Nouvelle réglementation Airbnb à Bruxelles : “Ce texte va étouffer tout le secteur de l’hébergement touristique”

La commission du développement territorial du Parlement bruxellois a donné son feu vert à un projet d’ordonnance visant à mieux réguler l’offre de meublés touristiques (type Airbnb) dans la capitale. Pour Christophe De Beukelaer, le président des Engagés bruxellois qui a exprimé son opposition à l’ordonnance ce mardi en commission, cette nouvelle réglementation signe “la mort d’Airbnb à Bruxelles”. Seuls les professionnels du secteur ou les très grands propriétaires vont survivre, alors que cette offre d’hébergement touristique n’est pas concurrentielle, mais bien complémentaire au secteur hôtelier.    

Vous vous opposez à cette ordonnance, pour quelles raisons ?  

Ce texte va étouffer tout le secteur de l’hébergement touristique à Bruxelles. Le gouvernement bruxellois va imposer des conditions très strictes aux hébergeurs, avec des amendes dissuasives très élevées, jusqu’à 80.000 euros. Cela va dégoûter tout le monde.  

Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas réguler. Mais, il faut que l’enregistrement soit crédible, que les acteurs puissent vraiment l’obtenir. Et ici, c’est impossible puisqu’’il n’y a pas de catégorie dans la législation urbanistique qui corresponde aux hébergeurs non hôteliers.  

Quelles sont les nouvelles conditions à respecter ?  

Tous les hébergeurs touristiques seront obligés d’obtenir un enregistrement auprès de leur commune. Sauf, que pour obtenir cet enregistrement, il faut une attestation urbanistique. L’attestation urbanistique est définie dans le PRAS, le plan régional d’affectation du sol. Le PRAS date de 2001. On peut donc l’estimer dépassé. Il ne colle plus à la réalité vu qu’il ne comporte aucune catégorie “hébergement touristique”, mais uniquement une catégorie “hôtellerie”. L’exploitant d’un logement Airbnb, qu’il propose une chambre dans son appartement ou un petit gîte, va donc devoir se comporter comme un hôtelier alors qu’il n’en aura pas les moyens. Aujourd’hui, cela se passe déjà comme ça. Mais, en réalité, avec des amendes très basses, et peu de contrôle. De nombreux hébergeurs sont dans l’illégalité. Seulement 260 hébergements sont enregistrés, ce qui représente 5 à 10 % du marché. 95 % du secteur est donc dans l’illégalité.  

Vous évoquez la fin d ‘Airbnb à Bruxelles…  

L’attractivité économique et touristique de la région bruxelloise est en péril. Cette ordonnance représente vraiment une menace pour tous les petits hébergeurs. Elle va étouffer tout un secteur. Seuls ceux qui disposent de moyens suffisants pour modifier le PRAS auront une chance de survivre. Vu qu’il faut en moyenne 50.000 euros pour entamer toutes les procédures de modifications, aucun petit propriétaire ne pourra le faire. Cette loi offrira un boulevard au monde hôtelier. On y crée un quasi-monopole vu qu’on élimine la concurrence. Les professionnels du secteur ou les très grands propriétaires seront les seuls à survivre. 

© Getty Images

Le gouvernement bruxellois avance que Airbnb empêche l’accès au logement dans certains quartiers. Que lui répondez-vous?  

Selon une étude de la VUB, environ 26.000 logements sont inoccupés à ce jour à Bruxelles. Ce ne sont donc pas les quelques milliers de logements mis à disposition sur les plateformes de logements touristiques qui vont changer la donne. Surtout que ces logements mis en location sont souvent des parties de logements.  

Une étude française a aussi démontré que l’impact des logements vacants sur la crise du logement est 40 fois plus élevé que l’impact du “short-term rental” (STR), soit l’hébergement touristique de courte durée. Alors, oui, dans certains quartiers de Bruxelles, il y a peut-être un impact des STR sur l’accès au logement, mais ce n’est pas prépondérant.  

Que proposez-vous de plus adapté?  

Le gouvernement bruxellois agit dans ce dossier dans une vision très court-termiste. On aurait pu fonctionner, par exemple, par quartier avec des quotas, en donnant de vraies perspectives pour chaque secteur. On aurait pu réaliser une analyse beaucoup plus fine.  

On sent bien que dans l’esprit de Rudy Vervoort, le ministre-président bruxellois, il y a la peur d’une concurrence entre l’hôtellerie classique et les hébergements touristiques et une aversion pour les plateformes numériques. Cette peur n’est pas justifiée pour moi, car il s’agit de deux demandes vraiment différentes. Les personnes qui utilisent ces plateformes cherchent une expérience différente, plus flexible, plus authentique et plus immersive dans des quartiers plus résidentiels. Et ce n’est pas moi mais un rapport de la Commission européenne qui le dit. Ce rapport conclut que les plateformes de location de logements touristiques sont une tendance positive pour le tourisme européen, mais qu’il est important de les réguler pour éviter les abus.

Vous faites la comparaison avec le dossier Taxi vs Uber 

Oui, la même manœuvre est à l’œuvre. On refait exactement les mêmes erreurs que dans le dossier Taxi vs. Uber, sans comprendre que le monde, la technologie ont évolué. La technologie permet à une nouvelle demande d’émerger. Les taxis Uber ont un autre fonctionnement, plus flexible. Les taxis classiques ont peut-être l’impression qu’Uber leur pique des clients, mais ce sont souvent de nouveaux clients qui ne prenaient pas le taxi. Ils sont séduits par la flexibilité et les tarifs attractifs d’Uber. Il y a moins de 10 à 15 % de concurrence entre les taxis et Uber. La même chose se passe dans l’hôtellerie, avec la nouvelle demande créée par Airbnb. C’est très important pour l’attractivité économique et touristique de Bruxelles d’avoir ces deux offres en parallèle. Pour moi, elles ne sont pas concurrentielles, mais bien complémentaires. Elles attirent d’autres publics et d’autres profils. La Commission estime également dans un rapport que cette offre est complémentaire à celle du secteur hôtelier. 

Quels sont les recours possibles?  

En général, nous déposons des amendements pour tenter d’améliorer les textes. C’est ce qu’on a d’ailleurs fait avec l’ordonnance Taxi/Uber. On avait réussi à faire évoluer le texte. Ici, on a voté contre, il n’était pas possible d’amender l’ordonnance. Il aurait fallu, dès le départ, réformer complètement le PRAS. C’est une tout autre approche.

Il y a plusieurs espoirs que cela change. Certains acteurs du secteur pourraient aller en recours pour tenter de bloquer le texte. Je ne suis par ailleurs pas sûr qu’elle va accepter le texte parce qu’il entrave grandement la liberté économique et de propriété des citoyens qui mettent leur bien en location. Les textes de loi stipulent en effet qu’on ne peut entraver la liberté économique que pour des raisons vraiment impérieuses et de manière proportionnelle. Ici, le gouvernement bruxellois estime que la raison impérieuse, c’est la crise du logement. Sauf, que peu d’analystes y croient. La Commission européenne risque donc de conclure que ce texte ne passe pas la barre et qu’il entrave les directives de liberté économique. Si on réforme fondamentalement le PRAS en ajoutant une catégorie “hébergement touristique”, cela pourrait aussi modifier l’application de cette réglementation. Il n’y a pas de perspective à court terme. C’est vraiment un travail de longue haleine. 

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