Petite leçon de management centré sur l’humain par Murielle Machiels, ex-CEO de Plantyn

Murielle Machiels: "Chaque changement est deux pas en avant et un pas en arrière." © DIETER TELEMANS

Lorsque Murielle Machiels a été promue CEO de Plantyn en 2011, elle a reçu des tonnes de devoirs. La maison d’édition éducative devait s’adapter à la numérisation tout en continuant d’atteindre les objectifs ambitieux de l’actionnaire. La nouvelle CEO a en outre également décidé de changer la culture d’entreprise. C’est précisément ce qui a fait la différence.

Réussir la transition d’une entreprise papier vers une entreprise numérique, c’est le défi auquel Plantyn était confronté, tout comme les autres maisons d’édition éducatives. Les livres d’école classiques dans les salles de cours s’amincissaient, alors que les plateformes d’apprentissage en ligne, les livres de bord interactifs et les autres méthodes d’apprentissage numériques commençaient à gagner en popularité. Une telle transformation radicale s’accompagne en général d’une période de baisse des chiffres, mais Plantyn devait coûte que coûte éviter cela. En tant que sous-ensemble d’Infinitas Learning, un groupe européen de maisons d’édition éducatives, Plantyn était la propriété du britannique Bridgepoint Capital. Cette société d’investissement fixait des objectifs de profit ambitieux. Bridgepoint avait acheté le département éducatif de Wolters Kluwer, auquel appartenait Plantyn, juste avant l’éclatement de la crise financière, et revendu la majorité des actions Infinitas en janvier 2016 à un autre fonds de private equity, Compass Partners.

Initialement, Plantyn, qui outre le siège social à Malines a également un site à Waterloo, atteignait ses objectifs avec une approche de management classique. Mais Machiels rencontrait beaucoup de résistance au changement qu’implique la numérisation. Elle observait en outre que la société n’avait plus les compétences nécessaires au sein de son personnel, alors que le travail s’amoncelait. Cela a conduit à des frustrations. Elle décida d’aller à la recherche d’une manière plus durable de travailler, qui devait en même temps mener à de meilleurs résultats. Une formation aux Etats-Unis lui fournit de nouvelles idées. Elle les a d’abord appliquées au turnaround de Plantyn, suite à quoi elle partit fin de l’an dernier – Bart Dooms lui a succédé en tant que CEO – pour créer sa propre société de conseil. Avec QiLi, elle conseille aujourd’hui des organisations dans le cadre de l’adaptation aux changements rapides du marché induits par la numérisation.

Vous étiez presque en burn-out, en tant que CEO de Plantyn. A quoi est-ce dû ?

Machiels: “J’avais deux belles années à mon acquis, mais même si vous faites de bonnes performances, les actionnaires attendent toujours plus l’année qui suit. Vous présentez des plans avec plus de chiffre d’affaires grâce à de nouveaux investissements, mais seul le chiffre d’affaires est retenu. Vous n’obtenez pas les investissements. Je sentais que j’avais trois choix. Continuer sur ma lancée, même si je me dirigeais vers un burn-out. La seconde option était de changer d’entreprise mais j’entendais que cela se passait un peu partout comme cela. J’ai choisi la troisième option, trouver une manière de m’y prendre autrement. C’est la raison pour laquelle j’ai suivi une formation de coaching ontologique au Newfield Network au Colorado, une des écoles de coaching américaines les plus reconnues. Celle-ci a duré neuf mois. Je suis allée deux fois une semaine aux Etats-Unis et je suivais des cours en téléconférence à partir de la Belgique. Le soir et le week-end, je rédigeais des notes. Au début, vous êtes vous-même coaché et vous avez des groupes d’étude. Dans la seconde phase, vous commencez à coacher des autres. Je faisais cela en plus de mon job. Une fois la formation terminée, je l’ai dit aux actionnaires.”

Qu’avez-vous appris pendant la formation ?

Machiels: “J’avais beaucoup lu sur le burn-out et sur la manière dont nous fonctionnons, mais cela n’était plus d’aucune aide. Je devais sortir de ma tête, sortir de l’opérationnel. Le principe ‘OAR’ appris durant la formation, je l’applique aujourd’hui chaque jour. Vous faites une ‘Observation’. Sur base de celle-ci, vous entreprenez une ‘Action’ et vous obtenez un certain ‘Résultat’. Ce que nous faisons la plupart du temps lorsque nous n’obtenons pas un résultat, c’est de faire une autre action. Mais en fait, vous devez dans ce cas changer votre observation. Un exemple est l’industrie de la musique, où l’on estimait que la copie de cd était du vol. Toutes les actions entreprises étaient basées sur cette observation. De ce fait, ils n’obtenaient pas les résultats souhaités. Par la suite, ils ont changé leur observation. Ils se sont rendus compte que les clients étaient bel et bien prêts à payer, s’ils obtenaient un accès à la musique de manière facile, quand et où ils le désirent. De ce fait, vous percevez soudain une quantité incroyable d’autres actions. Nous sommes extrêmement orientés résultat, mais nous ne réalisons pas que nous devons parfois changer notre regard.”

Comment quelqu’un peut-il observer son secteur avec une telle fraîcheur de regard ?

Machiels: “Changer votre manière d’observer, vous le faites en travaillant avec votre côté mental et émotionnel, avec les histoires que vous vous racontez à vous-même, et avec votre corps. Il est très important de prendre conscience de l’impact de vos émotions sur la manière dont vous interprétez les choses. Imaginons que vous êtes très en colère. Vous devez néanmoins aller à la réunion suivante. Une personne en colère désire en général punir quelqu’un. Si vous ne prenez alors pas le temps de prendre une pause pour vous calmer, la chance est dans ce cas grande que vous disiez ou fassiez, au cours de cette réunion, quelque chose qui ne vous permettra absolument pas d’atteindre le résultat que vous souhaitez.”

Comment avez-vous introduit cette nouvelle manière de travailler chez Plantyn ?

Machiels: “J’ai donné à qui le souhaitait des formations sur les techniques que j’ai apprises. J’ai aussi mis sur pied un programme Happiness, avec notamment des massages, de la réflexologie plantaire, des fruits et de la soupe. A l’aide de ce programme, nous désirions permettre à notre personnel de prendre conscience que chacun devait prendre soin de soi-même. Les gens sont beaucoup trop durs envers eux-mêmes, ils se mettent de ce fait sur la défensive et deviennent agressifs. Chez Plantyn, tout a changé: les dépenses, le marketing, les ventes, le helpdesk, la manière dont les auteurs délivrent les choses. Lorsqu’il y a autant de choses qui changent, vous devez beaucoup plus collaborer avec d’autres départements. Cela demande une grande adaptation de la part de votre personnel. S’ils sont dès lors également durs envers eux-mêmes et qu’ils travaillent de plus en plus dur, vous obtenez des burn-out et de mauvais résultats. Les gens se sentent rapidement coupables. Si une personne part à quatre heures pour aller chercher ses enfants, elle se sent obligée de rouvrir son ordinateur quand les enfants sont au lit, et de continuer à travailler. Certains n’avaient plus de limites pour eux-mêmes. A ces personnes, nous avons dû apprendre à dire ‘non’ à leur manager, car le manager ne connaît pas la charge de travail de ces personnes.”

Comment avez-vous convaincu vos collaborateurs de vos nouvelles idées ?

Machiels: “Le matin, vous ne vous levez pas pour obtenir davantage de chiffre d’affaires ou pour faire une transformation numérique. Pour cela, il est important d’avoir une vision et des valeurs, que vous sachiez où vous en êtes et où vous désirez aller, et que vous traduisiez cela dans tout ce que vous faites. Les plans à long terme et les épaisses notes de projet ne fonctionnent en outre plus. Sur le temps que vous commenciez, le marché a à nouveau changé ou votre concurrent est arrivé avec quelque chose qui bouscule complètement vos plans. Votre vision et vos valeurs sont votre nouveau point d’ancrage.

“Le nouvel objectif que nous avions formulé pour Plantyn, était de construire ensemble un enseignement qui déploie les talents. Nous avions trois objectifs. En premier lieu: faciliter la vie des enseignants en allégeant le programme. Ils ont énormément de stress et ce n’est pas bon si vous désirez les impliquer dans quelque chose de nouveau. Le deuxième objectif était de permettre à chaque enfant d’évoluer selon son propre rythme, avec des pistes d’apprentissage sur mesure. Le troisième était de rendre les leçons beaucoup plus agréables et interactives, de telle sorte que les élèves les trouvent amusantes. En 2014, nous avions la mission, en 2015 nous avons travaillé sur les objectifs. Avec l’ensemble des 130 collaborateurs, nous nous sommes retirés pendant une journée dans une ancienne ferme pour réfléchir à des questions comme: pourquoi nous levons-nous le matin; que trouvons-nous agréable chez Plantyn; quelles idées voulons-nous défendre ?”

Y avait-il beaucoup de résistance ?

Machiels: “C’est allé moins vite que je ne le pensais. J’ai toujours des grands projets, mais les gens ont besoin de temps pour y croire. Même pour les massages, ils pensaient ‘qu’est-ce que c’est que ça, maintenant’. Après un petit temps, ils s’y habituent. Ces massages étaient importants pour faire réaliser aux gens qu’ils doivent prendre soin d’eux-mêmes. Chaque changement est deux pas en avant et un pas en arrière. Les gens doivent changer leurs habitudes, et c’est très difficile. Cela dure en moyenne 66 jours pour cultiver une nouvelle habitude.”

Vous désiriez par exemple que vos collaborateurs prennent eux-mêmes davantage de décisions. Pourquoi ?

Machiels: “En 2015, je suis arrivée à la conclusion que nous, l’équipe de management, n’étions plus les personnes adéquates pour prendre les décisions. Nous nous trouvions trop éloignés du marché. C’était par conséquent aux équipes de décider ce que nous allions développer. Toutes les décisions opérationnelles devaient se situer le plus proche possible du client et donc des équipes. A cet égard, vous devez changer un tas de choses. Si des personnes n’ont rien pu décider pendant longtemps et qu’elles sont soudain à même de le faire, cela ne va pas de soi. Les managers, qui avaient toujours pris les décisions, devaient quant à eux apprendre à lâcher prise. Nous avions aussi remarqué que la structure organisationnelle n’était plus optimale. Certaines décisions avaient un impact sur tellement de départements que nous progressions trop lentement. C’est la raison pour laquelle nous avons rassemblé le marketing, le sales et le publishing autour d’un marché, au lieu d’un seul département marketing pour tous les marchés. Cela a conduit à de nouveaux systèmes et de nouveaux outils. Notre département Finances a par exemple développé des moyens grâce auxquels chaque équipe pouvait facilement voir l’ampleur de l’impact d’une décision. Vous observez que l’innovation apparaît alors automatiquement. Les équipes ont commencé à proposer elles-mêmes de nouveaux business modèles et des nouveaux produits.

“Vous ne pouvez pas changer complètement une organisation en une seule fois. Nous avons appris à travailler en sprints (inspirés par la technique du Lean Startup appliquée par les entreprises débutantes, ndlr). Tout est devenu tellement complexe que vous ne prenez pas toujours conscience de l’impact de vos décisions. Si une étape ne rencontre pas le succès, vous devez essayer autre chose. Nous sommes passés de l’étude de marché classique à beaucoup plus d’évaluations et de tests de petites choses chez les clients. Une personne peut certes vous dire quel est son problème, mais elle peut difficilement vous expliquer comment vous pouvez résoudre son problème. Ça, c’est notre job.”

Pour ce type de sprints, il s’agit d’obtenir du feedback rapide du marché pour l’amélioration votre produit, d’apprendre donc rapidement de ses erreurs. Qu’est-ce que d’autres sociétés peuvent apprendre des erreurs que vous, chez Plantyn, avez commises lors de la transition vers la nouvelle approche de management ?

Machiels: “J’ai une longue liste d’erreurs. Je n’ai par exemple pas suffisamment célébré mes petits succès. Le plus difficile est de changer les personnes et la culture, pas les choses dures comme les systèmes. En trois ans, nous avons enregistré les premiers succès, mais le grand changement d’état d’esprit ne s’est réalisé qu’en 2015. Nous avons alors fait face à une grande crise. Vous devez abandonner la manière dont vous travailliez, mais vous ne savez pas encore ce qui vient à la place. En tant qu’entreprise, vous traversez alors une phase de chaos, mais si cela ne fonctionne pas immédiatement, vous ne pouvez plus retourner vers le passé. Vous devez continuer. Vous devez changer l’émotion de votre organisation. Vous le faites en écoutant les personnes de votre organisation avec attention. C’est très difficile, car vous désirez sans cesse donner des conseils.”

Quels ont été les résultats atteints par Plantyn grâce à cette approche ?

Machiels : “La mission de l’actionnaire était 20% de bénéfice supplémentaire en trois ans. Nous avons obtenu 12% la première année – en 2016 par rapport à 2015 -, nous l’obtiendrons donc. Le chiffre d’affaires a progressé de 8%. En 2013, nous avons racheté Informat, une société de Diksmude. Elle aide les écoles pour l’enregistrement, les inscriptions, la comptabilité et les stages des enseignants. Nous avons combiné Informat avec Smartschool, qui est utilisé dans l’enseignement secondaire pour la communication entre les élèves, les professeurs et les parents. La numérisation représente maintenant quelque 20% du chiffre d’affaires. Le nombre de collaborateurs a crû, mais il y a eu un roulement d’environ 10% par année. Si vous passez d’une entreprise papier à un entreprise numérique, vous avez besoin de tout autres personnes.”

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