier entend bien y être attentive, convaincue qu’elle est que la nature n’est pas une contrainte mais une opportunité économique. Même dans un dossier sur lequel on a pas mal ironisé comme celui de la plantation de 4.000 km de haies durant la législature, la déclinaison économique est prise en compte. Rien ne sert en effet de coucher un bel objectif dans un accord de gouvernement, si l’on ne s’assure pas que le secteur peut produire des haies et des arbres en suffisance. “On ne peut pas penser les choses sans penser à la filière économique derrière, explique la ministre de l’Environnement. Nous avons discuté avec les pépiniéristes, nous avons conclu des contrats de culture sur plusieurs années pour leur donner de la prévisibilité à long terme. Phaser la mise en oeuvre du plan en adéquation avec les capacités de production du secteur, c’est parfois un peu une course contre la montre pour y parvenir mais cela devrait permettre d’augmenter de 25% l’emploi dans ce secteur (+ 250 emplois).”
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Céline Tellier a également lancé une série de projets en matière d’alimentation (filière de céréales panifiables, création de conserveries, etc.) et rêve de pouvoir faire la même chose concernant l’écotourisme. Elle est particulièrement impressionnée par le succès du parc naturel de Haute Campine, qui a permis de créer 5.000 emplois en 10 ans dans la province de Limbourg et qui pourrait bien inspirer un volet du plan de relance wallon. ” C’est à côté de chez nous, dans une ancienne région industrielle, il y a certainement des leçons à en tirer, précise la ministre Ecolo. A travers le tourisme, nous pouvons avoir de belles avancées environnementales, économiques et sociales, j’y travaille avec ma collègue Valérie De Bue ( ministre du Tourisme, Ndlr). Ce serait en outre un élément de fierté pour la Wallonie et la Belgique, ce qui est essentiel si vous voulons sortir par le haut de crise.”
L’intelligence artificielle au service du tri des déchets
Dans le domaine des déchets métalliques aussi, les entreprises wallonnes se montrent innovantes. Le groupe Comet prévoit un investissement de 9,4 millions d’euros en vue d’implanter à Obourg (Mons) une chaîne de tri robotique capable de séparer, en un seul passage, une vingtaine de classes de métaux là où les techniques classiques ne peuvent séparer que deux produits à la fois.
Cette usine, qui aura une capacité de traitement de 20.000 tonnes par an, permettra de récupérer différentes matières premières, issues du démantèlement de véhicules et d’appareils électroménagers. Nous sommes là dans le coeur de métier de Comet. “L’essentiel du tonnage (75%) consiste en de l’acier, qui reprend directement la direction de l’industrie de la métallurgie, explique Pierre-François Bareel, CEO de Comet Traitements. Mais dans le quart restant, de nombreux métaux restent intéressants à valoriser comme le cuivre, le zinc, le laiton ou l’aluminium. Or, le tri manuel a disparu chez nous et une bonne part des flux prend la direction de l’Asie et du tri à bas coût. Il y a donc une double perte de valeur, puisque ces matériaux font le chemin inverse une fois triés.”
Le recours à l’intelligence artificielle pour réaliser le tri permettra de rapatrier l’activité et de créer ainsi une quinzaine d’emplois à Obourg. L’histoire ne s’arrêtera peut-être pas là. En effet, la technologie Multiplick est si novatrice dans le monde du tri qu’elle ouvre des perspectives d’application dans d’autres matières que le métal (plastiques, caoutchouc, etc.) et de développements commerciaux pour Comet et ses partenaires.
Le chantier de construction de la nouvelle usine devrait démarrer l’automne prochain. Cela ponctuerait un travail initié il y a cinq ans associant Comet Traitements, l’Université de Liège (unité de recherche GeMMe) pour le volet recherche et développement et Citius Engineering pour l’intégration industrielle. “Le recyclage des métaux est un défi constant vu les nombreux supports recelant ce type de matériaux, des smartphones aux voitures en passant par les électroménagers ou les emballages, commente Eric Pirard, professeur à l’université de Liège. Nous avons donc besoin d’innovations technologiques qui détectent ce que le tri manuel ne permet pas. C’est dans cette dynamique-là que nous avons conçu cette ligne de tri.”
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