Privatiser De Lijn et la SNCB selon le modèle néerlandais ? Le pour et le contre

Sebastien Marien Stagiair Data News 

Depuis jeudi dernier, le personnel de De Lijn est régulièrement en grève. Plusieurs dépôts et centres de maintenance sont fermés. Lundi, une action syndicale spontanée dans la province d’Anvers a également entraîné des perturbations. Le débat sur la privatisation de nos transports publics est relancé. Est-ce réaliste et quels sont les avantages et les inconvénients ?

Depuis plusieurs jours, un plan d’économies de la société De Lijn suscite le mécontentement des syndicats. L’action de lundi matin montre clairement que, même après le week-end, les choses ne se sont pas calmées. Cela fait pourtant des mois que l’on sait que des dépôts vont fermer. Ce n’est que lorsque De Lijn a fait savoir exactement quels sites étaient concernés que la colère a éclaté. Certains membres du personnel devront parcourir des dizaines de kilomètres de plus pour se rendre au travail.

“Ces personnes ne sont pas prises en compte”, a déclaré Petra Depoorter, secrétaire de l’ACOD, la semaine dernière. “Pour ceux qui vivent dans le coin et qui n’ont jamais acheté de voiture parce qu’ils peuvent se rendre au travail à vélo, l’impact financier peut être grave”, a expliqué Depoorter, qui s’est rendue dans l’après-midi dans la zone de rassemblement touchée à Dixmude. Le syndicat demande une compensation pour le personnel qui doit déménager. “Avec ce que De Lijn vient de proposer – 1.500 euros bruts – on ne peut rien faire. On n’achète même pas un vélo électrique avec ça”.

Les syndicats s’adressent également au gouvernement flamand, qui n’investirait pas assez dans le transport public en Flandre. Mais la ministre de la Mobilité Lydia Peeters (Open Vld) a rapidement balayé cette critique, soulignant que le gouvernement n’a jamais autant investi dans De Lijn qu’aujourd’hui. Ou “arrêtez de vous plaindre”, comme l’a dit sans ambages la ministre mécontente.

Agenda secret

En Flandre, comme ailleurs en Belgique, des problèmes surviennent régulièrement avec les trains, les bus ou les trams. Une discussion sur la privatisation de nos transports publics n’est alors jamais loin. Il est tout de même remarquable qu’Ann Schoubs, directrice générale de De Lijn, soulève aujourd’hui cette idée. Elle soupçonne le gouvernement flamand de mener une politique dite de pourrissement, dans le but ultime de privatiser les transports publics.

“J’ai été surpris par cette déclaration”, commente Willy Miermans, professeur émérite à l’UHasselt et spécialiste de la circulation. “Je connais Ann Schoubs comme une femme très aimable et professionnelle. Je pense qu’il fallait que cela sorte. Son coup de gueule a une portée considérable. L’accord de coalition de l’époque parlait d’un projet pilote de privatisation dans une région, mais il n’a jamais été mis en œuvre.”

Selon Miermans, les problèmes entourant la politique de De Lijn sont principalement à chercher du côté des deux législatures précédentes, avec Hilde Crevits (cd&v) et Ben Weyts (N-VA) comme ministres de la Mobilité. “Ils ont fortement réduit les investissements et l’aménagement du territoire est devenu incontrôlable. De Lijn en souffre encore. Cette situation ne peut pas être réparée du jour au lendemain. Entre 1995 et 2004, avec trois ministres socialistes, il y avait beaucoup d’investissements dans nos transports publics. Le nombre de passagers a augmenté.”

“Une société dépendante de la voiture”

Bien que l’actuel gouvernement flamand ait augmenté le budget consacré à la mobilité, Miermans constate que les ministres ont une vision erronée de la mobilité. “En Flandre, nous restons concentrés sur les voitures. Il existe une politique qui promeut les voitures salaires et nous allons également subventionner les voitures électriques pour les particuliers. Mais notre mobilité ne s’améliorera jamais de cette manière. Une voiture est faite pour les déplacements exceptionnels et les liaisons compliquées. Les masses devraient se déplacer vers la ville en utilisant les transports en commun, principalement les chemins de fer. Nos transports publics ne doivent pas être réservés aux pauvres, aux personnes âgées et aux chômeurs. Ils sont l’épine dorsale de notre mobilité”.

“En raison des problèmes rencontrés au cours des dernières législatures, des problèmes surgissent régulièrement chez De Lijn et la SNCB. La tentation est donc de plus en plus grande de se concentrer sur le transport privé. Nous nous retrouvons avec une société dépendante à la voiture,” continue l’expert.

Les avantages de la privatisation

Willy Miermans énumère les principaux avantages et inconvénients de la privatisation des transports publics pour Trends Tendances.

Lorsque des entreprises privées proposent un service public, des capitaux frais affluent sur le marché et la concurrence s’installe. “Les Pays-Bas sont un bon exemple de pays où la privatisation fonctionne. Ils investissent toujours dans les transports publics, parce que cela reste nécessaire, mais la régulation est également une tâche importante. La province détermine le niveau de service et l’ensemble des règles que les entreprises doivent respecter. Mais à l’intérieur de ce cadre, les entreprises ont encore une certaine liberté. Elles peuvent opter pour la multimodalité totale. Elles choisissent où déployer des trains ou des bus. Dans le cadre de leur budget, elles offrent une capacité et des services décents”, analyse-t-il.

Selon Miermans, un autre avantage doit être recherché dans la maintenance et l’investissement. “Les appels d’offres et les cahiers des charges peuvent être réalisés beaucoup plus rapidement avec une entreprise privée. Et les investissements sont importants, surtout en termes de climat. Chez De Lijn, le renouvellement de la flotte n’est pas assez fluide.”

Enfin, la privatisation permettrait également de modérer les coûts salariaux.

Inconvénients de la privatisation

Mais en fin de compte, l’expert en mobilité n’est pas convaincu de la faisabilité de la privatisation. Il craint que les inconvénients ne pèsent lourd dans la balance. “La plus grande crainte est que les entreprises privées ne cherchent qu’à tirer leur épingle du jeu. Certaines connexions rapportent plus d’argent que d’autres. Même si l’on peut fixer des règles claires, il sera difficile d’empêcher le sous-investissement dans certaines connexions. La privatisation ne signifie donc pas nécessairement une augmentation de la qualité en échange de moins d’argent”.

“Une deuxième idée fausse est que les entreprises auraient tout intérêt à investir dans notre petit marché flamand (ou belge, NDLR). Il peut sembler plausible que des entreprises déjà présentes aux Pays-Bas, par exemple, puissent établir des liaisons directes entre les villes flamandes et néerlandaises, mais en réalité, le nombre de navetteurs qui doivent franchir la frontière est relativement faible par rapport au nombre de navetteurs dans notre pays”.

Miermans s’interroge en outre sur la faisabilité d’un tel projet. “Il y a beaucoup d’acteurs différents dans ce pays : De Lijn, la SNCB, la STIB, Infrabel, TEC. Réformer ce système demande énormément de travail. La question est de savoir si c’est possible pour un gouvernement. Par ailleurs, une approche multimodale en Belgique ne sera jamais aussi efficace qu’aux Pays-Bas.”

Les principes immuables

Comment l’efficacité de De Lijn peut-elle augmenter ? Selon le professeur émérite, la solution se compose de plusieurs éléments. “De Lijn a été décimé au cours des dernières décennies. En outre, son statut doit être rétabli. Autrefois, De Lijn disposait d’un service d’étude et de planification très développé et d’autres activités qui renforçaient la qualité. Ces dernières années, la centralisation et la restructuration de l’organisation ont entraîné une véritable fuite des cerveaux. Il faut donner à De Lijn non seulement les moyens financiers, mais aussi l’autonomie nécessaire pour améliorer les choses”.

Deuxièmement, Miermans pense que les hommes politiques devraient oser passer au crible certaines valeurs sacro-saintes. “Regardez la situation à Bruxelles, l’axe de circulation le plus important de Belgique. Il n’est pas normal qu’à l’exception de Tervuren, aucun tramway de la STIB ne puisse encore quitter notre capitale. Une vieille idée politique veut que le Vlaamse Rand reste à l’abri des influences bruxelloises. Pourtant, la STIB pourrait contribuer à améliorer notre mobilité. La France est un bel exemple de pays où toute une région est reliée par des rails. Cela pourrait fonctionner aussi efficacement chez nous”.

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