Céline Tellier face à Pierre Mottet: “La logistique a toujours un avenir en Wallonie”
Trends-Tendances a soumis la ministre wallonne de l’Environnement et le président de l’Union wallonne des entreprises à l’exercice de l’interview croisée. Bonne nouvelle, les deux se rejoignent largement sur les grands enjeux opposant parfois économie et écologie. Thème 2: la logistique.
Le principe d’une économie circulaire et durable, tout le monde ou presque le salue. Mais du principe à la réalité, il y a parfois de belles levées de boucliers. Trends-Tendances y avait consacré un dossier en début d’année en interrogeant plusieurs entrepreneurs directement concernés. Nous tirons quelques leçons sur la confrontation des enjeux écologiques et économiques, en compagnie de la ministre wallonne Céline Tellier (Ecolo) et du président de l’UWE Pierre Mottet.
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Comme vous allez le découvrir, tous deux estiment que la logistique doit rester l’un des piliers du développement de la Wallonie. Mais ce secteur, comme les autres, doit intégrer les impacts des changements climatiques, précise la ministre.
Trends-Tendances. La dualité économie-écologie a été marquante à propos de Liege Airport. Plus généralement, Céline Tellier, estimez-vous que la Wallonie a fait un choix judicieux en misant notamment sur la logistique pour son redéploiement économique ?
CELIE TELLIER. On ne va pas refaire l’histoire. Certains pôles de compétitivité devront sans doute se développer plus que d’autres. La question est : comment fait-on cela et au bénéfice de qui ? L’important, pour moi, c’est de voir quel est le modèle derrière. Pour reprendre le cas de Liege Airport, le but est-il de faire circuler sur notre territoire des biens jetables, avec une durée de vie de 48h et qui bénéficient surtout à l’industrie chinoise ? Je pense qu’il y a d’autres modèles de développement à favoriser, surtout quand on voit l’importance du soutien public à cette activité.
C’est une vision un peu caricaturale des activités de Liege Airport.
C.T. Je prends l’exemple le plus emblématique, celui d’Alibaba. Mais il y a bien entendu d’autres entreprises, comme Challenge par exemple, bien connu dans la logistique. C’est la philosophie du permis accordé à l’aéroport : on maintient le développement de l’activité économique, en ce compris la logistique. Mais on intègre un nouveau paradigme : la réalité des changements climatiques, elle doit être intégrée dans le business model des entreprises. A mon sens, ce paradigme va devoir s’appliquer à l’ensemble de secteurs économiques.
Comme le disait M. Mottet, il ne faut pas opposer économie et écologie. Les deux termes ont la même racine (eco, la maison). On doit prendre soin de notre maison commune, le véritable enjeu, c’est l’habitabilité de la planète face aux changements climatiques et à l’érosion de la biodiversité.
PIERRE MOTTET. Pour revenir à la logistique, je rappelle un élément factuel : la Wallonie est située au cœur de l’Europe, elle reste une plaque tournante et c’est assurément un atout que nous devons continuer à travailler. Nous disposons d’un arsenal technologique sur lequel nous pouvons appuyer une excellence logistique.
Je salue donc la capacité du politique à trouver une solution. Cela étant, la logistique, ce n’est pas que l’aéroport de Liège, c’est aussi des routes, des voies navigables, des infrastructures ferroviaires. Et j’ai même le sentiment qu’avec le sustainable air fuel, l’aviation n’est pas aussi condamnable qu’on a l’habitude de le dire…
C.T. En aviation également, je vois une société comme Safran se profiler comme l’un des leaders de l’aviation durable. Il y a là une carte à jouer en Wallonie, notamment avec les pôles de compétitivité. Il faut anticiper les changements plutôt que les subir. Je suis convaincue que l’adaptabilité et la robustesse face aux enjeux climatiques sera l’un des indicateurs de performance des entreprises.
P.M. Il faut alors pouvoir planifier les choses. On voit plus ou moins vers où l’on va en matière de normes de bruit pour les avions. Ce qui est insupportable pour l’industrie, c’est quand du jour au lendemain, on dit « c’est fini ».
C.T. Ce n’est pas ce que nous avons fait.
“Ce n’est pas par hasard que la Wallonie est aujourd’hui en bonne place sur la carte mondiale des biotechs.”
P.M. Non, justement. Quand elle connaît à quel rythme, quelles règles protègeront le bien-être des riverains et plus largement le climat, l’industrie peut s’adapter.
Une autre question est : quels genres de biens voulons-nous voir distribués en Europe et avec quelle ampleur ? Intégrer les externalités aux frontières de l’Europe, comme nous sommes en train de le faire, est à la fois une manière de rendre le consommateur conscient de l’impact de ses choix, et une manière pour l’Europe de sortir de sa naïveté concurrentielle par rapport au reste du monde.
Aujourd’hui, quels seraient les secteurs sur lesquels miser pour l’avenir de la Wallonie ?
P.M. Les pôles de compétitivité ont été définis à un moment donné. Il faut sans doute réévaluer mais a priori, nous sommes toujours dans la bonne épure. Ce n’est pas par hasard que la Wallonie est aujourd’hui en bonne place sur la carte mondiale des biotechs. Cela dit, il y a les secteurs mais aussi tout un contexte. Quand on songe à supprimer l’exonération de précompte sur les chercheurs, quand on n’investit pas suffisamment dans les infrastructures de télécommunications ou d’énergie, quand on voit autant de métiers en pénurie, on ne plaide pas pour l’industrie.
“L’économie circulaire doit un secteur majeur pour nous.”
C.T. La question est pour moi : de quelle économie avons-nous besoin pour répondre aux besoins de la population ? Sous cette législature, nous avons beaucoup travaillé sur la relocalisation de l’alimentation. Aujourd’hui, deux sacs de farine sur trois en Wallonie sont importés ; avec la guerre en Ukraine, on voit à quel point une denrée de base comme le blé dépend des importations.
Au-delà, je pense que l’économie circulaire doit un secteur majeur pour nous. Nous sommes le 3e pays de l’OCDE pour les pratiques de recyclage des citoyens et nous sommes également parmi les leaders industriels dans le recyclage, la valorisation et, demain je l’espère, dans l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire les services de réparation, de partages d’outils et d’équipements plutôt que la production de biens.
Enfin, il ne faut pas oublier tous ces secteurs qui sont condamnés à évoluer, pour répondre aux normes de demain. Plus ils tardent à agir, plus ils mettent en danger leur viabilité économique. Ne répétons pas les erreurs de la sidérurgie.
Mais, la sidérurgie existe toujours et s’est bien repositionnée avec des produits hauts de gamme chez NLMK ou Marichal Ketin par exemple…
C.T. Je n’ai pas dit que cela avait disparu, mais l’impact sur l’emploi a quand même été conséquent.
P.M. L’Europe vise l’électrification ou le verdissement de tous les processus industriels. Cela signifie donc, si nous voulons garder des industries comme NLMK, créer de l’hydrogène vert pour avoir un substitut au gaz et disposer de centrales nucléaires. Je le répète : n’opposons pas économie et écologie. Développer les solutions technologiques amènera une activité économique importante et permettra aussi à l’industrie d’attirer les talents dont elle a besoin.
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