Céline Tellier face à Pierre Mottet: “La réflexion écologique des entreprises va plus loin qu’on ne le pense”

© Hatim Kaghat
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Trends-Tendances a soumis la ministre wallonne de l’Environnement et le président de l’Union wallonne des entreprises à l’exercice de l’interview croisée. Bonne nouvelle, les deux se rejoignent largement sur les grands enjeux opposant parfois économie et écologie. Sujet 3: la réflexion écologique.

Le principe d’une économie circulaire et durable, tout le monde ou presque le salue. Mais du principe à la réalité, il y a parfois de belles levées de boucliers. Trends-Tendances y avait consacré un dossier en début d’année en interrogeant plusieurs entrepreneurs directement concernés. Nous tirons quelques leçons sur la confrontation des enjeux écologiques et économiques, en compagnie de la ministre wallonne Céline Tellier (Ecolo) et du président de l’UWE Pierre Mottet.

La réflexion Odyssée 2068 de l’UWE évoquait une série de points de rupture, dont certains ont trait aux relations entre économie et écologie. Nos invités en parlent…

L’un de ces points de rupture est : « Placer les entreprises au centre des réponses aux changements climatiques et environnementaux ». Les entreprises doivent-elles agir sans attendre les éventuelles injonctions réglementaires ?

PIERRE MOTTET. La réglementation arrivera un jour ou l’autre. Anticiper le train quand il est encore à quai, ce sera toujours moins risqué que de tenter de monter en route. La plupart des grands groupes comme UCB ou GSK agissent pour être à neutre en carbone à un horizon défini. Et ils le font avec une gestion du processus que j’aimerais bien voir nos gouvernements appliquer aussi…

Cela percole-t-il dans les PME ?

P.M. Je le pense avec des initiatives comme le groupe 2030 à travers lequel une série d’entreprises wallonnes, petites et grandes, partagent leurs expériences. Mais, vous avez raison, il y a encore du boulot, notamment pour l’UWE, pour bien conscientiser les PME. Certaines risquent de se réveiller avec des directives européennes qui vont faire mal, avec des grands donneurs d’ordres que vous ne pourrez plus fournir qu’en garantissant toute une chaîne d’approvisionnement responsable. Aujourd’hui, ce n’est plus un choix.

CELINE TELLIER. Les entreprises vont souvent plus loin dans leur réflexion, comme les citoyens d’ailleurs, que ce que les politiques imaginent et tant mieux ! Des images conservatrices subsistent parfois, alors qu’elles n’ont pas lieu d’être par rapport aux réalités de terrain. Elles agissent sans doute pour anticiper de règles mais aussi parce que les enjeux sont là, parce que l’inaction coûtera plus cher que l’action.

La moitié du PIB mondial dépend directement de la nature, que ce soit dans l’agriculture bien sûr mais aussi la construction, la chimie, les médicaments, les boissons… Et je ne compte pas les services de purification de l’air et de l’eau. Sans un écosystème naturel qui fonctionne, l’habitabilité de la terre sera engagée. Les grands groupes sont conscients de leur dépendance à cet écosystème et cela se répercute en chaîne à tous leurs sous-traitants.

Donnerez-vous alors le coup de pouce pour accélérer les choses ?

C.T. Je pense, oui, qu’il faut accélérer mais je n’ai pas l’économie dans mes compétences ministérielles. Les conservatismes ne sont pas toujours là où on le pense. Le monde politique doit entendre ces évolutions et ces demandes de la société civile, en l’occurrence des entreprises. Peut-être pas de toutes les entreprises -je ne suis pas naïve, je sais qu’il y a une part de greenwashing- mais le mouvement est bien là. Notre rôle est de fixer un cadre normatif pour assurer de la prévisibilité aux acteurs. Et ensuite de monitorer les choses afin de pouvoir rectifier le tir le cas échéant.

“En Belgique, l’actionnariat familial est extrêmement engagé sur la durabilité.”

P.M. Regardez l’ampleur que prend le mouvement B Corp, ça ne sont pas des entreprises qui font du greenwashing. Il y a une internalisation de la problématique, c’est évident lors des réunions de l’UWE. Je trouve par ailleurs qu’il y a un alignement, qui n’existait pas avant, avec l’actionnariat. En Belgique, l’actionnariat familial est extrêmement engagé sur la durabilité.

Alors, c’est vrai que parfois, nous avons un peu l’impression que l’entreprise est encore considérée par certains politiques comme un mauvais joueur. Mais je ne voudrais pas donner ici des leçons, je suis conscient que les arbitrages politiques restent épouvantablement compliqués entre le bien-être, l’emploi, la planète etc.

La seconde innovation de rupture d’Odyssée 2068: « stimuler une trajectoire de sobriété ». On ne peut pas dire, Pierre Mottet, que le terme de sobriété soit chéri dans le monde patronal…

P.M. Je vais citer le patron de Luminus Grégoire Dallemagne : « dans le monde où nous vivons, il y a de la place pour un peu de sobriété. » Ce n’est pas remettre en cause l’existence d’un système économique qui a fait ses preuves. La question qui suit est « sobriété ou décroissance ? » Et c’est là que les entreprises s’inquiètent parfois de voir des raisonnements plus idéologiques que rationnels. Avec une population mondiale qui grandit, j’ai un peu de mal à imaginer que les soins de santé diminuent. En revanche, je peux entendre qu’une série de biens pourraient être consommés un peu moins sur base volontaire. L’entreprise n’est jamais qu’un outil pour fournir aux consommateurs ce qu’ils demandent. On influencer certains choix mais c’est alors plus du ressort de décisions politiques et je conviens que ce sont des décisions aussi difficiles à prendre que celles de la boucle du Hainaut !

“Dommage que certains prennent des totems et considèrent la sobriété comme un gros mot.”

C.T. C’est une évidence dans notre vie quotidienne : nous avons tous un budget à gérer, des choix à faire, on ne peut pas acheter tout et n’importe quoi sans limite. A l’échelle de la planète, nous avons aussi un budget à ne pas dépasser, c’est celui de notre empreinte écologique. Celle des citoyens mais aussi celle des organisations, des écoles, des hôpitaux, des entreprises, des administrations, etc.

Il y a des choses qui vont croître et j’espère que ce sera de bonnes choses comme la qualité de vie, la santé ou la qualité de l’air ; et d’autres vont décroître, j’espère que ce sera le cas de la mortalité infantile, la pauvreté, les incidences environnementales. Je n’ai pas de religion sur ces termes « prospérité sans croissance », « décroissance », etc. Ils sont utilisés un peu à toutes les sauces et permettent les caricatures dans un sens ou dans l’autre.

C’est bateau mais nous avons tous envie de continuer à vivre sur cette planète, de façon prospère et dans un cadre de vie préservé. Nous disposons aujourd’hui des outils nécessaires pour avancer vers des solutions concrètes, utilisons-les et anticipons les évolutions pour les maîtriser autant que possible. L’équation n’est finalement pas si compliquée que cela. Dommage que certains –et je ne parle évidemment pas de l’UWE- prennent des totems et considèrent la sobriété comme un gros mot. Nous avons tous besoin de faire des choix et les chefs d’entreprise le savent mieux que quiconque.

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