“On ne se dispute pas les invendus alimentaires, il faut se baisser pour les ramasser”

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Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste

Revendre les invendus alimentaires pour limiter le gaspillage, une barrière à l’aide alimentaire? Les secteurs associatif et privé semblent « se disputer » ces denrées aujourd’hui fort convoitées. Elles se font rares, déplorent plusieurs acteurs de l’aide alimentaire de la capitale. Et pourtant, « 87% des invendus de la grande distribution sont encore jetés à Bruxelles », précise Marcel Hulin, porte-parole de Happy Hours Market.

Le réseau Loco, qui contribue à l’approvisionnement et la logistique des organisations d’aide alimentaire en Région bruxelloise, a organisé jeudi matin une action symbolique devant une boutique de la start-up bruxelloise “Happy Hours Market”. Les organisateurs entendaient ainsi alerter le grand public sur les conséquences de l’émergence de ce type d’applications, qui proposent des invendus alimentaires à prix réduit. Les deux secteurs se font-ils vraiment concurrence? Réaction de Marcel Hulin, porte-parole de Happy Hours Market, une des start-up pointées du doigt.

Aide alimentaire: le hold-up des start-up?

Pour les organisateurs de cette action, l’heure est grave: la collecte d’invendus est essentielle au bon déroulement de leurs actions, mais aujourd’hui les produits manquent. Les colis qui leur étaient autrefois destinés sont aujourd’hui revendus à des start-up comme Too good to go, Happy Hours Market ou encore Phenix. Certains parlent même de « détournement » des denrées alimentaires.

Un mot fort, selon Marcel Hulin. « On travaille avec des associations qui sont parfaitement satisfaites des services que l’on rend. Ma réaction à chaud? On ne se dispute pas les invendus, il faut se baisser pour les ramasser. À Bruxelles, seuls 13% des invendus de la grande distribution sont revalorisés. 87% sont encore jetés, sur 25.000 tonnes de produits encore consommables, tous les ans, en Région bruxelloise. Donc qu’on arrête de dire qu’on va chercher la nourriture dans la bouche des précarisés et des associations. Il y a de la place pour tout le monde. »

Plutôt que de parler de concurrence, la start-up estime effectuer un travail complémentaire à celui des banques alimentaires. Son activité serait née de deux constats:

  • le gaspillage alimentaire encore trop récurent ;
  • une demande forte de personnes qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts et à se nourrir correctement.

« De nombreuses personnes ne savent plus se payer des courses convenables et n’ont pas nécessairement accès à ces banques alimentaires et associations. Parce qu’il y a des critères qu’il faut respecter pour être considéré comme précarisé. Il y a plein de gens qui sont donc extrêmement contents d’avoir une offre à -50% de produits frais et variés, qui sont vérifiés », précise Marcel Hulin.

Un marché (trop?) lucratif

Pour beaucoup, la monétisation des invendus alimentaires par ces start-up mettraient en danger « la stabilité financière des institutions du secteur associatif ».

« Depuis l’arrivée de ces sociétés commerciales, nos associations ne bénéficient quasiment plus des dons d’invendus des supermarchés, étant donné que ces start-up les rachètent directement à la source », explique ainsi Dominique Watteyne, membre du “Collectif récup” d’Ixelles. « La charité n’est pas commercialisable », insiste-t-elle.

Assiste-t-on pour autant à la naissance d’un « nouveau marché lucratif sur le dos des plus pauvres »? Pour Happy Hours Market, cette question des finances se justifie par les coûts qui doivent être amortis. « On doit effectivement vendre une partie des invendus, parce qu’on n’est pas subventionnés. On a 30 personnes qui travaillent en interne, on a 4 camions-frigos, on a un entrepôt avec une chambre froide, on a développé une application, on fait de la communication… Tout ça a un coût évidemment, et donc il faut, à un moment donné, qu’on puisse couvrir nos frais. »

Du reste, la start-up travaille de concert avec une dizaine d’associations d’aide alimentaire. « On leur livre tous les jours les produits, pas les invendus des invendus ou ce qui finira à la poubelle, comme beaucoup de gens le disent, mais des produits qu’on récupère en trop grand nombre, et qui sont alors donnés gratuitement tous les jours »

Un problème de logistique

Toujours est-il que la demande est toujours plus forte, mais que l’industrie alimentaire et les grandes surfaces ont de moins en moins de surplus à distribuer. Comment s’attaquer à un tel problème? Le ministre bruxellois Alain Maron (Ecolo), en charge du dossier, propose d’obliger notamment les magasins de plus de 1.000 m² à céder leurs invendus alimentaires à des associations pour leur garantir des stocks suffisants.

Une solution qui peine pourtant à convaincre. « Le problème est plutôt logistique. Chaque enseigne est libre de faire ce qu’elle veut avec ses produits. On pourrait récupérer davantage d’invendus et les distribuer, mais il faudrait 10 camions de plus et un entrepôt quatre fois plus grand. »

Autre solution? Obtenir un budget structurel pour financer les banques alimentaires, qui dépendent encore trop des dons. Difficile donc pour elles de garantir la continuité de leurs services…

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