Coup d’œil dans le rétro: retour sur la législature de Philippe Henry (Ecolo)

Philippe Henry, ministre wallon du Climat et de l'Energie - BELGA PHOTO BRUNO FAHY © Belga
Baptiste Lambert

L’énergie et la mobilité, deux thématiques qui déchaînent souvent les passions. Parce qu’elles sont centrales et touchent au portefeuille des citoyens. En gérant ces deux compétences, le ministre wallon s’est retrouvé en première ligne.

Philippe Henry (Ecolo) nous reçoit dans son cabinet, dossiers sous le bras. Ne comptez pas sur l’ingénieur de formation pour faire des déclarations fracassantes. Il répond toujours de manière analytique, mais n’esquive aucune question.

Pourtant, les dossiers chauds n’ont pas manqué durant cette législature. Chacune des décisions ou presque de Philippe Henry a fait l’objet de critiques, face à deux perspectives difficilement conciliables : la fin du mois et la fin du monde.

Nous avons passé en revue une série de dossiers qui, à un moment ou un autre, ont pu créer la polémique. La dernière en date est liée à la réforme des tarifs d’électricité. Elle ne sera d’application qu’en 2026, mais elle suscite déjà de nombreuses réactions. Derrière la bonne intention de consommer l’énergie quand elle est produite pourrait survenir, entre le tarif vert et le tarif rouge, une explosion des coûts.

Ce n’est là qu’un exemple des dossiers importants qui ont émaillé la législature. Capacité du réseau électrique, décrochage des onduleurs, nucléaire, bornes de recharge, voitures électriques et mobilité… Voici le coup d’œil dans le rétro de ­Philippe Henry.

TRENDS-TENDANCES. Ressentez-vous cette crispation des citoyens ?

PHILIPPE HENRY. Oui, clairement. Connaître une succession de crises majeures a été très difficile pour eux. Nous avons réalisé nos objectifs dans beaucoup de domaines, mais nous avons aussi dû gérer des crises extrêmement dures. Il est tout à fait logique que cela produise de l’angoisse. Par ailleurs, on est en pleine transition, notamment sur le plan de l’énergie.

En réalité, tout est lié à la production d’énergie et à la sortie du fossile, dont vont dépendre notre indépendance énergétique et notre capacité économique futures. Nous vivons une transition vers des énergies renouvelables, vers une autre manière de produire et de distribuer l’énergie, vers une réduction de notre consommation d’énergie chaque fois que c’est possible.

Les transitions ne sont faciles pour personne – ni pour les entreprises, ni pour les citoyens. Et donc, nous devons faire en sorte d’accompagner celles et ceux qui sont dans la difficulté.

La réforme des tarifs d’électricité ne va-t-elle pas faire exploser la facture pour une série de citoyens ? Pensons par exemple au travailleur qui n’a pas d’autre choix que de consommer en ­soirée…

En fait, la facture explosera si on garde le même système qu’aujourd’hui. Et si tout le monde consomme en même temps, il faudra très fortement adapter le réseau et ça coûtera extrêmement cher. On veut éviter ça.

La première chose à faire, ce sont les économies d’énergie. Il faut isoler les bâtiments. Ensuite, ce qui coûte le moins cher, c’est déplacer les consommations. Il faut trouver un équilibre entre l’offre et la demande.

Aujourd’hui, on est dans l’optimisation : on doit essayer de déplacer tout ce qu’il est possible de déplacer. Pour certaines choses, c’est simple : le chauffe-eau, la machine à laver, le lave-vaisselle et même les voitures électriques, ce n’est pas du tout compliqué à programmer.


“Les voitures n’arrêtent pas de grossir, c’est un phénomène marketing, quasiment culturel, contre lequel il faut lutter.”

Oui, mais si un ménage possède deux véhicules électriques, il ne peut tout de même pas aller changer la prise en pleine nuit ?

D’abord, il faut se rappeler que la consommation moyenne d’une voiture par jour en Wallonie, c’est 40 km. Donc, tout le monde n’a pas besoin d’une recharge complète tous les jours. Mais le plus important, ici, c’est qu’on n’est pas obligé d’opter pour cette nouvelle tarification. Cela va rester un choix individuel.

Et ça pourrait devenir très intéressant – jusqu’à trois fois moins cher pour le tarif en milieu de journée ou la nuit par rapport au tarif mono-horaire actuel. Par contre, oui, entre 17 et 22 heures, ce sera plus cher. Pas cinq fois, comme cela a été présenté de manière fallacieuse, mais environ 10 % plus cher. Car le tarif ne joue que sur 25 % de la facture.

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Le décrochage des onduleurs a fait beaucoup de bruit. Les prosumers pourront recevoir jusqu’à 484 euros de compensation par an. La facture pourrait donc être salée ?

Oui, effectivement. Mais les prosumers avaient besoin d’un signal. Il n’est pas normal que les personnes qui avaient investi dans des panneaux solaires ne puissent pas voir leur production absorbée par le réseau. Ce qui est vrai aussi, c’est que les réseaux ne se sont pas développés assez rapidement. Le réseau n’était pas adapté pour recevoir de la production d’électricité de manière décentralisée. Et quand il y a du soleil, tout le monde produit en même temps et le réseau sature. Donc, en premier lieu, il doit s’adapter. Ça ne peut pas se faire de manière instantanée, mais il y a des solutions rapides, comme celle qui consiste à réorganiser le câblage dans les cabines.

Pour le reste, le gouvernement a déployé des moyens très importants : 214 millions d’euros iront aux gestionnaires de réseau (GRD) cette année. Le signal que l’on a donné n’est pas celui des indemnisations. Le GRD aura d’abord quatre mois pour régler le problème.

Mais a-t-on évalué ce que ces indemnités pourraient coûter aux GRD, dont les communes sont actionnaires ?

C’est difficile à dire. Parce que ça dépend de la météo. De plus, on n’a toujours pas de cadastre des décrochages. Ce sera fonction du nombre de personnes qui feront la démarche et donc, du nombre de décrochages. On n’a donc pas d’évaluation précise, mais ça pourrait coûter plusieurs dizaines de millions d’euros, oui.

Alors que les GRD doivent investir en même temps dans le réseau, n’est-ce pas contre-­intuitif ?

Il faut bien que quelqu’un paye. Il est normal que cela revienne aux GRD qui sont en défaut d’absorption de la production électrique.

Mais c’est vous qui avez fixé le montant de cette indemnisation. Certains disent que vous avez trop concédé à la puissante ASBL BeProsumer…

Je comprends, mais les décrochages nous ont aussi été reprochés. On pointait du doigt le manque d’action du gouvernement. Ce système est quelque chose de nécessaire, mais de transitoire.

Votre coprésident de parti ne voit pas d’avenir dans le nucléaire. Pour obtenir du 100 % renouvelable, il faudra notamment passer par de l’éolien terrestre en Wallonie. Mais on voit qu’il est de plus en plus difficile de mettre en place des projets d’envergure.

Il est de plus en plus difficile de mettre en place des projets de quelque nature que ce soit. J’ai toujours trouvé que l’opposition aux éoliennes était déraisonnable. Bien sûr, il y a un impact paysager, mais les activités humaines ont elles aussi des retombées visuelles, sonores ou environnementales. Les éoliennes, c’est un moyen de devenir plus autonome, au contraire du pétrole ou de l’uranium. J’ai toujours trouvé surprenant qu’on ne voie pas leur intérêt. Dans tous les cas, l’éolien terrestre ne suffira pas. Il faut aussi de l’interconnexion avec la production proche de nous.

Le nucléaire français, par exemple…

Je vous signale que pour le moment, c’est plutôt nous qui alimentons la production française. Ils ont beaucoup de problèmes avec leurs centrales. Notre éolien offshore est une très grosse production. Ce qui est une excellente nouvelle. Mais il y a beaucoup d’autres choses : la récupération de chaleur, la géothermie, l’énergie hydraulique, la biomasse et, bien sûr, le photovoltaïque. Notamment au niveau des entreprises et des grandes surfaces de toiture, comme les bâtiments ­agricoles.

Parlons énergie et mobilité. Le déploiement des bornes de recharge en Wallonie est à la traîne par rapport à la Flandre.

J’ai hérité d’une situation où il n’y avait à peu près rien. C’est vrai, le parc de bornes s’est déployé fort tardivement en Wallonie, mais on n’est pas en retard.

Le nombre de voitures électriques en Wallonie n’est-il pas sous-estimé ? La plupart d’entre elles sont des voitures de société, immatriculées en Flandre. Il y a aussi les voitures en transit…

Il y a peu de voitures 100 % électriques. Pour le moment, on recense surtout des hybrides. Cela changera d’ici 2026, au vu de la nouvelle fiscalisation. Et nous atteindrons d’ici-là nos objectifs : on a déjà 5.000 bornes publiques et nous installerons 4.700 points additionnels. Ça va se faire progressivement.

“On ne va pas régler le problème de la mobilité en remplaçant une voiture thermique par une voiture électrique. Il faut un transfert modal.”

Est-ce qu’Ecolo est pour la voiture électrique ?

Oui, mais avec modération. On ne va pas régler le problème de la mobilité en remplaçant une voiture thermique par une voiture électrique. Il faut un transfert modal. On doit utiliser la voiture plus modérément, en misant sur le covoiturage, les transports en commun ou le vélo. Ou combiner ces transports. Par contre, ce qui est certain, c’est qu’il est de loin préférable d’avoir une voiture électrique qu’une voiture ­thermique.

Pas au point d’offrir une prime de 5.000 euros, comme le fait la Flandre…

Non. Parce que je pense que la priorité doit aller aux infrastructures. On doit aussi jouer sur la taxation, avec la taxe de mise en circulation (TMC). On doit développer des voitures de taille plus modeste. Et le fait d’être en électrique ne peut pas justifier de n’avoir que des grosses voitures partout. Dans notre société, on valorise les grosses voitures puissantes. Les voitures n’arrêtent pas de grossir, c’est un phénomène marketing, quasiment culturel, contre lequel il faut lutter.

La législature a été plus calme du côté wallon. Quelle cote donneriez-vous au gouvernement wallon ?

8 sur 10. On peut toujours faire mieux et plus écologique, mais on a dû faire face à des crises considérables, que l’on a plutôt bien gérées.

Et personnellement, combien vous donneriez-vous ?

Pour les mêmes raisons, je me donnerais 8 sur 10 aussi.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

L’isolation des bâtiments. On est en train de changer d’échelle. On a doublé les primes, triplé les prêts sans intérêt. Et surtout, on a mis en place un accompagnement pour les ménages. Beaucoup de personnes ne comprennent pas comment obtenir une prime. Cet accompagnement fonctionne très bien.

“L’éolien terrestre ne suffira pas. Il faut aussi de l’interconnexion avec la production proche de nous.”

Quelle est la mesure qui vous a donné le plus de fil à retordre ?

Certainement la TMC, même si on a mis de côté la taxe de circulation.

C’est une déception pour vous ?

Oui et non. En réalité, avec la TMC, on a donné le signal. C’est le plus important. Sans être dans la contrainte, mais dans l’incitatif. On encourage à acheter des modèles moins polluants. Mais il est vrai que quand ça touche à la voiture et au portefeuille, c’est très sensible.

La priorité du prochain gouvernement ?

La production d’énergie renouvelable. Elle doit doubler d’ici 2030.

Politiquement, pas trop déçu de ne pas être tête de liste à Liège ?

Non, c’était un choix collectif. Je suis à la même place qu’il y a cinq ans. En fait, je ne souhaite plus siéger au Parlement. Je l’ai déjà fait. Je préfère être dans l’action.

Redevenir ministre, donc ?

Je suis disponible pour mon 
parti.

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