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Codeco: “Ni les uns, ni les autres n’ont comme préoccupation l’intérêt général”

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Frank Vandenbroucke a compris qu’un grand nombre de gens adorent les interdictions lorsqu’elles touchent les autres.

Dès que la décision a été prise, chacun savait que la fermeture du secteur culturel, ordonnée par le Comité de concertation (Codeco) du 22 décembre dernier, était une énorme erreur. Pas seulement parce qu’elle ne servait manifestement à rien du point de vue de la lutte contre la pandémie, mais aussi parce qu’elle reflète un des pires aspects de notre système politique. La juste riposte de ce secteur, tant dans la rue qu’au Conseil d’Etat, en a fait un fiasco inoubliable pour notre classe politique en perdition.

Au départ, on a un ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, qui est obsédé par l’idée qu’il faut absolument fermer quelque chose. En réalité, peu lui importe ce que l’on ferme, du moment qu’il peut annoncer qu’il a “obtenu” d’obliger une catégorie quelconque à cesser ses activités. C’est que l’homme a, dès son entrée en fonction, choisi une position qui n’a rien à voir avec l’intérêt général, mais qui correspond à du marketing politique: il veut se montrer ferme, interdire chaque fois que c’est possible, parce qu’il a compris qu’un grand nombre de gens adorent les interdictions lorsqu’elles touchent les autres. Ceux qui ne vont ni au théâtre, ni au restaurant, apprécient beaucoup qu’on ferme l’un ou l’autre. Et la peur est réputée très rentable sur le plan électoral: la position ultra-rigide du ministre dans le combat contre le virus a effectivement permis à son parti (Vooruit), en lente déliquescence, de revivre quelque peu dans les sondages.

Personne ne se préoccupe de la question de savoir si, en présence d’hospitalisations en baisse et d’un variant aux risques imprécis, il est vraiment utile de faire quelque chose. Mais un gouvernement se doit d’agir, bien ou mal, plutôt que de paraître passif.

D’où une question qui se pose aux membres du Codeco: étant acquis que, pour une question d’image de fermeté, il faut fermer quelque chose, faudra-t-il s’en prendre aux bars et restaurants, ou à la culture? On sait maintenant qu’en réalité, aucun des deux secteurs n’est un vecteur important de propagation du virus, mais nos gouvernants considèrent qu’ils ne peuvent pas se permettre de ne rien interdire. D’où la formation de deux camps: les défenseurs de la culture et ceux de l’horeca. Ni les uns, ni les autres n’ont comme préoccupation l’intérêt général, mais seulement la défense de leur clientèle électorale. Et cela finit bien sûr par une mauvaise décision: la fermeture de la culture. Il y avait une autre possibilité: la fermeture partielle ou totale de l’horeca, qui aurait aussi été une mauvaise décision, mais visiblement la clientèle de l’horeca a été jugée plus importante que celle de la culture. A cela s’ajoute, puisqu’on est en Belgique, une division entre le Nord (pro-horeca) et le Sud (pro-culture).

Une fois la décision prise, plusieurs partis, même gouvernementaux, et dont les élus ont participé à cette décision, ne se gênent pas pour la critiquer. Là encore, c’est du marketing politique: ils ne peuvent se permettre d’assumer leur choix vis-à-vis de leur clientèle électorale. Et tout le monde est libéré par le fait que le Conseil d’Etat annule les décisions, ce qui évite aux partis et au ministre de la Santé de devoir les suspendre.

Paul Magnette a vraiment raison de reconnaître “qu’ils se sont plantés au Codeco”. Mais cet aveu n’est que partiel: l’incident a révélé qu’en réalité, “ils se plantent” à tous les Codeco parce que le système est ainsi fait que personne ne pense réellement à la santé publique, et chacun à ses intérêts électoraux. A supposer qu’un “intérêt général” existe, ce ne sont pas nos gouvernants qui vont les défendre.

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