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Brexit: “Il est chaos moins cinq”

“Nous ne vendons pas de simples carrés de chocolat”. Face au journaliste du Financial Times qui l’interroge, Joachim Lang, le directeur de BDI, la fédération des industriels allemands, laisse transparaître une pointe d’énervement. Les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le Brexit patinent depuis deux ans.

Le délai qui avait été fixé pour un accord – le Conseil européen du 18 octobre prochain – paraît de plus en plus inatteignable. Ce n’est pas trop grave en soi. Il y a encore au moins une réunion du Conseil, en novembre, susceptible de le valider. Mais après la mi-novembre, a averti Michel Barnier, le négociateur en chef de l’Union européenne, il sera trop tard. Le Royaume-Uni aurait alors toutes les chances de devoir affronter un Brexit dur et désordonné.

Ce qui énerve les industriels allemands – et les autres – est l’incompréhension de Londres à l’égard du problème de fond. En juillet, Theresa May, la Premier ministre britannique, avait dévoilé son ” plan de Chequers “, qui prévoit le maintien d’une sorte de marché commun cantonné aux biens et aux produits agricoles, tout en renforçant les contrôles migratoires et en abandonnant, dans les services financiers, l’idée du passeport européen. Le Royaume-Uni maintiendrait, avec les pays de l’Union européenne, la libre circulation des biens (ce qui évite de devoir recréer une frontière en ” dur ” avec l’Irlande), mais pas celles des personnes, des services et des capitaux.

Pour les entreprises du continent, comparé au cargo du grand marché, le Royaume-Uni est un simple chalutier.

Or, un tel compromis ne bute pas seulement contre la position européenne qui ne désire pas qu’un pays tiers ” fasse son marché ” parmi les quatre libertés de circulation qui constituent l’essence du marché unique (biens, personnes, services, capitaux). Il est aussi impraticable dans les faits. ” Aujourd’hui, lorsque nous vendons une machine, nous ne vendons pas seulement le produit, explique Joachim Lang. Nous vendons aussi des services, des données, de la maintenance. Vous ne pouvez pas choisir une liberté ( la libre circulation des biens, Ndlr) et laisser les trois autres sur le côté. Nous ne vendons pas de simples carrés de chocolat. ”

Sans accord pour la mi-novembre, les entreprises vont donc travailler sur le scénario catastrophe d’un no deal, une absence d’accord entre Londres et l’Union. Et elles sont déjà de plus en plus nombreuses à l’anticiper. Crédit Suisse a, par exemple, choisi de déménager son QG à Francfort, et Panasonic à Amsterdam. Car en l’absence d’une période de transition et avec la réinstauration de frontières et de postes douaniers à laquelle personne n’est préparé, ce no deal risque de déclencher un joli désordre.

En prônant la sortie de l’Union européenne voici deux ans, les Brexiters croyaient que les grandes entreprises internationales soutiendraient un gouvernement britannique désormais libéré de la tutelle de ces petits Napoléon qui siègent au Berlaymont. Ils pensaient que le Royaume-Uni pourrait de nouveau signer de vastes accords commerciaux avec le monde entier et naviguer, pavillon haut, sur les flux commerciaux. Rule Britannia ! Britannia rule the waves… La réalité est tout autre. Pour les entreprises du continent, le Royaume-Uni est un simple chalutier, comparé au cargo du grand marché. Du coup, comme le souligne le patron du lobby industriel allemand, elles soutiennent ” pleinement la position de négociation de la Commission européenne “.

Il reste donc deux mois au Royaume-Uni et à l’Europe pour trouver un véritable accord, qui respecte à la fois la volonté britannique d’évoluer en dehors de l’Union, mais aussi les chaînes de valeurs internationales et l’esprit de la construction européenne qui veut que si l’on adhère à son marché, on adhère à l’entièreté de celui-ci. Un tel accord n’est pas impossible, la Norvège l’a signé. Mais pour aboutir à une relation similaire entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, il est moins cinq. Sinon, à nous le chaos.

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