L’économiste reconnaît dans notre Trends Talk que “l’accord du siècle” de Bart De Wever est important. Il pointe du doigt les risques majeurs de fracture sociale et communautaire de la réforme du chômage, regrette la taxation des plus-values et salue un premier effort en matière de pensions. Mais attention: cela devra être évalué. “La Belgique est un pays d’adaptations, pas de révolutions”.
L’économiste et académicien Bruno Colmant est l’invité de notre Trends Talk, qui passe en boucle ce week-end sur Trends Z. L’occasion d’évoquer avec lui un mois de juillet riche sur le plan politique et économique, avec la conclusion de ce que le Premier ministre, Bart De Wever, a nommé “l’accord du siècle”: une série de réformes en matière d’emploi, de pensions, de fiscalité…
“Un changement de paradigme”
L’accord du siècle, vraiment? “Avant tout, j’espère que le siècle ne va pas s’arrêter trop vite, parce qu’il y a encore 75 ans à parcourir, entame Bruno Colmant. Mais c’est indéniablement un accord important qui a dû demander beaucoup de travail, beaucoup de précision, beaucoup de concertation parce que finalement, de nombreux domaines ont été touchés.”
Qu’en pense-t-il, sur le fond? “En matière de fiscalité, il n’y a pas énormément de changement, analyse-t-il. Si ce n’est cette fameuse innovation de la taxation des plus-values qui, à mon avis, n’aura pas l’impact qu’on peut espérer, mais qui est un changement de paradigme. C’est sans doute le plus important depuis la grande réforme d’après-guerre en 1962.” L’économiste a exprimé, ces dernières semaines, ses réticences à l’égard de ce système trop complexe, qui envoie un mauvais signal.
“Une fracture sociale et communautaire”
Les remises à l’emploi? Si l’intention est bonne, le risque est majeur. “Nous allons peut-être faire face à de grandes difficultés, estime-t-il. On comprend bien sûr la volonté du gouvernement: remettre au travail les chômeurs de longue durée et les malades de longue durée, pour rapprocher le taux d’emploi des 80 %. Mais il s’agit d’une fracture massive de notre Etat social, dont on ne mesure pas les conséquences dans la vie des femmes et des hommes qui seront affectés. Potentiellement, deux tiers des personnes concernées ne vont pas retrouver un travail. Cela accentuera le clivage entre ceux qui sont du bon côté de la société et ceux qui sont du mauvais côté.”
Ce clivage social se juxtapose à un clivage géographique. “Bruxelles et la Wallonie, qui ont des taux de chômage plus importants que la Flandre, seront fortement affectées par ces mesures. C’est extrêmement brutal parce que les CPAS ne sont pas prêts à traiter massivement les situations de dizaines de milliers de personnes. Ça risque de créer des creux en termes de citoyenneté. On aurait pu faire les choses de manière plus progressive. On ne connaît pas non plus quelle sera la réaction de la rue et de l’opposition quand les premières mesures vont faire sortir les effets.”
Bruno Colmant ne conteste pas lé nécessité d’agir pour remettre au travail ces personnes qui ont décroché de la société. “On ne peut pas vivre dans un pays où il y a 1.000.000 de personnes qui sont aux chômeurs de longue durée ou malades de longue durée. Mais l’important, c’est de redonner le goût du travail. Je ne sais pas si la sanction financière sera suffisante. Le chômage de longue durée, c’est une conjugaison de décrochages citoyen, civil, alimentaire, culturel et social.”
En tout état de cause, le gouvernement devra “trouver un équilibre” et “ne plus trop toucher à ces mesures, parce qu’il faut que la Belgique s’adapte”. “La Belgique n’est pas un pays de révolutions, c’est un pays d’adaptations, dit l’économiste. Il faudra dans un an ou deux, imaginer des points d’étape au terme desquels on va pouvoir mesurer la pertinence de ce qui a été fait et sans doute corriger ce qui devra l’être.”
“Une action à long terme”
Dans son “accord du siècle”, Bart De Wever insiste sur la réforme des pensions, destinée à maintenir le système viable. “Là, on touche à quelque chose de très important, confirme l’économiste. Rien ne dit que le système sera totalement soutenable tel qu’on le prévoit maintenant dans 10 à 15 ans. Mais cela montre quand même que le gouvernement a eu le courage de s’attaquer à quelque chose qui touche le long terme. Même si on aurait dû s’y attaquer il y a 40 ans, parce que la démographie est un facteur qui est parfaitement prévisible.”
Le Comité d’étude du vieillissement a publié une première étude démontrant que cette réforme ralentirait la hausse des dépenses sociales. Et si certains régimes spéciaux sont affectés, “c’est évidemment désagréable pour les personnes qui subissent cette baisse, mais l’important, c’est de permettre aux citoyens plus démunis de continuer à vivre”, estime l’économiste, qui plaide de longue date pour une forme d’allocation universelle en matière de pensions.
Un Trends Talk source de nombreux questionnements, à ne pas manquer.