“Dans le domaine du numérique, l’Union Européenne a besoin d’un marché domestique unique pour peser au niveau mondial”
Le numérique, de manière générale, et les technologies nouvelles, en particulier, ne font que croître en importance au fil du temps au point de devenir incontournables, leur champ d’application s’étendant à un large pan des activités humaines.
Le Covid 19 en a accéléré l’expansion. C’est, en effet, le recours à cette technologie qui permet l’adaptation du mode de vie des populations aux circonstances exceptionnelles qu’impose cette épidémie: télétravail, enseignement à distance, conférences et colloques virtuels, cybersécurité etc.
Il est dès lors indispensable que l’UE en assure la maîtrise. Il en va de son indépendance, de la préservation de ses valeurs et du développement de son industrie. Hélas, depuis quelque deux décennies, la place de cette dernière a régressé dans l’espace européen, les États membres, à l’exception notable de l’Allemagne, ayant privilégié le secteur des services et “l’entreprise sans usine”.
Au sein de l’UE, le poids de l’industrie s’est réduit peu à peu, passant de 27,8% à 24,8% du PIB entre 2000 et 2019. Même si la Chine et la Russie n’échappent pas à ce déclin, il faut noter que l’industrie y représentait encore, en 2018, respectivement 41% et 32% du PIB, soit nettement plus que l’UE.[1] Et c’est, bien entendu, la Chine qui est la principale bénéficiaire des parts de marché délaissées et ce dans de nombreux secteurs : automobile, télécom, numérique etc. Même l’Inde est (modestement) de la partie : son PIB vient de dépasser celui de la France.
Selon les projections de CEBR (Center for Economics and Business Research) vers 2032, l’économie indienne devrait devenir la 3ème puissance économique mondiale. Entretemps, le Chine aura détrôné les Etats-Unis, tandis que le Japon et l’Allemagne occuperont respectivement la 4ème et 5ème place. La France se placerait en 9ème position, le Brésil occuperait la 6ème place, le Royaume-Uni la 7ème et la Corée du Sud la 8ème.
L’Europe est un bloc important par sa démographie, mais les États membres opèrent en ordre dispersé ce qui fait de l’UE une puissance économique beaucoup plus faible que ce qu’elle pourrait être.
Dans le domaine du numérique, en particulier, l’Union Européenne a besoin d’un marché domestique unique pour peser au niveau mondial, avec tout ce qu’une telle ambition implique en matières, entre autres, de normalisation, de règles communes, d’interconnexions, de coopérations transfrontalières, sans oublier un cadre législatif favorable au développement d’entreprises européennes de taille internationale.
À ce propos, le moins que l’on puisse dire est que la Commission européenne ne promeut pas la constitution de puissants groupes industriels, cependant seuls capables d’être compétitifs face aux entreprises géantes telles que les GAFA aux Etats-Unis ou Alibaba et Tencent en Chine. Celles-ci n’ont pu connaître leur expansion foudroyante que grâce au vaste marché intérieur de leur pays.
La fusion des activités ferroviaires de Siemens et d’Alstom est un cas d’école à cet égard. La Commissaire européenne Vestager l’a jugée néfaste pour la concurrence à l’intérieur de l’Union, principalement dans les créneaux des trains à très grande vitesse et de la signalisation ferroviaire, et l’a donc interdite. [2]
L’Union Européenne, par son obstination à faire prévaloir des concepts aux dépens du pragmatisme qu’exige une ambition internationale, ouvre une voie inespérée aux autres puissances économiques vers la domination du marché mondial.
L’ICT ( Information and Communications Technology) du futur visant, entre autres, à :
- établir des connexions et des communications quasi instantanées (faible temps de latence et vitesse de téléchargement des données multipliée par mille) et plus fiables, pour usages professionnels et privés,
- et connecter beaucoup plus d’applications et d’appareils entre eux (Internet of Things),
permettra la mise en service d’applications nécessitant la technologie numérique à haut débit, dans des domaines aussi variés que l’industrie, la médecine et le transport, par exemple, le développement de villes et résidences intelligentes, le contrôle à distance d’infrastructures critiques ou d’interventions chirurgicales robotisées.
De larges pans de l’activité humaine sont concernés : les hôpitaux, les centres commerciaux, les écoles, les centres sportifs, les usines, les installations de production d’électricité et de chaleur, etc.
Le volume considérable de données en jeu ainsi que le besoin de rapidité et d’efficacité de leur transmission rendent la 5G (5ème génération de la technologie de connectivité mobile) indispensables.
Cette dernière fait l’objet d’oppositions, parfois violentes, comme c’est le cas pour quasi toutes les nouvelles technologies disruptives, au motif de risques sanitaires résultant d’une exposition aux champs électromagnétiques radiofréquences, sans en apporter la preuve scientifique.
Les antennes relais de la technologie 5G à ondes millimétriques sont de faible puissance (nettement plus faible que la 4G), à décroissance très rapide avec la distance.
Alors que la Commission européenne a approuvé la boîte à outils commune de mesures d’atténuations sur laquelle les États membres de l’UE se sont mis d’accord pour faire face aux risques en matière de sécurité liés à la 5G et que les États membres l’ont adoptée, il ne faudrait pas que le déploiement de celle-ci soit ralentie voire reportée au nom d’un principe de précaution disproportionnée. Toute tergiversation serait préjudiciable voire fatale à la compétitivité de l’Europe sur le marché mondial.
Carte blanche de J.P. Schaeken Willemaers, président de l’Institut Thomas More
[1] Comprendre l’Europe, Vincent Lequeux, Barthélémy Gaillard, 11.03.2020.
[2] Cette décision fait l’affaire de groupes industriels hors Union Européenne tels que Bombardier ou, dans un avenir plus lointain, le chinois CRRC.
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