Alexia Bertrand : “Nous pouvons redresser le budget sans augmenter les impôts”

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Le budget belge est confronté à un effort budgétaire d’au moins 25 milliards d’euros pour éviter les remontrances de l’Europe, des marchés financiers et des agences de crédit. Mais cet effort est parfaitement réalisable, affirme la secrétaire d’Etat fédérale au Budget, Alexia Bertrand. “Un effort de 25 milliards d’euros est parfaitement réalisable sans nuire à la population”, affirme-t-elle.

“Selon la N-VA, la Belgique a le pire budget d’Europe, à l’exception de la Slovaquie. Cette analyse est ­erronée et me met en colère”, déclare une Alexia Bertrand (Open Vld) combative. “Sept Etats membres européens font pire avec leur déficit budgétaire et quatre pays avec leur dette publique. En effet, sur la base des plans budgétaires soumis pour 2024, la Slovaquie est le seul pays à faire pire que la Belgique, mais ces chiffres ne sont plus d’actualité. Pendant ce temps, le budget de la France déraille. C’est la crise là-bas. On me juge sur les déficits futurs à politiques inchangées. Ce n’est pas sérieux! D’ailleurs, nos réalisations sont à chaque fois meilleures que les estimations que nous avions faites.”


Alexia Bertrand est entrée dans le gouvernement De Croo en tant que secrétaire d’Etat au Budget et à la Protection des consommateurs en 2022, succédant à Eva De Bleeker. Les chiffres dans le rouge sont immédiatement arrivés à ses oreilles. Avant d’aborder les affaires courantes, le gouvernement Michel a laissé un budget 2019 avec un déficit de 2 % du produit intérieur brut (PIB). Il s’agit du déficit belge cumulé de tous les gouvernements, le budget fédéral étant le principal contributeur au déficit. En 2020, la crise du covid a entraîné un trou de 8,9 % dans les finances publiques. Grâce à la reprise économique et à un ensemble de mesures prises par le gouvernement De Croo, un déficit global de 4,4 % est attendu cette année, mais d’ici 2029, le déficit augmentera à nouveau pour atteindre 6,4 % si les politiques restent inchangées. Cette trajectoire est insoutenable, concluent à peu près toutes les institutions et tous les économistes qui suivent le budget.

TRENDS-TENDANCES. Avec quel sentiment quittez-vous le Budget ?

ALEXIA BERTRAND. Avec fierté. Nous avons su faire la part des choses. C’est une tâche ingrate, mais c’est le sort du secrétaire d’Etat au Budget. Nous avons fait un effort de 5 milliards d’euros en 2024, soit 3 milliards d’euros de plus que ce qui avait été convenu dans l’accord de gouvernement. C’est l’effort que nous devrons faire chaque année au cours de la prochaine législature. La bonne nouvelle, c’est que cet effort est tout à fait possible sans nuire aux citoyens. Sur l’ensemble de la législature, nous avons réalisé un effort de 11 milliards d’euros, malgré le covid et la crise énergétique. Il faut voir cet effort de 11 milliards comme la somme des mesures que nous avons prises au cours de cette législature.


Nous avons réalisé cet effort – j’utilise délibérément le mot “effort” et non le mot “économies” – par le biais du système à trois niveaux : un tiers pour les recettes, un tiers pour les dépenses et un tiers pour les dépenses diverses, comme convenu dans l’accord de gouvernement. Nous y sommes parvenus sans augmenter les impôts de la classe moyenne ou des travailleurs. Personne n’a ressenti l’effort. Personne n’est descendu dans la rue. Oui, nous avons augmenté les impôts sur les banques. En tant que libérale, je ne suis pas favorable à l’augmentation des impôts, mais il était possible d’augmenter les impôts sur les banques.


Les agences de notation ont confirmé notre solvabilité, bien que les perspectives de l’une des trois principales agences soient négatives. En tant que libéraux, nous avons consenti des efforts budgétaires supplémentaires pour maintenir cette cote de crédit. Et voilà qu’on me reproche de ne pas avoir réussi à boucler le budget ? Voyons donc !


La performance budgétaire d’un gouvernement se mesure le mieux par l’évolution du déficit budgétaire structurel primaire, c’est-à-dire le déficit avant charges d’intérêts et corrigé des fluctuations conjoncturelles. En 2019, ce déficit combiné s’élevait à 0,7 % du PIB. En 2020, le déficit s’est creusé pour atteindre 3,4 %. Cette année, un déficit de 2,1 % est attendu.

“Le gouvernement De Croo a fait un effort budgétaire plus ­important que le gouvernement précédent. C’est l’essentiel.”

Sur la base de ces chiffres, quelle est votre analyse ?

Le déficit structurel primaire est en effet important pour mesurer l’effort accompli. Sous le gouvernement précédent, ce déficit s’est détérioré de 1,4 point de pourcentage. Après le départ de la N-VA du gouvernement fédéral en 2019, le déficit budgétaire a augmenté de 10 milliards d’euros en affaires courantes. Au cours de cette législature, il s’est amélioré de 1,7 %. Le gouvernement De Croo a fait un effort budgétaire plus important que le gouvernement précédent. C’est l’essentiel.


Le budget n’est pas non plus une question purement fédérale. Savez-vous que le budget flamand a dévié de 3 milliards depuis le début de la législature ? Savez-vous que la dette flamande a pratiquement doublé, passant de 18 à 35 milliards d’euros, alors que le gouvernement fédéral a également pris en charge la facture d’électricité et d’énergie des Flamands à hauteur de 40 milliards d’euros ? Et qui paie les pensions des fonctionnaires flamands ? Qui paie la contribution annuelle de 8 milliards d’euros à l’Europe ? Qui paie les intérêts de la dette publique qui est restée dans le bilan du gouvernement fédéral ? Qui paie les allocations de chômage si les Etats fédéraux ne s’activent pas suffisamment ?


La N-VA ne veut plus payer pour la médecine préventive, une compétence de la Flandre, parce que les bénéfices sont pour le niveau fédéral. C’est certainement très cynique. C’est littéralement écrit sur leur site web. Il suffit d’oser l’écrire. Nous sommes les meilleurs en matière de soins de santé, mais nous investissons deux fois moins dans la prévention que l’Allemagne et la France et trois fois moins que les Pays-Bas. Je dis cela avec beaucoup de gentillesse et de sympathie pour la N-VA, avec laquelle j’aimerais beaucoup travailler dans le prochain gouvernement. Pourquoi ? Je ne demande pas un gouvernement Vivaldi II. Une coalition de sept partis, c’est trop. Sur le plan socio-économique, la N-VA et l’Open Vld sont des partenaires naturels. Plus une coalition de centre-droit est importante, plus les chances de réformes sont grandes. Cependant, la N-VA veut détruire l’Open Vld et le cd&v. La N-VA veut-elle alors gouverner avec des partis qui souhaitent augmenter les impôts ? Ou avec le Vlaams Belang, qui a un programme socio-économique de gauche ?

A politiques inchangées, le déficit budgétaire structurel évoluera vers les 5 % et plus vers 2029, selon les estimations de la BNB, principalement en raison de l’augmentation des coûts liés au vieillissement.

Nous ne pouvons pas nous le permettre. Les réformes sont donc très importantes. Nous avons fait un premier pas avec la réforme des pensions, mais les dépenses de pension continuent d’augmenter. En 2020, nous dépensions 50 milliards d’euros pour les pensions, en 2028 ce sera 80 milliards d’euros. Les dépenses de retraite augmentent donc de 3 à 4 milliards d’euros par an. Nous devons donc aller beaucoup plus loin dans la réforme des pensions. Nous ne devons pas relever l’âge légal de la retraite comme en 2015, mais nous devons relever l’âge auquel les gens prennent effectivement leur retraite. En Belgique, l’âge effectif moyen de la retraite est de 61,5 ans, contre, par exemple, 63 ans en Italie, 64 ans en Allemagne et 65 ans aux Pays-Bas. Si l’âge effectif de la retraite augmente d’un ou deux ans, l’impact positif sur le budget sera important. Tout le monde devra travailler un peu plus longtemps en moyenne. Il faut oser le dire aux gens. C’est ce que nous faisons.

Pourquoi les gens décrochent-ils plus vite ici ?

La législation sur les pensions offre toujours des possibilités de partir plus vite à la retraite, avec de grandes différences entre les systèmes. Parmi les salariés, 56 % restent à la retraite jusqu’à l’âge de 65 ans ou plus. Chez les indépendants, c’est 80 %, chez les fonctionnaires moins de 20 %. Moins de 20 % ! Il faut donc harmoniser les systèmes. Nos dépenses de pension augmentent plus vite ici que dans les pays voisins, parce que les pensions élevées des fonctionnaires font grimper la pension moyenne, parce que l’âge effectif de la retraite est trop bas et parce que notre carrière moyenne est trop courte. La carrière moyenne en Belgique est de 26 années à temps plein, alors qu’une carrière complète est de 45 ans. 26 années à temps plein, c’est trop court. En outre, nous comptons trop de périodes équivalentes, pendant lesquelles les chômeurs, par exemple, se constituent des droits à la pension. Ce gouvernement a prévu qu’il faut avoir travaillé au moins 20 ans pour avoir droit à des périodes équivalentes. Mais cela ne va pas assez loin.

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Quel sera l’effort du prochain gouvernement ? Sera-t-il de 30 milliards d’euros, compte tenu des nouvelles règles budgétaires européennes à venir ?

Nous estimons l’effort à environ 25 milliards d’euros. Mais l’Open Vld veut porter les dépenses liées à la défense à 2 % du PIB d’ici 2029, ce qui n’est pas un luxe compte tenu de la situation géopolitique. Cet investissement supplémentaire dans la défense coûtera 4 milliards d’euros d’ici 2029. Nous voulons également réaliser une réforme fiscale saine, en réduisant la charge fiscale de 2,5 milliards d’euros au total. Au total, nous arrivons donc à un effort de 30 à 32 milliards d’euros pour la prochaine législature.

Nous retrouverons-nous sur le banc européen des accusés dans le courant de l’année en tant que pécheur budgétaire ?

Je ne peux pas l’exclure. Nous ne serons pas le seul pays dans ce cas. Beaucoup de pays courent ce risque, y compris la France. Je suis une grande partisane des nouvelles règles budgétaires européennes. Elles ne sont pas plus strictes, mais plus claires. Nous devons revenir à un déficit de 3 %, voire de 1,5 %, mais les nouvelles règles accordent plus d’attention aux réformes et aux investissements publics. Nous avons la possibilité de faire l’exercice en sept ans au lieu de quatre, si nous procédons à des réformes suffisantes. Le meilleur ajustement est la norme de dépenses. Même l’Europe comprend que l’augmentation des dépenses publiques belges est insoutenable. Il ne s’agit pas d’une politique d’austérité brutale, mais d’une discipline visant à contenir l’augmentation des dépenses. Le taux de croissance maximal concret des dépenses doit encore être calculé par la Commission européenne.


La réaction des marchés financiers constitue un risque plus important. Des négociations gouvernementales de longue haleine seraient à nouveau désastreuses pour le budget. Les agences de crédit ne laisseront pas passer cela. Les gouvernements belges devront alors payer des taux d’intérêt plus élevés et les citoyens le ressentiront. Nous devrons alors prendre des mesures avec le couteau sous la gorge. Aujourd’hui, heureusement, il n’y a pas encore d’effet boule de neige sur les taux d’intérêt, mais nous devons réduire notre déficit budgétaire. Pour conserver la confiance des marchés financiers, nous devons proposer une trajectoire budgétaire saine à long terme. Cela peut inclure la vente de participations du gouvernement pour financer les dépenses de défense ou le désendettement.

Le budget 2024 n’est pas conforme aux recommandations de la Commission européenne car les dépenses augmentent trop rapidement.

C’est vrai. Mais la Commission européenne prend en compte l’indexation des dépenses, mais pas celle des recettes. C’est contradictoire. L’indexation des recettes implique aussi une augmentation structurelle des recettes. J’ai écrit une lettre à la Commission européenne à ce sujet.

Le budget peut-il faire face à une nouvelle crise ?

Dans une nouvelle crise, l’Europe suspendra à nouveau les règles budgétaires et il y aura à nouveau un soutien européen. Mais nous devons aussi mettre en place des amortisseurs. Nous ne pouvons plus attendre. J’espère que tout le monde partage ce sentiment d’urgence.

“En 2020, nous dépensions 50 milliards d’euros pour les pensions, en 2028 ce sera 80  milliards d’euros.”

Les dépenses publiques totales ont augmenté pour atteindre environ 53 % du PIB. C’est 10 points de pourcentage de plus qu’il y a 20 ans.

Principalement parce que les coûts du vieillissement augmentent. Entre-temps, le financement de la sécurité sociale est faussé. Seuls 58 % de ce financement proviennent encore des cotisations sociales, c’est-à-dire des salariés et des indépendants. Le reste du financement provient du budget général, avec des fonds qui devraient être consacrés à la justice, à la police ou à la défense. La cerise sur le gâteau est la dotation d’équilibre à la sécurité sociale. La loi exige que le budget de la sécurité sociale soit équilibré. En cas de déficit, la dotation d’équilibre est automatiquement augmentée.

J’aimerais qu’une telle loi s’applique également au budget fédéral. Avec cette dotation, il n’y a pas de pression pour être plus efficace. Personne ne doit s’inquiéter du déficit de la sécurité sociale. Cette année, 51 milliards d’euros passent du budget général à la sécurité sociale. En 2029, ce sera 61 milliards…

Vous demandez un effort budgétaire de 32 milliards d’euros pour la prochaine législature. Comment comptez-vous réaliser cet effort ?

En tant qu’Open Vld, nous proposons principalement des mesures visant à stimuler la croissance et à augmenter le taux d’emploi. Chaque emploi supplémentaire rapporte au budget 28.000 euros par an, selon le Bureau du Plan. Si nous parvenons à créer 230.000 emplois, cela rapportera 7 milliards d’euros d’ici la fin de la législature. Le gouvernement peut également travailler de manière beaucoup plus efficace. Prenons l’exemple des soins de santé. La norme de croissance des soins de santé est désormais de 2,5 % en plus de l’inflation. Ces 2,5 % ont été déterminés sur la base d’un travail un peu au doigt mouillé. Le Fonds monétaire international affirme que nous pouvons fournir la même qualité à des coûts inférieurs de 20 à 30 %. Supposons que vous fassiez cette analyse dans une entreprise, celle-ci est en pleine crise, n’est-ce pas ?

Nous ne devons donc pas réduire les soins, mais travailler plus efficacement par la suite, en investissant dans la technologie et la prévention.
Nous pouvons donc redresser le budget sans augmenter les impôts. La Belgique se classe déjà parmi les leaders mondiaux en matière de pression fiscale. Nous sommes également sur le podium en ce qui concerne la charge fiscale sur les revenus du patrimoine et du capital. Un impôt sur la fortune ? Douze pays de l’OCDE avaient un impôt sur la fortune, ils ne sont plus que trois aujourd’hui. En France, le président François ­Hollande, un socialiste, avait supprimé cet impôt parce qu’il était inefficace.

Etes-vous prêt à poursuivre ce travail au sein d’un futur gouvernement ?

Avec plaisir, si les électeurs le permettent et si le parti le demande. Le travail n’est pas encore terminé. Mais en tant que politicien, vous n’avez aucun contrôle sur votre carrière. D’ailleurs, je suis favorable à la limitation des mandats dans le temps. Il devrait y avoir plus de mobilité entre le secteur privé et le secteur public. Les deux secteurs devraient échanger des personnes et des expériences. Aujourd’hui, il n’y a pas de mobilité. C’est un désastre.

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