Bruno Colmant

Changements climatiques: vers un dirigisme étatique?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Ce week-end, l’Académie Royale de Belgique a organisé un séminaire exceptionnel sur les cinquante ans du rapport Meadows. Les défis environnementaux (changement climatique, bouleversement des équilibres environnementaux, éradication des espèces, dévastation des espaces naturels, problèmes hydriques, perte de biodiversité, acidification des océans, pollution par le plastique, etc.) sont, en effet, gigantesques, car l’écosphère est déstabilisée par nos modes de production, de consommation et de gaspillage.

Ce constat est terrifiant, car l’habitabilité de la planète est en jeu. La dette climatique et environnementale devient exigible et un compte à rebours létal est donc engagé. Le changement climatique anthropique, c’est-à-dire créé par les humains, pourrait entraîner un effondrement de la société humaine. Il s’agit donc de sauvegarder l’écosystème dont dépend cette vie humaine.

Le constat écologique n’est pas neuf puisque ceci fut souligné, sous forme d’avertissement, par les époux Meadows (dont les travaux furent demandés par le Club de Rome, créé en 1968) qui avec des chercheurs du MIT avaient travaillé sur ces incompatibilités dès les années 1970. Leurs travaux plaidaient pour une inflexion dans la trajectoire productiviste des pays développés. Donella (1941-2001) et Dennis (1942-) Meadows avaient prévu que dans des hypothèses de croissance continue, les courbes conduiraient à un effondrement du système dans le courant du XXIe siècle.

Les plus âgés se souviennent aussi de René Dumont (1904-2001), auteur du livre prophétique “L’utopie ou la mort !”, candidat écologiste à l’élection présidentielle française de 1974, sensibilisant les spectateurs au gaspillage et affirmant, face à la caméra : “Nous allons bientôt manquer d’eau et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera.” Il prévoyait que l’eau potable manquerait en 2050, même si on supprimait les gaspillages. Et aujourd’hui, plusieurs études supputent que l’eau de pluie n’est même plus potable. Il avait aussi précisé, dès 1974, que l’accroissement en CO2 constitue la plus grave menace pour l’espèce humaine. Optimiste et désespéré, René Dumont prophétisait l’utopie. Il plaidait le “moins avoir et plus être” dans une société qu’il espérait plaisante, détendue et sereine.

Un an plus tôt, en 1973, sortait le film de fiction dystopique Soleil vert de Richard Fleischer. Il décrit l’année 2022 (!) comme une année où les océans se meurent et la canicule est présente toute l’année en raison de l’effet de serre, conduisant à l’épuisement des ressources naturelles, à la pollution, à la pauvreté et à la surpopulation. Et, in fine, les humains commencent à s’entredévorer.

Tout ceci fut étouffé par les tourments de la guerre du Vietnam, les chocs pétroliers, la guerre froide et l’insolence de l’Occident triomphant. Et puis, les années septante connurent une grave crise économique assortie d’un chômage de masse. Comment prôner la tempérance productiviste alors que la croissance et l’emploi manquaient ? Ce fut ensuite occulté par la plongée dans le néolibéralisme du début des années 1980.

Bien sûr, les réflexions du Club de Rome sont combattues par de nombreux protagonistes, dont les écomodernistes qui affirment que la demande de biens matériels, donc l’épuisement de la terre, va décroître au rythme de l’enrichissement de nos sociétés, c’est-à-dire du PIB. L’écomodernisme affirme que les humains peuvent préserver la nature en utilisant des techniques de pointe pour découpler la croissance économique et les impacts anthropiques du monde naturel.

Mais l’écomodernisme est-il crédible alors que le monde brûle ou se noie ? Évidemment que non. Les problèmes climatiques doivent conduire à s’extraire de la vision néolibérale anglo-saxonne de l’économie de marché, voire à repenser les fonctions de la monnaie, dans le sens d’une gestion plus collectiviste, et sans doute plus autoritaire. Il n’est pas exclu que si les entreprises et les États ne s’associent pas dans un partenariat structuré, des articulations politiques collectivisent des pans entiers de l’économie privée, sous forme de confiscation et de nationalisations, dont l’occurrence me semble d’ailleurs plausible en fonction du seuil d’intervention de l’État et de la gravité des problèmes écologiques.

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