” Peut-être que nous éparpillons un peu trop les forces… “

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L’ancien patron de GSK, devenu investisseur privé pour le secteur pharmaceutique, livre sa vision de la ” Biotech Valley ” wallonne.

Jean Stéphenne, c’est un regard sur plus de 40 ans d’industrie pharmaceutique en Belgique et dans le monde. Un regard d’autant plus aiguisé qu’il a connu le monde des multinationales avant de se tourner vers les biotechs émergentes, à la fois comme investisseur et comme administrateur. L’homme préside Bone Therapeutics et OncoDNA, ainsi que Bepharbel, une société de production de médicaments basée à Courcelles et qu’il a fondée avec son fils.

TRENDS-TENDANCES. Des élections se dérouleront le 26 mai prochain. Qu’est-ce que les futurs gouvernements pourraient mettre en place pour encore améliorer l’écosystème pharmaceutique ?

JEAN STÉPHENNE. Je présidais le groupe Santé mis en place par le Premier ministre pour plancher sur les investissements stratégiques. Ce que l’on voit émerger, c’est tout ce qui est big data, les données des patients et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, les mutuelles ont accès à toutes les données des patients. Avec l’intelligence artificielle, vous pourriez les exploiter pour soigner le diabète, le cancer, etc. Mais à condition de ne pas avoir accès aux données individuelles. Il faut des barrières pour que ce qui doit rester privé le demeure. Nous avons donc demandé au gouvernement de créer un panel d’experts chargés de définir une gouvernance en la matière avec l’Agence du médicament. Par ailleurs, en matière de santé, la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI) a joué un rôle clé avec les invests et la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW), notamment lors de la mise en Bourse de biotechs. Pourquoi le gouvernement fédéral ne recréerait-il pas un fonds de 500 millions à un milliard d’euros pour investir dans les sociétés biomédicales émergentes ?

Je pense que la dynamique est bonne. Par contre, il faut sélectionner les bons projets qui créent de la valeur.

Et au niveau régional, que préconisez-vous ? Faut-il, par exemple, revoir le fonctionnement des pôles de compétitivité ?

La dynamique est lancée, il faut la sécuriser. Les projets des pôles ont été labellisés par des jurys indépendants. C’est le cas dans tous les pôles. C’est pour moi très positif. Il faut cultiver l’excellence et créer les bons partenariats entre les entreprises, avec les centres de recherche et les universités. N’oublions pas, à cet égard, que les grands hôpitaux universitaires sont situés à Bruxelles. Or, vous ne savez pas faire de la recherche dans la pharma sans avoir accès à ces institutions. Il faut donc faire attention à l’hyper-régionalisation.

Cultiver l’excellence dans le secteur des biotechs passe-t-il par la spécialisation ?

Nous sommes très forts en oncologie, en immunologie. Sera-t-on très forts en big data ? Je pense que la dynamique est bonne. Par contre, il faut sélectionner les bons projets qui créent de la valeur. En thérapie cellulaire, la Wallonie a vraiment une série d’entreprises très prometteuses. Maintenant, j’aurais préféré que l’on mise sur quelques-unes, deux ou trois au maximum, pour vraiment créer des leaders mondiaux. Peut-être que l’on éparpille un peu trop les forces.

Pouvons-nous réellement voir émerger des leaders mondiaux ? Les entreprises wallonnes ne sont-elles pas vouées à partir ou être rachetées pour grandir ?

IBA est un leader mondial. Mithra va bientôt y arriver. Je crois aussi que l’on peut avoir la volonté de localiser les centres de recherche et de production, même si on s’allie à un grand. Quand j’étais chez GSK, j’avais dit que je m’en irais si c’était pour être uniquement un centre de production. J’ai donc localisé tout ce qui était recherche et développement. Par définition, une usine vieillit. Il faut donc avoir la capacité d’innovation pour amener de nouveaux produits qui assurent le futur de la firme.

Les Wallons sont-ils suffisamment conscients du potentiel de cet écosystème biotech ?

Les employés qui travaillent dans ces sociétés en sont conscients. Par contre, vous avez raison, la population ne l’est pas. Cela prend du temps. Et puis le Wallon est-il fier de son économie ? J’ai eu des discussions avec les syndicats chez GSK, ils me disaient que j’étais mégalo. Mais non, si vous voulez réussir, il faut viser le niveau mondial et ne pas avoir peur.

C’est un secteur dans lequel il y a beaucoup d’échecs. Comment faites-vous vos choix lorsque vous investissez dans telle ou telle entreprise ?

La première chose à faire, c’est travailler en partenariat entre les chercheurs de l’entreprise et les universités. Quand j’étais chez GSK, je n’approuvais pas un budget de recherche sans que des collaborations n’aient été établies. Pourquoi ? Parce que le processus de recherche est très complexe et que les connaissances évoluent très très vite. Il ne faut donc pas avoir peur de se faire challenger continuellement. Quand je suis arrivé chez Bone, j’ai demandé à ce que l’on multiplie les collaborations avec les universités, pour être challengé. Ensuite, il faut que les équipes soient multidisciplinaires. Le chercheur doit être capable de parler à celui qui va s’occuper du développement commercial, au clinicien, etc. Dès le départ, il faut une réflexion commerciale, mais pas encore nécessairement un plan de vente.

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Cela ne se fait pas suffisamment ?

Souvent, le chercheur est l’initiateur. Et ce qu’il faudrait, c’est créer tout de suite un duo: l’un qui comprend la technologie et l’autre qui comprend le marché. C’est du marketing stratégique que l’on demande, pas du marketing de détail.

Vous avez un regard sur 40 années de pharmacie. Comment voyez-vous l’industrie pharmaceutique en Wallonie dans 40 ans ?

J’espère que nous aurons créé une dizaine de champions wallons qui seront devenus des sociétés internationales. Si on ne réussit pas cela et qu’on reste uniquement avec des sociétés que l’on vend, c’est moins valorisant pour la Wallonie et pour la Belgique. Un des problèmes, comme nous l’avons dit, se situe au niveau du financement. C’est pour cela que la SFPI veut identifier des sociétés qui sont en croissance et les aider. Elles ne trouveront pas l’argent uniquement auprès des banques. Il faut que cela soit un mélange entre l’actionnaire et les investissements publics. Mais bon, il faut miser sur quelques-uns et les développer. Mithra a cette vision. IBA l’a eue aussi. En sachant aussi que si vous n’avez pas un mélange de multinationales, de moyennes et de petites entreprises, vous ne serez pas successfull. Le savoir-faire international vient par les grandes entreprises, et par les cadres que les PME y débauchent.

Si vous voulez réussir, il faut viser le niveau mondial et ne pas avoir peur.

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