Cinq jours pour comprendre la politique énergétique américaine (3/5): l’homme qui voulait verdir l’électricité américaine

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Approvisionner le monde en énergie demande de résoudre beaucoup de problèmes. Mais un des plus courants, et pourtant des plus difficiles, est que les sources d’énergie sont éloignées des consommateurs. Il faut donc trouver un moyen d’acheminer gaz, pétrole ou électron sur une longue distance.

C’est particulièrement vrai dans le domaine des énergies renouvelables. Demandez-le à Elia, notre gestionnaire de réseau belge, qui vient d’installer une prise géante pour acheminer sur terre l’électricité produite dans les parcs éoliens offshores. Un investissement de 400 millions d’euros…

Aux Etats-Unis, pays dans lequel il existe trois grands réseaux électriques (Ercot au Texas, l’Eastern Grid à l’Est, le Western Grid à l’Ouest), le problème est plutôt terrestre : le vent souffle sur les grandes plaines du centre du pays, le soleil inonde le Sud, mais les habitants sont plutôt le long des côtes et un grand nombre de grandes villes sont au Nord…

Russell Gold, reporter chevronné du Wall Street journal en charge de l’énergie, vient de publier, un livre édifiant sur le sujet (“Superpower. One man’s quest to transform americain energy”) qui relate une histoire individuelle, mais emblématique de la difficulté de cette tâche de connexion.

La grande idée de Michael Skelly

C’est l’histoire d’un homme d’affaire américain, Michael Skelly, qui avait le projet de relier les grands parc éoliens et solaires de l’Oklahoma, un état béni par les dieux du vent, mais très peu peuplé, vers le Tennessee en traversant l’Arkansas. Un autre projet devait alimenter la Californie à partir du nouveau Mexique, un autre l’Indiana à partir du Kansas…La compagnie qu’il avait créée, Clean Line Energy, avait le projet de construire en tout cinq lignes à haut voltage pouvant transporter 16,5 GW d’électricité éolienne (pour avoir une idée, un réacteur nucléaire a une capacité d’environ 1 GW) sur des milliers de kilomètres.

Clean Line Energy avait réussi à récolter 100 millions de dollars de capitaux en provenance d’une série d’investisseurs, parmi lesquels la filiale américaine du réseau britannique National Grid. Mais disons-le d’emblée, elle a dû mettre la clé sous le paillasson au début de cette année, en vendant les portions de lignes déjà construite à d’autres entreprises.

Michael Skelly a été confronté à une série d’obstacles : opposition de grands lobbies de l’énergie classique, opposition des Etats que traversaient ces lignes et qui ne voyaient pas comment elles allaient servir leur intérêt économique individuel, opposition d’hommes très influents qui en vouaient pas voir le paysage de leurs ranchs “défigurés” par des lignes à haute tension….

Comme les autoroutes d’Eisenhower…

Avec comme effets hallucinants que la Tennessee Valley Authority, l’agence de développement économique du Tennessee, cherche désormais des partenariats, notamment au niveau fédéral américain, pour construire des mini-réacteurs nucléaires pour répondre aux besoins d’énergie de la région…

La nécessité de bâtir un réseau entre les fermes éoliennes et les consommateurs est un projet visionnaire et nécessaire du même type que celui qu’a eu le président Dwight Eisenhower en faisant construire le grand réseau autoroutier, dit Russell Gold. Il ne savait pas alors précisément quels types de véhicules il allait y avoir dessus, mais il sentait la nécessité impérieuse, pour le bien du pays, de connecter les divers Etats du pays.

Russell Gold souligne la nécessité d’avoir des “doers”, des “faiseurs”, des entrepreneurs. “J’ai un ami au New Yorker qui me dit que de toute façon, nous avons déjà perdu la bataille pour le climat. Moi, je ne sais pas. La seule chose que je sais, c’est que si nous voulons changer les choses, nous avons besoin de gens optimistes, d’entrepreneurs.”, dit-il.

Il serait dommage de finir sur une note négative. Le Texas, Etat pourtant connu pour ses pompes à pétroles, est en train d’achever une très importante ligne de transport “Texas Crez”, destinée à transporter l’électricité des grandes fermes éoliennes de l’Ouest texan vers les villes de l’Est. Coût total du projet : près de 7 milliards de dollars, un investissement supporté par 8 énergéticiens (parmi lesquels une filiale de Berkshire Hathaway) et une facture supportée par le contribuable texan qui paiera en plus une quarantaine de dollars par an sur une décennie.

Mais Crez démontre tout le bienfondé du syndrome de l’autoroute mentionné plus haut : une fois qu’elle est construite, les voitures ont tendance à l’emprunter. Avant Crez, le Texas comptait 6.900 MW de capacité de production d’électricité éolienne. Aujourd’hui, l’Etat, qui est de loin le premier producteur d’électricité éolienne aux Etats-Unis, en a un peu plus de 24.000.

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