Au Nagorny Karabakh, les dessous économiques du conflit Azerbaïdjan-Arménie

Nagorny Karabakh en 1992

Si l’économie n’est pas le moteur premier du conflit entre l’Azerbaïdjan, puissance pétrolière régionale, et l’Arménie, bien plus pauvre, au sujet de l’enclave séparatiste du Nagorny Karabakh, cette guerre pourrait avoir d’importantes répercussions économiques pour la région.

– Perfusion arménienne –

L’enclave azerbaïdjanaise peuplée majoritairement d’Arméniens et contrôlée de facto par Erevan a une économie modeste (713 millions de dollars en 2019) mais une forte croissance depuis une dizaine d’années (environ 10% annuels), selon le service de statistiques local cité par le quotidien russe RBK.

Plus de la moitié de son budget provient toutefois de subventions arméniennes, ainsi que des largesses de la diaspora dans le monde, qui ont provoqué un boom de la construction.

Si l’Azerbaïdjan en reprend le contrôle, l’Arménie perdrait donc des infrastructures et des années d’investissements. Encore en 2019, Erevan a versé 120 millions de dollars, toujours selon RBK.

Entre la guerre et le coronavirus, l’Arménie qui prévoyait une croissance d’environ 4% cette année, pourrait la voire plonger de -10% ou plus selon Tatoul Manasserian, économiste, professeur et ancien député, de retour du front.

“Il n’y a pas d’infrastructure économique qui n’ait pas été endommagée”, affirme-t-il.

Il évoque aussi, si la guerre devait durer, le coût humain pour l’Arménie, qui ne compte que 3 millions d’habitants contre le 10 millions d’Azerbaïdjanais.

“Il y aura un déficit de main d’oeuvre qualifié, des jeunes ingénieurs et scientifiques” quittant leurs emplois pour partir et parfois mourir au front.

Côté arménien, le conflit a fait plus de 800 morts en moins d’un mois.

– Mines et électricité –

L’économie du Karabakh repose en grande partie sur le secteur minier (cuivre, or, pierres précieuses). Dans la province de Martakert, des mines exploitées par le groupe arménien Vallex se trouvent tout près de la ligne de front.

Or du fait du conflit, qui a débuté le 27 septembre, “Le complexe minier de Kachen, le plus grand employeur et contribuable de l’Artsakh (nom que se donne l’enclave, ndlr) (…) a cessé la production”, selon Vallex.

La région séparatiste produit également de l’électricité grâce à des barrages hydroélectriques, et en exporte même vers l’Arménie depuis quelques années.

– Oléoducs, gazoducs –

Riche en hydrocarbures, l’Azerbaïdjan est le point de départ de voies stratégiques de transport de pétrole de la mer Caspienne vers l’Europe.

Certaines contournent la Russie, à l’image de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC, auquel participent notamment BP, Total et Eni) qui relie l’Azerbaïdjan à la Turquie via la Géorgie.

Parallèlement à celui-ci passe également un gazoduc “Caucase du Sud” (SCP ou BTE pour Bakou-Tbilissi-Erzurum), opéré avec BP. Ce dernier devrait être relié à l’Italie fin 2020.

Ces deux structures, essentielles pour l’économie azerbaïdjanaise, passent à quelques dizaines de kilomètres du front. Une attaque pourrait sérieusement perturber l’économie azerbaïdjanaise, déjà affaiblie par la chute des prix du pétrole, et déclencher une escalade du conflit.

“Les pipelines sont à deux mètres sous terre, donc ils sont protégés des dommages matériaux”, veut croire l’analyste Swapnil Babele de Rystad Energy, mais “tout scénario dans lequel les forces arméniennes atteignent des territoires traversés par les pipelines menace les exportations de pétrole et de gaz de la région”.

Or toute perturbation aurait un impact sur la Turquie, liée à l’Azerbaïdjan par d’important contrats de livraison et transit, et entraînerait dans le conflit ce grand soutien géopolitique de Bakou et ennemi historique de l’Arménie.

– Région affaiblie –

Depuis 30 ans, ce conflit empêche l’intégration économique des trois pays du Caucase du Sud issus de la chute de l’URSS (Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie), et les achats d’armements viennent drainer les budgets des belligérants.

“Les dépenses militaires des deux pays pourraient être consacrées à la protection sociale de la population et au développement de l’économie”, regrette Natig Djafarli, économiste et secrétaire exécutif du parti d’opposition azerbaïdjanais Real.

L’Arménie, sans pétrole, est le parent pauvre régional, les infrastructures pétrolières et de transport l’évitant.

“Beaucoup de projets régionaux ont été réalises sans l’Arménie, en la contournant”, souligne M. Djafarli.

Enfin, le conflit risque de plomber les investissements internationaux en Azerbaïdjan comme en Arménie.

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