Comment attirer le privé dans la haute fonction publique ?
Dans la fonction publique, il n’est pas seulement question de mettre fin au statut. La ministre de tutelle, Jacqueline Galant, entend également supprimer le certificat de management public en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’objectif est d’attirer les profils du privé. Suffisant ?
Depuis une bonne dizaine d’années, les candidats extérieurs à l’administration qui veulent prétendre à la haute fonction publique doivent détenir un certificat de management public. Ce CMP n’a pas du tout permis de mettre fin à la politisation de la fonction publique, mais il a apporté, selon ses défenseurs, une certaine objectivité dans les critères de sélection. Car le candidat pouvait désormais prouver certaines compétences techniques.
On parle tout de même d’une formation de niveau universitaire de 190 heures, précédée d’un examen d’entrée et suivie d’un concours organisé par le Selor. Une qualité qui lui a valu des critiques de la part de la ministre : ce cursus “lourd et coûteux” découragerait des personnes issues du privé de candidater pour les plus hauts postes.
La libérale y ajoute une autre critique : “Il favorise un entre-soi de l’administration et ne vérifie pas assez les compétences managériales des candidats. La fin du CMP permettra, je le souhaite, d’attirer de nouveaux profils : peut-être moins juridiques et plus expérimentés en termes de management orienté ‘clients’. Mon ambition est de moderniser la fonction publique, de la rendre plus agile et plus efficiente au service du public.”
Une fonction publique politisée
L’entre-soi de l’administration est une réalité. Selon un rapport de 2022 de BOSA, le SPF Stratégie et Appui, sur les 354 candidatures retenues au screening, 25 personnes étaient issues du privé. C’est évidemment trop peu.
En 2022, sur les 354 candidatures retenues au screening, 25 personnes étaient issues du privé.
L’argument est également politique: interrogée sur La Première, la semaine dernière, Jacqueline Galant indiquait que “sur 10 postes à responsabilité au sein du Service public de Wallonie (SPW), il y avait huit socialistes”. C’est une analyse globalement correcte de la part de la ministre. En février dernier, le magazine du Gerfa, le Groupe d’étude et réforme de la fonction administrative, a fait un état des lieux de la haute fonction publique en Wallonie. Sur les sept postes à forte responsabilité au sein du SPW, cinq strapontins étaient détenus par le PS, contre un seul pour le MR et Ecolo. Ce qui porte la domination socialiste à 71%.
Au total, sur les 46 postes de top managers du SPW, 18 étaient attribués au PS. Au deuxième rang, juste derrière, on en retrouvait 17 pour Les Engagés. Le MR, lui, ne disposait que de sept postes importants, et Ecolo, trois. Mais seul un élément était non étiqueté, selon le Gerfa. Bref, 76% du SPW était aux mains du duo PS-Engagés et la quasi-totalité était politisée.
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Redistribution des cartes
Depuis une vingtaine d’années, les postes pour la haute fonction publique sont sous le “régime des mandats”. Les candidats sont désignés pour cinq ans, après quoi, un certain nombre de postes sont remis en jeu, lors de chaque changement de législature.
Cette législature n’y échappe pas et va voir une centaine de postes soumis à candidatures. Au-delà du SPW, il faut également renouveler les postes importants des Unités d’Administration Publique (UAP). Il s’agit par exemple du Forem, de l’Iweps, de l’Awex ou de Wallonie Entreprendre.
Une première salve de 27 postes devait normalement trouver preneur en ce début d’année. Sauf que la ministre n’en a remis que 10 en jeu. Une manière de garder la main, dénonce l’opposition, qui voit dans la démarche de la ministre une volonté de restaurer “la république des copains”. Plus prosaïquement, la libérale veut simplement faire passer sa réforme avant de désigner la plupart des candidats. Une deuxième salve de sélection doit avoir lieu au mois de juin.
Pour les 10 postes en question, il s’agit de quelques niveaux A1 et A2 au sein de l’administration, ainsi que de la tête du Forem. On y retrouve la secrétaire générale du SPW, Sylvie Marique, et Raymonde Yerna, directrice générale du Forem. Toutes deux sont de bord socialiste, mais aussi seules candidates à leur succession.
La nouvelle majorité wallonne pourrait s’accommoder de reconduire Raymonde Yerna. Elle a, nous dit-on, “réussi un brillant examen devant Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot”, en juillet dernier, au moment des consultations. Son profil est également loué à droite et dans les milieux entrepreneuriaux.
Mais où est le privé ?
Quoi qu’il en soit, la ministre de la Fonction publique reste déçue par l’intérêt du privé. Sur les 10 postes à pourvoir, le gouvernement wallon n’a reçu que 23 candidatures. Ce qu’ils peuvent amener ? “Une expérience managériale, une approche orientée résultats et satisfaction du client (ici l’usager : le citoyen, l’entreprise, l’ASBL, etc.), répond Jacqueline Galant. Le service de qualité au public doit redevenir la priorité numéro 1 de la fonction publique.”
Officiellement, la ministre ne pointe aucun UAP en particulier, mais il se dit qu’elle aimerait mettre des personnes avec une grande expérience entrepreneuriale au sein des organismes qui touchent aux entreprises. On pense évidemment à Wallonie Entreprendre ou encore à l’Awex, l’Agence wallonne à l’exportation. Les deux organismes sont dirigés par Olivier Vanderijst et Pascale Delcomminette, là encore, tous deux étiquetés socialistes. Leur mandat prendra fin dans quelques mois.
Il reste à voir si la simple suppression du certificat de management public suffira à rendre les postes de top managers attractifs. La durée du mandat, la pression politique et médiatique ou la rémunération peuvent tout aussi bien constituer des freins.
On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre
En ce qui concerne la rémunération, il faut savoir qu’elle est fixée par arrêté du gouvernement. Les échelles barémiques font partie du Code de la fonction publique wallonne et se répartissent comme ceci : 199.863 euros bruts par an pour les postes A1, 183.557 euros pour les postes A2 et 156.728,18 euros pour les postes A3. Certains postes spécifiques (WE, Noshaq, Ores, Resa, etc.) vont au-delà, mais doivent rester en dessous du plafond de 245.000 euros bruts par an (hors indexation).
Pas de quoi rougir par rapport au salaire annuel moyen des dirigeants d’entreprise. On se fait parfois de fausses idées, mais Statbel montre qu’il se situe à 141.254 euros (2022) dans le privé. Un autre angle de vue donne toutefois une autre perspective : le salaire médian des patrons du Bel 20 est, lui, beaucoup plus haut, à 2,5 millions bruts par an.
De son côté, la ministre rappelle que “les mandats de cinq ans sont renouvelables” et qu’elle n’est pas fermée “à revoir les packages des postes de direction afin d’assurer une adéquation avec les réalités du marché du travail”. Dans le contexte budgétaire actuel, il reste à voir si cela serait bien accepté par les équipes et le grand public.
Mais selon Baudouin Meunier, auteur du livre Management public et non marchand, qui vient d’être réédité aux éditions Anthémis, la rémunération ne peut suffire à convaincre le manager du privé. “Il est clair qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, mais il s’agit surtout d’un challenge. Vous ne mobiliserez le privé qu’avec la qualité de la mission.”
Les méthodes du privé
Mettre à tout prix du privé dans le public a-t-il du sens ? En tout cas, pour celui qui est aussi passé par Belgacom (Proximus) et par bpost, les arrivées des CEO Bessel Kok (RTT/Belgacom) et Johnny Thijs (La Poste) ont tout changé, à l’époque : “Il sont venus avec des méthodes de management qu’on n’imaginait même pas dans le public. En ne regardant pas uniquement le coût d’une décision, mais la marge que l’on peut en retirer. Très rapidement, on a mis en place des tableaux de bord stratégiques qui s’intéressaient aussi à la qualité des services et à la satisfaction des clients. Ça n’avait jamais été fait, il faut s’en rendre compte !”
“Le manager issu du privé va mesurer la performance dans toutes ses dimensions, poursuit celui qui est toujours actif comme consultant en management pour des ASBL et des organisations publiques. Ce que vous ne mesurez pas, vous ne le contrôlez pas. Je le répète sans cesse au secteur non marchand.”
Baudouin Meunier voit un troisième apport du secteur du privé : l’organisation du personnel. “Quand je suis arrivé à Belgacom ou bpost, mes analyses ont directement montré que 30 à 40% du personnel n’était pas à sa place. On n’a pas mis les gens dehors, évidemment, mais on a essayé de les mettre aux postes qui correspondaient à leurs qualités.”
“Le manager issu du privé va mesurer la performance dans toutes ses dimensions. Ce que vous ne mesurez pas, vous ne le contrôlez pas.” – Baudouin Meunier
Bien sûr, s’il veut réussir dans le secteur public, le manager doit aussi pouvoir s’adapter. “Il est important de ne pas analyser la performance uniquement par le prisme des coûts et des recettes, mais aussi en termes d’impact sur la société, nuance Baudouin Meunier. Un discours uniquement financier va échouer.” Enfin, “il y a le respect du personnel et son statut. C’est essentiel ! Il faut avoir une grande confiance en la capacité du fonctionnaire à accepter un challenge et à être motivé pour le faire. Il ne faut pas d’a priori.”
“Quelle violence !”
Marek Hudon, professeur de gestion à la Solvay Brussels School, ne remet pas en cause cette nécessité de mobilité entre le secteur privé et le secteur public. Mais il est beaucoup plus dubitatif sur la suppression du certificat de management public pour y parvenir. Selon lui, “ne plus demander de certificat, délivré par une école indépendante, diminuera une des barrières aux risques de favoritisme. Un certificat donné par des experts reconnus est un gage de qualité et un signal intéressant”.
Pour celui qui est toujours chercheur en management public, il est évident que l’administration publique requiert des qualités propres : “Je pense par exemple aux marchés publics : gérer l’aspect juridique et ses implications exige des compétences propres, notamment pour s’assurer que le meilleur prestataire accède à ces marchés.”
Plus fondamentalement, la manière dont est posé le débat est un problème, ajoute Marek Hudon. “Quand on voit l’interview de Jacqueline Galant de vendredi dernier, dans laquelle elle déclare que la tâche de certains fonctionnaires n’apporte aucune plus-value… Quelle violence pour les fonctionnaires en place ! Avant de tout détricoter, ne faudrait-il pas d’abord mener un débat plus profond sur la base d’éléments factuels ? Il existe toute une littérature scientifique qui montre les spécificités d’une gestion qui ne vise pas le profit.”
Quel que soit le point de vue, placer quelqu’un issu du privé ne sera jamais une garantie de réussite… Surtout quand ce dernier prend son indépendance. Jacqueline Galant en sait quelque chose. En 2016, Laurent Ledoux, brillant profil issu de BNP Paribas Fortis, avait démissionné avec fracas de la tête du SPF Mobilité et Transports. Il avait notamment reproché à sa ministre de tutelle de ne pas partager “la même conception de l’intérêt général” et d’avoir des attitudes “dignes de la Gestapo”.
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