Conner Rousseau: en Flandre, “de plus en plus de chefs d’entreprise sont attirés par Vooruit”

Conner Rousseau
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Le président du Vooruit, Conner Rousseau, regrette que les querelles intestines fassent de l’ombre au travail du gouvernement fédéral. Il espère que la coalition réalisera des projets en 2023, la dernière année complète avant les élections. Comme la réforme des pensions, même si le PS freine.

Un déficit budgétaire qui va en croissant et des querelles sur les chiffres du budget. Un parti socialiste (PS) peu enclin à de nouvelles réformes du marché du travail et des pensions, et ce au mépris des conditions de la Commission européenne. Les chefs de partis, Georges-Louis Bouchez (MR) en tête, s’attaquent mutuellement par médias interposés. Les derniers mois n’ont pas été de tout repos pour le gouvernement fédéral et cela s’est traduit dans les sondages. Tous les partenaires de la coalition accusent une baisse de popularité, sauf Vooruit.

Les socialistes flamands ont le vent en poupe. Selon leur président, Conner Rousseau, tout est lié aux choix effectués ces derniers mois. “Il faut faire la distinction entre le contenu et la forme”, dit-il. “D’un point de vue socialiste, le fond est bon : on a fait en sorte que les gens qui travaillent aient plus d’argent de côté. Ce pays dispose, avec une indexation automatique des salaires, de la meilleure protection au monde concernant le pouvoir d’achat. Nous investissons un montant sans précédent dans les soins de santé et faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les familles, les personnes seules et les entreprises puissent continuer à payer leurs factures d’énergie. Tout cela est parfois éclipsé par les membres du gouvernement ou les chefs des partis majoritaires, qui créent des tensions par leurs déclarations. Je suis toujours critique envers nous-mêmes, mais nous continuons à aider les gens à passer l’hiver, malgré la crise énergétique et la guerre en Ukraine.”

La réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité de 21 à 6 % est-elle la mesure la plus importante pour vous ?

CONNER ROUSSEAU. “Quand je regarde l’ensemble du tableau, le risque de pauvreté a diminué, ce qui me semble fort appréciable dans cette situation difficile. Je pense qu’une baisse de la TVA de 6 % était cruciale. Outre le fait que cette réduction de la TVA ait pu faire économiser 800 euros en moyenne aux familles, c’est aussi une question de principe. Une TVA de 6 % est logique pour les produits de première nécessité. La TVA de 21 % est destinée aux produits de luxe.”

Que répondez-vous à des économistes comme Gert Peersman et Koen Schoors, qui affirment que ce taux réduit profite surtout aux fournisseurs d’énergie ? Et les mesures de soutien sont également allées trop loin, selon eux.

“Ces professeurs n’ont jamais été dans un gouvernement à sept partis. Si vous voulez juste les mesures idéales, nous aurions encore pu nous disputer longtemps. Vous n’allez pas gagner le prix avec cela, mais à un moment donné, il faut aider les gens concrètement.”

Vous avez souligné l’importance de l’indexation automatique des salaires. A part celle-ci, aucune augmentation classique des salaires n’est possible en 2023-2024. Même si la proposition salariale du gouvernement permet aux entreprises d’accorder un chèque de 500 à 750 euros, 80 % d’entre elles ne veulent pas le faire, selon une enquête du Voka.

“C’est comme demander aux patrons des cafés et des bars si l’alcool doit être interdit. Evidemment que 80 % répondent non. Il y a deux ans, le “chèque corona” n’aurait pas non plus été accordé, si on leur avait posé la question ; et entre-temps, 1,8 million de travailleurs ont reçu cette prime. Dans cette discussion sur les salaires, le maintien de l’index était essentiel pour nous, oui. Dans les pays voisins, les salaires augmentent de 6 à 8 % en fonction du coût de la vie, ici c’est 12 %. C’est la différence que font les socialistes de ce gouvernement.”

Les entreprises se plaignent de la hausse des coûts salariaux.

“Certains ont des difficultés, d’autres s’en sortent plutôt bien. Les marges bénéficiaires sont correctes, selon la Banque nationale. Il s’agit en effet de moyennes. Les entreprises et les secteurs en difficulté sont laissés à eux-mêmes. Mais n’est-il pas normal que tout le monde puisse profiter des secteurs qui se portent bien ? Je pense que c’est un équilibre raisonnable “.

Y aura-t-il une autre réforme des pensions en 2023 ? Votre parti frère, le PS, freine des deux pieds.

“Vooruit est en demande d’une réforme. Quelques principes. Le première : ceux qui travaillent devraient être davantage récompensés. Les pensions des salariés et des indépendants belges ne sont pas aussi élevées que dans le reste de l’Union européenne. Il est important de renforcer la pension légale. En outre, les plus petites pensions ont été considérablement augmentées. Deuxièmement, il ne faut pas regarder l’âge d’une personne, mais le nombre d’années durant lesquelles elle a cotisé. Dire que vous devez travailler jusqu’à 67 ans est injuste pour quelqu’un qui a commencé à 18 ans. Je pense qu’il est beaucoup plus logique de donner droit à une pension à quelqu’un qui a fait une carrière de 42 ans. Quiconque a commencé à travailler à 18 ans peut s’arrêter à 60 ans.

“Si vous voulez un système plus équitable, les régimes de faveur et les dispositions d’exception doivent être supprimés. Le personnel militaire, le personnel de la SNCB, pour n’en citer que quelques-uns. On peut certainement s’attendre à ce que le personnel militaire fasse quelque chose après ses 50 ans, et cela ne doit pas nécessairement être dans l’armée. J’en ai parlé aux militaires et ils sont ouverts à cette idée, s’ils peuvent emporter leurs droits acquis avec eux. Je ne sais pas si cela peut être décidé d’ici mars 2023. Mais si l’on augmente les pensions minimales, on peut aussi exiger que les personnes aient effectivement travaillé suffisamment d’années avant d’arrêter.”

Encore une fois : ne sera-t-il pas difficile de convaincre vos voisins du PS ?

“Cette question lasse à la longue. On nous demande notre proposition et ensuite on commence à parler d’un autre parti. Nous en parlons souvent avec le PS, remarquez. Je suis quelqu’un qui ose donner des coups de pied dans la fourmilière. Aussi sur le plan fiscal, pourquoi n’y a-t-il toujours pas de registre des richesses en Belgique ?”

Qu’attendez-vous d’une éventuelle réforme fiscale ? Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v) dévoile à peine ses cartes.

” Je suis également curieux et j’espère être le premier à la lire, et pas dans la presse. J’attends une réponse à la question : qui et comment taxer ? Pour Vooruit, il devrait y avoir un transfert fiscal clair du travail vers la richesse. Les gens doivent avoir plus de salaire net en mains, il doit être moins cher de les embaucher. Les 200 000 postes vacants doivent être pourvus. D’autre part, il est injuste que les actifs soient traités différemment. Un dividende est taxé à 30 % et une action que vous vendez ne l’est pas. Vous pouvez donc devenir milliardaire en vendant des actions. Ce n’est pas juste. C’est pourquoi je suis favorable à un registre des richesses. Nous avons toutes les informations d’un ouvrier, mais rien sur une “grande fortune”. Et moins de copinages et de discussions d’arrière-boutiques permettra également d’économiser beaucoup d’argent.”

Vers un double impôt sur le revenu donc, imposant les revenus du travail de manière progressive et les gains en capital à un taux unique ?

“L’idéal serait d’avoir un seul grand pot avec une grosse somme non imposable, et tout ce qui est ajouté est imposé progressivement. Mais c’est une finalité. Le plus important maintenant est que le salaire net augmente et que nous obtenions plus d’argent des grandes fortunes.”

Le déficit budgétaire croissant ne vous inquiète-t-il pas ?

“En tant que plus jeune chef de parti, cela m’inquiète beaucoup. La question est de savoir comment résoudre ce problème. La personne qui affirme que l’on peut éliminer le déficit budgétaire avec un seul point d’économie ou une seule taxe raconte des absurdités. J’ai du mal à accepter qu’on dise que le budget est en ordre. Le budget flamand est soi-disant sain, mais il y reste un gros problème au niveau des gardes d’enfants, il n’y a pas assez d’enseignants dans les classes et le niveau de l’enseignement baisse chaque année. Pour une économie comme la Flandre, c’est une tragédie.”

Vous avez gardé un profil bas ces derniers mois pendant le débat sur le budget et les tensions à ce sujet au sein du gouvernement et surtout avec votre partenaire de coalition l’Open Vld. Exprès ?

“Les gens ne se soucient pas de tous les politiciens qui proclament une fois de plus qu’ils ont raison à la télévision durant ces tensions. Si le premier ministre a des problèmes, je ne vais pas jeter de l’huile sur le feu. Il est bon qu’Alexander De Croo ait maintenant clarifié la communication sur les chiffres du budget. Nous, les socialistes, nous voulons continuer à gouverner avec Frank Vandenbroucke. Cela signifie que les soins de santé doivent rester qualitatifs et abordables. Le plan de retour au travail de Vandenbroucke est le seul plan concret qui s’adresse à 80 000 malades de longue durée et maintenant guéris. Ils seront de nouveau disponibles pour la recherche d’un emploi et seront guidés par un coach. Vooruit est favorable à l’idée d’en faire plus et de ne pas s’impliquer dans toutes ces discussions sans fin.”

Vous êtes l’homme politique le plus populaire en Flandre. Comment expliquez-vous cela ?

“Il ne faut pas le sous-estimer, mais il ne faut pas non plus le surestimer. Les gens ont besoin de quelque chose de nouveau. Mon parler vrai et mon authenticité font l’affaire, je pense, mais cela reste une question difficile car je dois m’exercer avec cela. C’est bien que cela rayonne sur Vooruit, cependant.”

Pourquoi Vooruit est-il plus populaire aujourd’hui ? Avez-vous plus de membres ? Plus de personnes qui ne se sentaient pas concernées auparavant par le parti ?

“Surtout le dernier groupe. Chaque jour, je reçois sur les réseaux sociaux des messages du type “Je n’ai jamais voté pour les socialistes, mais j’ai maintenant des doutes”. Lors des activités, nous attirons beaucoup de non-membres et nos membres se rajeunissent. En dehors des sondages, je constate que nous sommes aussi une option pour les gens.”

Aussi pour les entrepreneurs ? Vous visitez régulièrement des entreprises, d’ailleurs ?

“Je visite beaucoup d’entreprises. Je viens d’une famille d’entrepreneurs. Mon frère Steve est le PDG de la société de recrutement House of Talents. Mon père était actif dans l’industrie hôtelière, un oncle était entrepreneur. Je me dispute parfois durement avec mon frère, mais je pense que de nombreux entrepreneurs ont été déçus par l’Open Vld et sont passés à N-VA. La N-VA ne fait pas vraiment ce qu’elle a promis de toute façon. Mon frère hésite maintenant entre N-VA et Vooruit. En partie par sympathie pour moi, mais j’entends aussi dire que de plus en plus de chefs d’entreprise et d’entrepreneurs sont attirés par Vooruit. Je reste un socialiste et la redistribution est donc importante pour moi, mais je veux aussi un climat favorable aux entreprises. Et de la sécurité juridique.”

Dans quelle mesure les réseaux sociaux constituent-ils un élément important de votre communication ?

“C’est très important. Il existe peu de moyens d’avoir un contact individuel avec autant de personnes. Pour Facebook et surtout Instagram, je les gère entièrement moi-même par mes propres moyens. Cela me prend beaucoup de temps, mais les personnes qui m’envoient des messages reçoivent toujours une réponse. Nous avons environ cent mille abonnés. Cela me donne une vue d’ensemble de ce que font les gens. En tant que représentant du peuple, vous devez le savoir.”

N’est-ce pas une arme à double tranchant ? Des partis comme le Vlaams Belang et le PVDA dépensent des sommes considérables pour leurs campagnes sur les médias sociaux.

“De ma part, ces promotions peuvent être interdites. Je suis populaire sur Instagram uniquement grâce au contenu organique. Cela montre qu’il est possible de le faire sans grandes campagnes de parrainage. Et oui, la N-VA et le Vlaams Belang utilisent des montants que nous ne pouvons pas gérer.”

Vous considérez que le Vlaams Belang est votre principal adversaire. Pourquoi ?

“Le défi consiste à renforcer l’État-providence, et aucun pays ne se porte mieux si les partis extrémistes gouvernent. J’entends certains dire : “Laissez-les s’engager pendant quelques mois et vous les verrez bientôt s’épuiser”. Comme c’est cynique, n’est-ce pas ? Vous admettez que ces partis extrémistes ne peuvent pas gouverner et pourtant vous les laissez essayer. Très étrange. On ne laisse pas quelqu’un opérer, s’il n’a pas fait des études de médecine, n’est-ce pas ?”

Cela s’est produit dans le passé. Leur participation au gouvernement en 1981 a annoncé la fin des communistes français, autrefois puissants. Il en va de même pour les partis d’extrême droite en Autriche.

“Cela montre qu’ils ne peuvent pas le faire. En Autriche, ils ont dû démissionner après une fraude. Ce ne sont pas des partis pour gouverner. Ils sont toujours et partout contre quelque chose. Si vous voulez gouverner, vous devez être en faveur de quelque chose et proposer des solutions.”

Le Vlaams Belang vous a enlevé beaucoup d’électeurs. Comment pouvez-vous les reconquérir ?

“Cela réussit déjà ici et là, dans le sens où ces personnes nous écoutent à nouveau. Ce qui signifie que vous devez également être capable de parler d’une manière populaire et mettre en oeuvre de bonnes politiques, bien sûr.”

Votre discours, par exemple sur l’intégration, a-t-il quelque chose à voir avec cela ? Les nouveaux arrivants doivent apprendre la langue et trouver un emploi. On entendait peu de choses de ce genre à gauche.

“C’est une question d’authenticité. Je ne dis pas cela pour des raisons stratégiques, mais parce que c’est mon opinion. En tant que socialiste, je pense que c’est important. Si vous êtes en accord avec la société, vous voulez que tout le monde y soit inclus. L’un des éléments de base est la langue. Cela détermine également votre position socio-économique. Ne pas parler le néerlandais, c’est partir avec un désavantage. Certains à gauche ont encore du mal à l’accepter, mais un véritable récit socialiste est un récit d’émancipation. Il s’agit d’obtenir des opportunités et de les saisir.”

On vous compare parfois aux sociaux-démocrates danois. La première ministre Mette Frederiksen marque des points avec un mélange d’accents de gauche et de droite.

“J’aimerais que nous ayons autant de succès. Le Danemark a un projet fort autour de l’État-providence et travaille de manière très ciblée. Quand il s’agit de migration, je pense qu’elle va un peu trop loin. Après la crise sanitaire, le Danemark a augmenté les impôts sur les actions et a utilisé cet argent pour investir dans la crise climatique, l’éducation et les soins aux enfants. Cela me parle.”

L’impression que cela donne est que vous avez déjà un accord pour une coalition flamande avec la N-VA avant 2024. Vous êtes remarquablement amical envers ce parti.

“Euh, j’ai dit que c’était une honte que le niveau d’éducation baisse. Au Parlement flamand, nous ne sommes pas du tout amis avec ce parti. C’est la plus grande formation du pays depuis 10-15 ans et cela n’a rien changé. La politique est une idéologie et des mathématiques. Vous voulez réaliser quelque chose, mais vous avez besoin d’une majorité. C’est donc très simple au niveau flamand : soit la N-VA fusionne avec le Vlaams Belang, soit avec nous. Nous sommes le seul parti suffisamment grand pour offrir encore un contrepoids à une majorité d’extrême droite.

“Il y a de fortes chances qu’en 2024, au niveau flamand, cela doit se passer avec la N-VA, parce qu’il n’y a pas cinq cents autres options. Mais je n’ai pas d’accord préalable. Seulement une bonne relation avec Bart De Wever, parce qu’il est l’une des rares personnes à avoir tenu parole envers moi et vice versa. Je trouve étrange de devoir toujours rendre des comptes de mes bonnes relations avec mes collègues, tout comme je le fais pour quelqu’un comme Gwendolyn Rutten ou Hilde Crevits.”

En conclusion. Pourquoi avez-vous choisi Caroline Genez comme nouvelle secrétaire d’État à la coopération au développement ?

“Caroline a une grande classe. Elle a des tonnes d’expérience et d’expertise au plus haut niveau. En tant que responsable des contacts internationaux chez Vooruit, elle était également la personne la mieux placée pour diriger ce cabinet.”

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