Depuis plusieurs années, la Région bruxelloise utilise des procédés inhabituels pour adoucir la lecture de ses finances. Selon une enquête conjointe de De Tijd et The Brussels Times, des montants encore hypothétiques, comme des économies à décider, sont intégrés aux budgets. Une manière de présenter des déficits moins inquiétants qu’ils ne le sont en réalité. Le prochain gouvernement a du pain sur la planche, mais à là-aussi, ça se crispe.
Bruxelles est aujourd’hui la région la plus mal en point du pays sur le plan budgétaire. Déficit estimé pour 2024 : 1,6 milliard d’euros, soit un quart des recettes régionales. Loin devant la Flandre (7 %) ou la Wallonie (12 %). En quatre ans, la dette régionale est passée de 8,9 à 15,6 milliards d’euros, selon les derniers chiffres de la Banque nationale de Belgique (BNB).
Derrière ces chiffres peu enviables, une gestion des finances qui interroge. D’après une enquête conjointe de De Tijd et The Brussels Times, plusieurs techniques comptables contestables ont été utilisées pour minimiser artificiellement l’état réel des finances bruxelloises. Le gouvernement Vervoort a notamment intégré 825 millions d’euros d’aides européennes non versées dans ses liquidités, gonflant ainsi son taux de couverture de la dette.
« Si l’argent est dans la poche de votre voisin, ce ne sont pas vos liquidités », rappelle Xavier Debrun, chef du service Économie à la BNB, pointant un usage « inapproprié » de ces montants, dans le quotidien économique.
Budgets fictifs et dettes maquillées
En 2024, le gouvernement bruxellois annonçait un retour à l’équilibre pour 2026. Problème : un milliard d’euros de mesures encore à décider étaient déjà comptabilisés comme acquises. Une anticipation sans fondement, alors même que les élections n’avaient pas encore eu lieu, et que la capitale fait face à une crise inédite de près de 500 jours sans gouvernement.
Autre anomalie : un écart de plus de 600 millions d’euros entre les chiffres de dette publiés par le gouvernement bruxellois et ceux de la BNB. En cause, des divergences d’interprétation sur l’inclusion des dettes d’une quinzaine d’entités para-publiques.
Le constat est clair : Bruxelles ne souffre pas seulement d’un problème de dépenses, mais d’un manque de rigueur dans l’élaboration même de ses budgets.
Une formation politique enlisée
Seize mois après les élections, les négociations pour former un gouvernement régional piétinent. Le MR, le PS, Les Engagés, Open VLD, Vooruit et Groen tentent de s’entendre sur un plan de redressement. Les discussions sont rudes. En jeu : une réduction du déficit d’un milliard d’euros d’ici 2029.
Mais à peine le cadre fixé, les blocages surgissent. L’Open VLD, après avoir menacé de claquer la porte, a accepté de rester. Ce sursis n’a pas suffi à créer un climat de confiance.
Chaque parti a ses lignes rouges. Le PS refuse de toucher aux effectifs administratifs, Groen rejette toute coupe dans la STIB, Les Engagés protègent les budgets des communes. Et chacun soupçonne l’autre de saboter l’effort collectif. C’est dans l’heure de vérité qu’on s’aperçoit de l’hétérogénéité de cette potentielle coalition, à qui il manque toujours un partenaire, soit dit en passant.
Le métro 3, symbole d’un malaise plus large
Le projet de Métro 3 cristallise aussi les tensions. Dépassements de coûts, calendrier incertain, retour sur investissement flou. Georges-Louis Bouchez (MR) a exigé une nouvelle évaluation complète. En attendant, personne ne veut assumer publiquement un arrêt du projet. « Tout le monde sait que le projet a du plomb dans l’aile, mais personne ne veut être celui qui le dit », glisse une source bruxelloise, à La Libre.
La STIB, elle, est dans le viseur : ses dépenses sont passées de 1,03 à 1,5 milliard d’euros entre 2018 et 2024. Soit près de 500 millions d’euros supplémentaires, selon un document interne. Une trajectoire qui alimente les critiques, mais que les Verts refusent de remettre en question.
À court de méthode
Jusqu’ici, aucune synthèse budgétaire n’a été formalisée. Les deux premières notes du formateur David Leisterh (MR) ont soulevé plus de critiques que d’adhésions. Une troisième version est attendue jeudi, dans l’espoir de poser les premiers jalons d’un accord.
Objectif : faire baisser le déficit de 1,5 à 500 millions d’euros. Pour y parvenir, il faudrait 750 millions d’économies, 200 millions de nouvelles recettes fiscales, et 50 millions d’économies sur la dette.