Carte blanche

De l’interdiction de vendre des véhicules neufs personnels à essence ou au diesel

La Belgique (ainsi que huit États membres de l’UE) a signé un document à destination de la Commission européenne pressant cette dernière de fixer un calendrier précis d’interdiction progressive de ventes de voitures neuves à usage personnel fonctionnant à l’essence ou au diesel. Cette pseudo progressivité est en réalité un souhait de bannissement rapide de tous véhicules à combustion interne et leur remplacement par des voitures électriques ou à pile à combustible.

Qu’en est-il de ces technologies dites durables aux performances incertaines ? Sont-elles en position de se substituer totalement et rapidement à celles qui ont fait leur preuve depuis de très nombreuses décennies ?

Commençons notre analyse par une considération économique.

Il est notoire que le prix des voitures électriques (VE) ou à hydrogène qui sont censées remplacer les véhicules à combustion interne précitées, est prohibitif [1] (deux à trois fois plus élevé, voire davantage [2]). La même constatation s’applique aux batteries et à l’hydrogène proprement dit, tous deux au coeur des technologies “durables” proposées. Nous verrons, ci-après, qu’elles ne sont pas aussi “vertes” que le prétendent leurs ardents défenseurs.

De l’interdiction de vendre des véhicules neufs personnels à essence ou au diesel.

Il nous est bien entendu loisible d’imaginer que l’ingéniosité des ingénieurs parvienne rapidement à diminuer drastiquement les coûts dont il est question ci-dessus, à augmenter l’autonomie trop faible des voitures électriques et à réduire l’impact des basses températures sur la performance des batteries. Mais même dans ce cas, tout n’est pas résolu pour autant ! Deux difficultés majeures subsisteraient si le parc de véhicules personnels devenait très largement, voire totalement vert: la disponibilité d’infrastructures adéquates, d’une part, et les quantités suffisantes d’énergie électrique requises pour recharger les batteries des VE et d’hydrogène pour ravitailler les voitures à pile à combustible (pour autant que cette technologie devienne suffisamment compétitive pour pénétrer le marché), d’autre part.

Deux difficultés majeures subsisteraient si le parc de véhicules personnels devenait très largement, voire totalement vert.

Une analyse quelque peu plus approfondie est nécessaire pour mieux cerner l’amplitude du problème.

Commençons par les stations de recharge électrique.

Elles sont très peu nombreuses et mal distribuées sur le territoire européen, même en Allemagne pourtant à la pointe de la mobilité “verte”. Les réseaux de distribution sont à ce point lacunaires que les constructeurs, voire les entreprises qui investissent dans une flotte de voitures électriques de société, sont contraints de financer eux-mêmes les bornes de recharge pour vendre leurs voitures ou permettre à leurs employés de les utiliser, alors qu’il s’agit d’une responsabilité des pouvoirs publics. C’est une approche typique des politiques vertes : commencer par subventionner ce qui est conforme à leurs objectifs (dans le cas qui nous occupe les voitures dites propres) pour éliminer plus facilement ce qui n’en fait pas partie (les voitures à essence et diesel) sans se préoccuper des conséquence de leurs décisions.

En outre, il faut prévoir les infrastructures requises pour livrer l’électricité là où elle est nécessaire. Sont concernées tant les bornes publiques parfois éloignées des réseaux de distribution existants que les bornes situées dans des garages, des parkings de centres commerciaux ou d’entreprises, pas nécessairement connectées de manière adéquate pour l’usage.

Est-il bien raisonnable de précipiter le développement de la mobilité verte telle que conçue actuellement ?

Quant à la production d’électricité, amputée d’une partie de ses centrales nucléaires dès 2022 et de la totalité en 2025 (précisément au moment où elles seraient les plus nécessaires), elle ne pourra pas répondre à la demande électrique résultant de la pénétration accélérée des VE [3] sans de nouvelles centrales à gaz d’une capacité totale nettement supérieure à celle qui est prévue pour compenser la fermeture du nucléaire, d’autant plus que la capacité annoncée pour cette compensation est déjà très insuffisante. Un bel exemple d’incohérence : l’interdiction de voitures émettrices de gaz à effet de serre (GES) conduit à l’augmentation importante de génération d’électricité thermique émettrice de ces gaz abhorrés.

À titre d’exemple, au Royaume-Uni, en l’absence de combustible fossile et sans une forme de stockage d’énergie à très grande échelle, les énergies renouvelables devraient produire de l’ordre de 250% de la demande de pointe en hiver pour satisfaire la consommation de transport durable et de chaleur avec installation généralisée de pompes à chaleur, alors que le solaire et l’éolien généraient, en 2020, environ 25% des besoins électrique au milieu de l’été ![4]

Notons, en passant, qu’il y a peu de chance que la capacité électrique supplémentaire requise soit disponible à temps vu le nombre de milliers de MW requis. Ils sont d’autant plus élevés que le nombre de bornes à recharge rapide, de 50 à 100 kW selon la vitesse de recharge, est plus important. Il en résulterait que la pénétration des VE requérant des aides financières et fiscales massives, serait fortement ralentie vu le déficit d’électricité nécessaire à la recharge des batteries.

C’est ce que confirme Akio Toyoda, Président de Toyota, en disant que si les VE sont adoptées trop rapidement, le Japon ne disposera pas de l’énergie pour les fréquentes recharges. C’est ce à quoi doit s’attendre le Président Biden s’il met immédiatement à exécution sa volonté de remplacer la flotte de voitures gouvernementales par des VE, c’est-à-dire 643 000 véhicules.

Outre les problèmes d’infrastructures et d’approvisionnement d’énergie électrique, la disponibilité des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries est également problématique.

Une seule batterie lithium ion de 1000 livres contient, entre autres, environ 25 pounds de lithium, 30 de cobalt, 60 de nickel, 110 de graphite et 90 de cuivre.

La production globale actuelle de ces minéraux est concentrée dans un nombre limité de pays : le cobalt, en République démocratique du Congo (60% de la production mondiale), le lithium, en Australie et au Chili (respectivement 60% et 19%), le manganèse, en Afrique du Sud et en Australie (respectivement 30% et 17%) et le graphite naturel, en Chine (68%).

La production de ces minéraux clés requiert environ 90 000 pounds de minerais et le déplacement d’une moyenne de 500 000 pounds de terre. La fabrication d’une seule batterie consomme une énergie équivalente à 100 barils de pétrole.

En outre, des terres rares tels que le néodyme, sont utilisées dans la fabrication des rotors des moteurs électriques.[5]

Étant donné le besoin de quantités énormes de métaux dont certains sont rares, comment peut-on envisager une mobilité entièrement électrique.

Ainsi, si le Royaume-Uni remplaçait la totalité de sa flotte de véhicules par des VE et en supposant l’utilisation de batteries les plus frugales de nouvelle génération, les 3/4 de la production mondiale de carbonate de lithium, la totalité de la production de néodyme et plus de la moitié de celle de cuivre seraient nécessaires [6].

En outre, l’extraction et le traitement des minerais contenant les métaux nécessaires au bon fonctionnement des batteries sont souvent peu éthiques.

C’est le cas, par exemple, du cobalt : selon un rapport récent des Nations-Unies de nombreuses mines de cobalt, en République du Congo, emploient de très jeunes enfants sans équipements adéquats pour des tâches extrêmement dangereuses, et du lithium : l’exploitation des très grands gisements situés dans le nord du Chili, une des régions les plus désertiques du monde (désert d’Atacama), consomme de très grandes quantités d’eau au détriment des activités fermières locales (culture de quinoa et élevage de lamas).

L’extraction et le traitement des minerais contenant les métaux nécessaires au bon fonctionnement des batteries sont souvent peu éthiques

Enfin, il est bon de rappeler que la moitié des émissions de GES durant le cycle de vie d’une VE provient de l’énergie consommée pour l’extraction et le traitement des minerais dont question ci-dessus. Avant son utilisation, une VE neuve est déjà responsable d’une émission de 30 000 pounds de GES au lieu de 14 000 pour une voiture conventionnelle. [7]

Un autre type de véhicule considéré comme “propre” est celui qui utilise une pile à combustible générant de l’électricité à partir d’hydrogène à condition, toutefois, que ce dernier soit vert, c’est-à-dire que l’électrolyseur, servant à sa production, doit être alimenté en électricité renouvelable.

Cette technologie n’en est qu’à ses débuts. Elle souffre de défauts similaires à ceux des voitures électriques : des prix prohibitifs pour la grande majorité des citoyens, une disponibilité incertaine, voire illusoire, d’hydrogène en quantités suffisantes à des prix compétitifs, un déficit temporel de stations de remplissage en nombre suffisant sur tout le territoire et l’utilisation de métaux rares.

L’hydrogène présente des risques spécifiques :

  • une propension à s’échapper à travers des parois étanches à l’eau et aux gaz, facilitée par sa basse viscosité et son faible poids moléculaire ;
  • un danger d’explosion et d’incendie dû à son extrême inflammabilité ;
  • la fragilisation des métaux et des alliages par altération de leurs propriétés mécaniques ;
  • des réactions explosives en présence de quelques molécules dans des conditions spécifiques (lumière, chaleur, énergie dégagée par des turbulences).

Ces propriétés font de l’hydrogène une des substances les plus dangereuses à manipuler. Dans un environnement industriel, cela ne pose pas de problème majeur vu le professionnalisme des opérateurs et les normes de sûreté et de sécurité spécifiques mises en place.

La situation est fort différente lorsqu’il s’agit de véhicules à hydrogène et de stations- service : il n’y a pas de réglementations aussi strictes, de protocoles aussi rigoureux pas plus que de formations professionnelles. Peut-on négliger de prendre en considération cette réalité avant de se lancer dans une production massive de voitures à hydrogène ?

Il n’en reste pas moins que de nombreux constructeurs européens, américains et asiatiques se sont lancés dans le développement de ce type de voiture. Plusieurs voitures à pile à combustible sont déjà arrivées au stade de la commercialisation, dont la Toyota Mirai à pile à combustible (154 chevaux) et la sud-coréenne Nexo de Hyundai. Toutes deux ont une grande autonomie et sont à recharge rapide à la différence des VE.

Le déploiement de cette technologie requiert des aides financières publiques (donc à charge des contribuables) très importantes, voire excessives, pour convaincre les automobilistes de se convertir à la mobilité “durable”, entre autres, les primes à l’achat et à la casse, les bonus écologiques et les réductions de la TVA. Vu qu’on est au début d’un processus, il est vraisemblable que cette contribution publique durera de nombreuses années.

Ces dépenses considérables aboutiront-elles à une technologie compétitive et performante et permettront-elles une production de masse ?

La mobilité à partir d’hydrogène sera-t-elle rentable ? L’industrie de la voiture électrique se développera-t-elle comme l’espèrent leurs promoteurs ? Quid de la disponibilité des matériaux et de l’énergie en cas de production massive ? Dans quelle mesure le marché européen dépendra-t-il de fournisseurs asiatiques, avec quels risques ? Les deux systèmes de propulsion peuvent-ils coexister ? L’un ne va-t-il pas déplacer l’autre ? Beaucoup de questions (discutées dans cet article), autant d’incertitudes.

Dès lors, est-il bien raisonnable de précipiter le développement de la mobilité verte telle que conçue actuellement ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Président du Pôle Energie, Climat, Environnement à l’Institut Thomas More.

[1] Si les prix restaient très élevés, seuls ceux pouvant s’offrir cette technologie, c’est-à-dire les plus riches, bénéficieraient des subventions et autres avantages associés à de tels achats.

[2] Le prix de la Toyota MIRAI (voiture à hydrogène de 154 ch) est de 79 900 euros. Elle n’a été acquise que par quelque 800 automobilistes en Europe et 11 000 dans le monde.

[3] Voitures Électriques

[4] Electrifying the UK, Michael Kelly, The Global Warming Policy Foundation, 2020.

[5] Mark Mills, Mines, Minerals, and “Green” energy: A Reality Check, Manhatten Institute, July 9, 2020.

[6] Michael Kelly, Electrifying the UK and the want of engineering, the Global Warming Policy Foundation, 2020.

[7] Troy Hawkins et al., Comparative Environmental Life Cycle Assessment of Conventional and Electric Vehicles, Journal of Industrial Ecology.

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