“A Bruxelles, il faut rompre avec ce gouvernement de gauche anti-entreprises” 

Christophe De Beukelaer (Les Engagés). BELGA PHOTO HATIM KAGHAT
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Christophe De Beukelaer estime que l’équipe Vervoort manque de stature et n’aime pas le secteur privé. La Région devrait devenir le moteur d’une “start up nation”, selon lui. Entretien sur fond de propos très durs à l’égard du manque de réaction face à l’avenir incertain d’Audi Forest. 

Christophe De Beukelaer est député bruxellois (Les Engagés) et auteur d’un livre, Au-delà du bruit (éd. Weyrich), dans lequel il suggère dix solutions pour notre avenir. En visant le long terme et les réformes en profondeur. Il évoque sa vision, mais aussi une actualité bruxelloise qui en prouve la pertinence. Il a, notamment, des mots très durs sur l’inaction du gouvernement Vervoort au sujet de la situation chez Audi Bruxelles. 

Vous proposez, dans votre livre, de faire de la Belgique une “start up nation”, agile et innovante. C’est votre fil rouge? 

Bien sûr. Je vois l’Europe et la Belgique comme la Castafiore dans Tintin parée de magnifiques bijoux, mais qui a très peur de les perdre et fait tout pour les protéger, sans prendre de risque. Oui, on manque drastiquement, en Belgique, de flexibilité, de capacité d’adaptation dans un monde qui change à toute vitesse. On l’a également vu pendant la période du Covid: on a géré la crise en visant le zéro risque. Il y a aussi une responsabilité citoyenne et médiatique dans ce constat: jusqu’à quel point laisse-t-un ministre se tromper? 

L’enjeu, c’est d’assouplir les règles et de créer un cadre favorisant l’esprit d’entreprise et l’innovation? 

Oui, il faut assouplir le cadre. Mais il faut mettre ces concepts-là en avant dès l’école, faire travailler davantage les élèves par projet, les évaluer sur leur capacité de collaborer entre eux… Cela va même jusque dans nos universités: on a énormément de projets de recherche, mais on les transforme trop rarement en projets d’entreprises. Nous prenons trop peu de risques.  

Le secteur public gère mal ce rapport au risque. Prenez l’exemple du plan de mobilité Good Move, à Bruxelles: on a fait un grand plan que l’on essaie d’imposer partout. Je me suis rendu à Londres où ils ont fait aussi un tel plan quartier par quartier, mais les aménagements sont monitorés quotidiennement, ils faisaient des essais successifs afin d’évaluer ce qui fonctionnait le mieux. 

On devrait mieux tenir compte des réalités? Etre plus agile? 

Oui, j’évoque dans le livre cette notion d’agilité. Cela demande évidemment d’assouplir nos structures publiques. Aujourd’hui, il faut cinquante autorisations avant de prendre la moindre initiative parce que chaque administration a quelque chose à dire. Regardez le temps qu’il faut pour obtenir un permis d’urbanisme en Région bruxelloise pour un projet qui a un minimum d’ampleur: la moyenne est de six à dix ans! Cela freine complètement le dynamisme économique. On arrive lentement à une certaine digitalisation, mais comment est-ce possible d’avoir tardé à ce point? A Bruxelles, en particulier, la lasagne institutionnelle est contre-productive. 

Parce qu’il y a les Régions, les communes, les nombreuses structures parapubliques…? 

Oui, j’ajouterais à cela le fait que l’administration doit être réformée. Je ne dis pas que tous les fonctionnaires sont paresseux, je ne suis pas là-dedans, mais leur statut et l’évolution des structures font que l’on a beaucoup de mal à répondre à ces évolutions. Les administrations sont très lourdes, c’est également la conséquence du fait que les cabinets ministériels prennent toutes les missions importantes, on n’y a plus l’impression de participer à la gestion de l’Etat. Je rêve d’une administration d’excellence, avec une vraie expertise. Cela nécessite aussi des fonctionnaires à qui l’on peut proposer une mobilité professionnelle, de la flexibilité dans les horaires ou dans les tâches à effectuer. C’est une gestion privée, de management. 

Etes-vous de ceux qui s’inquiètent que la politique de “Bruxelles aux Bruxellois” fasse partir les entreprises? 

Le premier grand problème de Bruxelles, c’est son carcan des dix-neuf communes qui coupe la Région de son hinterland socio-économique. Cela empêche de mener des politiques économiques, environnementales ou de mobilité de qualité et de long terme. C’est le mal originel. Cela dit, il y a une responsabilité des représentants politiques bruxellois actuels qui n’incarnent pas Bruxelles, qui ne sont pas déterminés… Je ne suis pas certain que le gouvernement Vervoort dispose du charisme ou du crédit nécessaire. Qui a confiance dans cette majorité pour sortir Bruxelles de l’ornière? Personne et j’ai l’impression que les ministres eux-mêmes ne sont pas très convaincus. Les gouvernement Picqué (PS) ou Simonet, peu importe la couleur politique, avaient un peu plus de stature. Dans le plan de relance, on a clairement été lésé. 

Bruxelles a du mal à s’imposer parce qu’elle se comporte comme une citadelle assiégée? 

Nous devons garder un lien avec notre hinterland socio-économique et rester une Région ouverte en lien avec la Wallonie et la Flandre. 

Ce doit être un laboratoire de la “start up nation”? 

Bruxelles doit être le moteur de ça, bien sûr. Nous avons des atouts incroyables avec le cosmopolitisme de la ville, les institutions européennes… Le chômage des jeunes est élevé, mais c’est aussi une opportunité, on doit les convaincre via l’entrepreneuriat, les métiers du numérique… Je pleure pour que l’on dispose d’une vraie stratégie digitale à Bruxelles. Avec des formations plus poussées: à titre personnel, je suis favorable à une régionalisation de l’enseignement. Aujourd’hui, vous l’avez dit, on s’enferme, mais on n’a pas les moyens de ses ambitions. 

La dynamique de transition économique à Bruxelles est intéressante, mais elle ne suffit pas? 

L’idée de la “Shifting Economy” est intéressante, mais ce que Barbara Trachte (Ecolo) oublie complètement, c’est que la viabilité d’une entreprise passe par l’impact écologique et social, mais aussi la viabilité économique. On dit que ce gouvernement bruxellois est de gauche et anti-entreprises, mais je le vois effectivement dans plein de dossiers. 

Vous reprenez ce constat à votre compte? 

Tout le monde le dit, mais moi aussi: ce gouvernement ne sait pas travailler avec le secteur privé. Regardez ce qui se passe à Audi Bruxelles: a-t-on vu Vervoort, Trachte, Clerfayt… prendre le train pour Wolfsburg en Allemagne pour rencontrer ses dirigeants? Il y a des rumeurs à ce sujet depuis six mois! Quelle est notre stratégie à long terme? Picqué, Cerexhe, Verhofstadt, ils faisaient cela à l’époque! En matière d’énergie, on n’a plus que deux fournisseurs à Bruxelles, mais qui s’est assis à table avec Luminus ou Octa + pour tenter de trouver une solution. J’ai posé la question au ministre Alain Maron (Ecolo), mais ils sont dans une logique du méchant privé qui ne pense qu’à son profit. Mais ce sont au contraire des acteurs qui nous aident dans la transition! Et je ne parle pas d’Uber ou d’Airbnb qui sont considérés comme le diable alors qu’ils créent de l’activité et réveille un secteur. Ou encore le dossier des aides à l’exportation, que l’on a menacé de supprimer. 

De façon plus large, en Belgique, la scène Tech est négligée, Mathieu Michel a été incapable de prendre cela en main. C’est en partie le fruit de la complexité institutionnelle, en partie le résultat de responsables politiques qui n’ont pas exercé de responsabilités dans le privé et qui sont devenus hors-sol par rapport à la réalité après dix ou quinze ans. 

Votre vice-président, Yvan Verougstraete, disait qu’il faut une vraie rupture à Bruxelles. Vous le pensez aussi? 

Evidemment. Ce que notre président, Maxime Prévot, a réussi à faire en attirant des personnalités de la société civile, ce n’est pas pour faire de la figuration. Demain, ces gens-là seront aux responsabilités et cela aura un vrai impact sur la gouvernance. 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content