Comment baisser les dépenses communales en Belgique?
Le scrutin communal referme ainsi le chapitre électoral en Belgique. À charge pour les gagnants d’imprimer leur politique pour les cinq et six prochaines années. Mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une victoire à la Pyrrhus. Car leur principal défi est connu depuis longtemps : les caisses sont vides. Le niveau communal est concerné en premier chef. Étant entendu que lever de nouvelles taxes n’est pas une option, il reste à regarder du côté des dépenses. Mais les propositions concrètes ne sont pas légion.
Fin septembre, nous dressions l’état très critique des finances communales. Ce constat n’a pas changé depuis les élections de dimanche dernier : les communes wallonnes et bruxelloises puisent de plus en plus dans leur bas de laine pour équilibrer leur budget. Pour le dire clairement, un nombre croissant d’entre elles fonce droit dans le mur. La législature qui démarre doit donc servir de tournant. Partout, on sent la nécessité de redéfinir le cadre de la commune, ses missions, son financement et son efficacité. Mais il reste à concrétiser ces intentions.
Au total, en 2023, la dette des communes wallonnes atteignait 9,1 milliards d’euros. À titre d’exemple, la dette de Liège, la ville la plus endettée de Wallonie, dépasse désormais le milliard d’euros, dont 98% proviennent de sa dette d’assainissement vis-à-vis du Crac, le Centre régional d’aide aux communes. À Bruxelles, 11 communes sur 19 sont sous tutelle financière de la Région. Du côté wallon, 67 communes sur 262 sont concernées.
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Les banques fuient
Dans ce marasme budgétaire, les grandes villes souffrent plus que les autres communes. Car elles ont cette particularité d’offrir des services publics à ceux qui viennent y travailler ou se divertir alors qu’ils ne contribuent pas. Il est également établi que les budgets liés à la sécurité et à l’aide sociale y sont beaucoup plus lourds qu’ailleurs.
Cette situation défavorable a poussé la Région wallonne à lancer un plan Oxygène en 2021, suite à la crise sanitaire. Comme son nom l’indique, il devait redonner de l’air aux communes endettées. Pour le financer, la Région wallonne a servi d’interlocuteur aux banques. Et pour cette année, il a fallu lever quelque 350 millions d’euros pour les 28 communes concernées par ce plan. Belfius, CBC et BNP Paribas ont poliment décliné.
ING a finalement soumis une offre. Mais la semaine dernière, coup de tonnerre, juste avant les élections : sept villes wallonnes étaient finalement exclues du plan, la banque néerlandaise jugeant son investissement trop risqué. On y retrouvait à nouveau Liège et Charleroi, déjà exclues en 2023, et désormais Mons, Ath, Namur, La Louvière et Verviers. Autrement dit, la quasi-totalité des grandes villes wallonnes. Aujourd’hui, il manque 268 millions d’euros pour boucler les besoins financiers de 2024.
Il faut quand même se rendre compte de la situation actuelle : les banques refusent de prêter aux pouvoirs publics. Si ce n’est pas un séisme, ça doit être un sérieux cri d’alarme pour tout le monde.
À qui la faute ?
Du côté du ministre wallon des Pouvoirs locaux, François Desquesnes (Les Engagés), on ne nie pas les difficultés. Le ministre et ses équipes planchent sur d’autres options pour trouver ces 268 millions d’euros, notamment en retournant voir les banques. Entre les lignes, on comprend que les grandes banques ont pris peur de la trajectoire vers l’assainissement budgétaire des communes sous plan de gestion. Elles exigent de la Région de se porter garante en cas de non-remboursement dudit emprunt. Le précédent gouvernement s’était déjà engagé à payer 15% de l’emprunt pendant plusieurs années. Visiblement, ce n’est pas assez.
Maxime Prévot, bourgmestre de Namur, qui fait partie des villes incriminées, a préféré pointer la responsabilité de Liège et de Charleroi dans cette décision. Sur La Première, la semaine dernière, il appelait les deux plus grandes villes wallonnes à se ressaisir : “Quand on projette les déficits cumulés des grandes villes de Wallonie, la situation de Charleroi et de Liège représente 60% du déficit cumulé des grandes villes.” Le président des Engagés ajoutait que quand sa commune devait se financer par elle-même, elle n’avait “aucun problème pour lever des fonds et avoir des partenariats avec le secteur bancaire”.
De son côté, François Desquesnes regrette finalement cette rustine qu’est le plan Oxygène : “Nous héritons d’un mécanisme mis en place par le gouvernement précédent qui ne constitue qu’une solution temporaire et qui ne responsabilise pas chaque acteur, à savoir le Fédéral, la Région et la commune”.
L’appel à l’aide
Quel que soit le bord politique, les municipalistes se tournent systématiquement vers leurs pouvoirs de tutelle : l’État fédéral et les Régions. “Il faut que les pouvoirs supérieurs refinancent leurs politiques publiques”, appelait Paul Magnette (PS), sur RTL-TVi, juste avant de laisser sa place à Thomas Dermine (PS), à la tête de Charleroi, en déficit structurel de 50 millions d’euros par an. “La situation budgétaire difficile est propre à toutes les grandes villes”, ajoutait-il, rappelant que Namur était dirigée par Maxime Prévot et que Liège, où le PS est en majorité avec le MR, avait pour échevine des Finances une certaine Christine Defraigne (MR). Pour le socialiste, la solution miracle existe : “Les pompiers, la police, le CPAS, les pensions, etc. Il suffit que le fédéral finance suffisamment ces politiques et les grandes villes seront à l’équilibre.”
Il n’y a pas plus conservateur qu’un socialiste… ah si, sans doute deux socialistes.
Christine Defraigne
échevine sortante des Finances à Liège
“Je suis heureuse que Paul Magnette se soucie des finances de la ville de Liège, puisque le bourgmestre de Charleroi, que les Liégeois aperçoivent souvent, est considéré comme l’un de nos habitants”, ironise la libérale, tirant possiblement une première balle perdue (la compagne de Paul Magnette vivrait à Liège, ndlr). Sur le fond, Christine Defraigne rappelle qu’elle a hérité de finances “qui étaient dans le rouge vif” et qu’elle a dû prendre des mesures parfois difficiles qu’elle assume aujourd’hui. L’échevine reconnaît toutefois un problème structurel, avec “la question très préoccupante” de la cotisation de responsabilisation pour les pensions des agents communaux statutaires. “Un système bancal hérité d’un socialiste – Michel Daerden – soit dit en passant” : deuxième balle perdue.
Imaginée en 2011, la cotisation de responsabilisation visait à renforcer la “finançabilité” des pensions des statutaires. Celles-ci sont pourvues par les agents nommés, mais dont le nombre est en diminution, étant peu à peu remplacés par des contractuels qui dépendent du système général des pensions. Concrètement, le but était de couvrir la moitié du solde restant entre la cotisation de base et le coût réel des pensions, mais au fil du temps, cette cotisation a gagné en ampleur, atteignant 75% aujourd’hui et 85% en 2028. À terme, les élus craignent de voir le système atteindre les 100%.
On ne parle pas d’une broutille : “À Liège, cette cotisation de responsabilisation mangerait, à l’horizon 2029, une année de budget complète, soit plus de 700 millions d’euros cumulés, a évalué Christine Defraigne. Sans cette cotisation, on serait à l’équilibre.”
Du côté du ministre wallon des Pouvoirs locaux, on donne en partie raison aux municipalistes : “Quand un niveau de pouvoir change les règles, il doit assumer derrière. C’est valable pour le fédéral en matière de police, de secours, de pensions et bientôt de CPAS, avec la limitation à deux ans des allocations de chômage. Pour la police et les pompiers, par exemple, il y a des engagements du fédéral qui n’ont pas été tenus.”
Baisser des dépenses
François Desquesnes ne se défausse pas non plus de la responsabilité régionale. À cet égard, il se dit ouvert à redéfinir l’enveloppe du Fonds des communes, pour que ce dernier s’adapte mieux aux difficultés des grandes villes. D’autres leviers, comme la simplification administrative, se trouvent également au niveau des Régions. En Wallonie, un plan transversal doit d’ailleurs proposer ses premières mesures dès le 1er janvier 2025.
Mais il ne faudrait pas non plus perdre de vue la responsabilité des communes elles-mêmes. Dans ses explications, Paul Magnette, qui cite aussi Anvers, oublie de mentionner l’effort considérable effectué par Bart De Wever, fraîchement réélu. La ville portuaire a rencontré de grandes difficultés dans les années 1980 qui ont mené à une dette colossale, comme à Charleroi et à Liège. En 2012, cette dette pesait près d’un milliard d’euros, soit 2.591 euros par habitant. En 2023, elle ne représentait plus que 561 euros par citoyen. Dans les deux grandes villes wallonnes, cette dette par habitant est au moins 10 fois supérieure.
Ce qui nous amène au cœur du sujet : en considérant que faire grimper les taxes communales a ses limites, et en sachant que les niveaux de pouvoir supérieurs ont les poches presque vides, il reste l’option des dépenses publiques. À cet égard, on entend beaucoup les mots “rationalisation”, “efficacité” et “évaluation”. Dans les faits, les mesures concrètes ne peuvent toucher que trois postes de dépenses : le personnel, le fonctionnement et les missions.
L’emploi public
Une toute nouvelle étude vient justement alimenter le débat sur la réduction des dépenses publiques. Les professeurs Jean Hindriks et Alexandre Lamfalussy (UCLouvain) démontrent que le poids de l’administration publique en Belgique est démesuré par rapport aux pays voisins. “Nous dépensons pour l’administration publique belge 6.718 euros en plus par habitant que la moyenne UE-27, écrivent-ils dans leur conclusion. En particulier, nous dépensons 1.697 euros en plus par habitant que la France, 2.194 euros en plus par habitant que les Pays-Bas, 3.072 euros en plus par habitant que l’Allemagne, et 5.092 euros en plus par habitant que l’Italie.”
La faute à un trop grand nombre de fonctionnaires ? Si on s’en tient au nombre d’emplois publics par habitant, pas vraiment. Notre pays se situe au même niveau que les autres pays européens. Et il en est de même au niveau des trois Régions. Mais en zoomant un peu, les deux experts ont repéré une anomalie au niveau local, qui représente d’ailleurs un tiers de l’ensemble des fonctionnaires du pays. Et qu’observent-t-ils ? Que c’est au niveau communal que la différence avec la Flandre est la plus criante : “Au niveau des administrations locales, on est à 7,9 ETP (emploi temps plein) pour 1.000 habitants en Flandre contre 11,2 ETP en Wallonie et 13,8 ETP à Bruxelles, soit presque le double de la densité administrative locale de la Flandre”, écrivent les auteurs de l’étude.
Sur papier, il en résulte une réponse évidente. Sur le plan politique, c’est plus compliqué. Se séparer du personnel administratif reste une question taboue. Qui peut assumer se priver de policiers dans les rues, de personnel dans les crèches, de personnel de secours ou d’enseignants communaux ? A moins de recourir à des économies d’échelle.
Frais de fonctionnement
Au niveau des frais de fonctionnement, par exemple, une série d’idées reviennent régulièrement sur la table, comme la fusion d’une commune avec son CPAS. C’est même une directive de la Région wallonne, qui poussera dans le dos les communes qui refusent d’y réfléchir. La fusion pure et simple des communes est également une piste. Mais le moins que l’on puisse écrire, c’est que cette idée ne rencontre pas un grand succès : depuis 1977, seules Bastogne et Bertogne ont décidé de passer à l’acte. Et au niveau comptable, ce n’est pas une solution miracle. Les toutes petites communes sont plus endettées que la moyenne, mais à partir d’un certain volume d’habitants, la dette par citoyen repart à la hausse. Dans un rapport qui date de 2022, Jean Hindriks évaluait la taille optimale d’une commune entre 15.000 et 20.000 habitants.
Les missions qui ont été créées il y a 10 ou 20 ans, voire plus, sont-elles toujours pertinentes?
François Desquesnes
ministre des Pouvoirs locaux
Et pour le reste ? Il est surtout question de bonne gestion des deniers publics. Christine Defraigne, qui ne s’est pas représentée et qui est désormais libre politiquement, ne manque en tout cas pas d’idées : “Pour ma ville de Liège, on aurait déjà pu commencer par appliquer le plan de gestion. Mais il a été reporté plusieurs fois par mes collègues socialistes. Un exemple : durant la crise sanitaire, j’ai proposé le chômage économique pour certains fonctionnaires. Je ne voyais pas l’utilité de conserver des maîtres-nageurs, mais c’était déjà de trop. Et ce n’est qu’une gabegie parmi tant d’autres.”
“Le plan de gestion que j’avais préparé, c’était 60 mesures concrètes. Mais c’était une lutte de tous les instants pour les appliquer. Autre exemple avec la régie communale autonome. Il en existe une, mais c’est une coquille vide. Pourtant, si on rassemblait des structures au sein de cette régie, on gagnerait des millions d’euros en TVA. C’est juste du bon sens, mais les socialistes n’en voulaient pas.” Pourquoi ? “C’est une manière pour eux de conserver leurs ASBL, leurs satellites, et de placer leurs pions. J’ai proposé de réaliser une analyse coût/bénéfice des missions qu’on externalise vers ces structures. Aucune suite.”
Cette problématique des ASBL n’est pas démentie par le ministre des Pouvoirs locaux, François Desquesnes. Beaucoup d’entre elles gravitent autour des pouvoirs locaux et restent une grande zone d’ombre de la politique wallonne (et bruxelloise). Un audit de ces structures ne semble donc pas superflu pour y mettre de l’ordre ou, au contraire, pour briser certains fantasmes.
Missions
Il en va de même pour les missions des communes qui ont sans doute besoin d’être redéfinies. Il faut dire que leur charrette n’a cessé de s’alourdir ou que la définition des missions communales a trop largement été interprétée, selon la perspective que l’on prend. “Les missions qui ont été créées il y a 10 ou 20 ans, voire plus, sont-elles toujours pertinentes”, s’interroge François Desquesnes ? Le ministre wallon rappelle l’importance d’appliquer un “spending review” ou “un budget base zéro”. Il s’agit d’une technique budgétaire qui veut que chaque dépense soit repensée. Concrètement, chaque dépense doit être justifiée dans la mesure où on lui attribue une valeur de 0, que l’on n’augmente qu’au vu des résultats attendus. “Les communes doivent également mieux récolter l’impôt, ajoute le ministre, ce qui n’est pas toujours bien appliqué pour parler pudiquement. Certains impôts ne sont tout simplement pas indexés.”
Selon Christine Defraigne, les grandes villes wallonnes devraient parler d’une seule voix plutôt que de se tirer dans les pattes. “L’image de la Wallonie, ce sont ses villes”, martèle la libérale. L’occasion, toutefois, de tirer une dernière balle perdue : “J’adresse ici un message aux socialistes : il est plus que temps de mettre ses tabous au vestiaire. Cela aiderait à pérenniser le modèle des finances communales. À Liège, je n’ai pas réussi à les convaincre, je le dis humblement. Parce qu’il n’y a pas plus conservateur qu’un socialiste… ah si, sans doute deux socialistes.” Christine Defraigne, qui se dit disponible pour présenter ses plans au gouvernement wallon, a vidé son chargeur.
Il reste à voir si ces bonnes pratiques seront appliquées, quel que soit le bord politique. Après tout, l’électeur ne semble pas avoir sanctionné les majorités des villes les plus endettées.
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