Cristina Kirchner ou la victoire du miracle argentin

© REUTERS/Martin Acosta

En Argentine, Cristina Kirchner a été réélue présidente ce dimanche dès le premier tour. Son triomphe couronne une réussite économique inespérée, dix ans après la grande crise de 2001. Mais gare à la surchauffe…

“En avant Cristina, en avant l’Argentine”… Ce dimanche soir, sur la place de Mai, à Buenos Aires, comme des milliers d’Argentins, la famille García chante la victoire de Cristina Kirchner, réélue à la tête du pays avec 53,42 % des voix contre 17,18 % des voix à son principal rival, le socialiste Hermes Binner, et 11,43 % au radical Ricardo Alfonsin.

Un plébiscite historique notamment lié au charisme de celle qui a pris des airs de veuve courage depuis la mort de son mari et prédécesseur Nestor Kirchner, à la faiblesse de l’opposition, mais surtout à la forte croissance du pays: plus de 9% cette année. “Nous vivons un miracle, un véritable miracle”, répète, les larmes aux yeux Isabel, 59 ans, doyenne de la famille Garcia, venue de José.C Paz, banlieue défavorisée de Buenos Aires, avec ses enfants et petits-enfants. Un miracle, peut-être pas, mais une situation en tout cas inespérée dans un pays qui traversait il y a dix ans l’une des pires crises économiques de l’histoire.

En 2001, l’Argentine est en effet vampirisée par une dette équivalente à 150 % du PIB, sa compétitivité plombée par la parité fixe entre le peso et le dollar, son économie atrophiée par des privatisations et des plans de rigueur notamment impulsés par le FMI. Une situation intenable qui mène à l’explosion sociale. “En décembre 2001, nous étions ici, sur cette même place de Mai, mais avec des casseroles, pour mettre à la porte nos dirigeants”, se souvient Matias, l’un des fils d’Isabel. Cinq chefs d’Etat se succèdent alors en une semaine. Le jour de Noël, le pays suspend le paiement de sa dette…

Dans un premier temps, les conséquences du defaut de paiement argentin sont brutales. Le PIB chute de 10% en 2002. Le chômage bondit à 25%. La moitié de la population vit alors sous le seuil de pauvreté. “Quand Nestor (Kirchner) est arrivé en 2003, le pays touchait le fond”, se souvient Isabel. Mais la situation se redresse rapidement, notamment grâce à un interventionnisme assumé, traduit par de nombreux plans d’aide sociale et de soutien à l’emploi. La pension de veuve d’Isabel a été doublée. L’une de ses filles vient de se voir offrir une maison neuve par le gouvernement dans le cadre d’un programme de relogement. Et la femme de Matias touche la récente allocation universelle pour enfant.

Dans le même temps, cinq millions de postes ont été créés. Ce semestre, le chômage ne dépasse pas les 7%, le taux le plus bas en Argentine depuis vingt ans. “Pour nous, c’est simple, nous vivons le meilleur moment de notre vie”, témoigne Daniel, 52 ans. En 2000, il est mis à la porte de son entreprise de logistique, se convertit en taxi, avant de retrouver un emploi dans une entreprise publique, avec deux promotions ces dernières années. Son épouse, Nora, a également retrouvé du travail, à 48 ans. Des mesures taxées de populisme par l’opposition mais qui dopent la consommation, en hausse de 4% par an depuis 2003. Nora et Daniel viennent d’ailleurs de s’acheter une voiture et d’accéder à la propriété.

L’activité est aussi stimulée par un protectionnisme croissant. “Il faut relancer une industrie locale anéantie. En 2001, même les cure-dents étaient importés d’Itali”, plaide Abraham Gak, président du groupe d’économistes Fenix, qui a l’oreille du gouvernement. Une façon aussi de faire entrer des devises dans un pays qui ne peut plus se financer sur les marchés.

Pour cela, l’Argentine a aussi bénéficiéde la dévaluation pour ces produits manufacturés plus facilement vendus à l’étranger, et du boom des matières premières, notamment du soja, l’or vert argentin, que l’on voit envahir les champs du pays pour nourrir les appétits de la Chine et des Etats-Unis. En taxant judicieusement ces exportations, l’Argentine a renfloué ses caisses et pu rembourser dès 2005 son dû au FMI (10% de sa dette), puis imposer ses conditions à ses autres créanciers, avec une décote de 50 à 70% acceptée par la majorité d’entre eux. Aujourd’hui, 90% de la dette est donc restructurée et réduite à 50 % du PIB. Le reste doit encore être négocié avec le Club de Paris.

Bien sûr, les ombres au tableau ne manquent pas. Le “système K” est en surchauffe constante, avec une inflation de 25% par an selon les instituts indépendant (10% officiellement). Dans un contexte de crise internationale, la forte dépendance aux exportations et l’augmentation des dépenses publiques sont également pointées du doigt. La corruption, l’évasion fiscale, comme le travail au noir (près de 30% de la population active) font partis du quotidien. Le second mandat de Cristina Kirchner s’annonce donc plus complexe. Mais pour l’heure, les Argentins se classent parmi les plus optimistes au monde face à la crise mondiale, plus de la moitié d’entre eux croyant en des lendemains meilleurs, selon un récent sondage. “Vous verrez, nous serons bientôt au niveau de la France”, lance même un autre couple croisé ce dimanche devant la Casa Rosada.

Alice Pouyat, à Buenos Aires

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