Les carburants synthétiques en 7 questions
L’Allemagne a fini par obtenir que l’Union européenne accepte la vente de voitures à moteurs à carburant en 2035 et après. Ces véhicules ne pourront rouler qu’avec des carburants synthétiques (e-fuels), au bilan carbone neutre, pas avec des carburants fossiles. Qu’en est-il en pratique ?
Les voitures utilisant des carburants fossiles ne pourront plus être vendues à partir de 2035 dans l’UE. Un accord de dernière minute entre l’Allemagne et la Commission européenne a permis de maintenir cette décision structurelle pour le secteur automobile (auto et utilitaires légers).
Le seul changement apporté, à la demande de l’Allemagne et de l’Italie, est la prise en considération des voitures dotées d’un moteur à carburant, à la condition qu’elles fonctionnent avec un carburant synthétique (ou e-fuel), dont le bilan carbone est neutre. Cette catégorie s’ajoute aux autos (et utilitaires légers) utilisant une motorisation électrique, à batteries ou à hydrogène.
En quelques questions, voici ce qu’il faut retenir de cet accord final :
1. Les autos à carburant seront-elles autorisées à la vente en 2035 ? Oui, mais elles ne pourront pas utiliser du carburant fossile (diesel, essence). Elles ne seront autorisées que si elles roulent avec un carburant synthétique (e-fuel) dont le bilan carbone est neutre. La Commission souhaite que les modèles vendus soient conçus pour qu’il soit impossible d’utiliser d’autres carburants.
2. Qu’est-ce qu’un e-fuel ? C’est un carburant généralement fabriqué avec du CO2 capté et de l’hydrogène vert, produit au départ d’électricité durable (éoliennes par exemple). Les autos qui utilisent ce carburant émettent du CO2 en roulant, mais le bilan est neutre si l’on tient compte du volume de CO2 capté utilisé dans la production de l’e-fuel.
3. Où trouver des e-fuels ? Nulle part actuellement, car ils ne sont pas encore commercialisés. L’industrie attend un cadre réglementaire pour organiser sa production à grande échelle. Pour le moment ces carburants synthétiques sont fabriqués en petite quantité, pour des tests.
4. Quel sera le coût des e-fuels ? Il sera plus cher que les carburants actuels, du moins dans un premier temps. L’e Fuel Alliance, qui réunit les promoteurs de ces carburants, estime qu’il y aura moyen d’arriver à une parité avec les carburants actuels en 2050, une fois que la production en grand volume sera organisée. Le volume peut se développer par des usages autres que pour les autos : navires, avions. « L’eDiesel coutera entre 1,38 et 2,17 euros (selon les taxes et accises actuelles). En 2050, le prix de l’ePetrol coutera entre 1,45 et 2,24 euros (aussi selon les taxes et accises actuelles). » Les défenseurs des e-fuels espèrent que les pouvoirs publics adapteront la fiscalité pour effacer ou réduire l’écart de coût des e-fuels avec les carburants fossiles.
5. Quelles autos utiliseront les e-fuels ? La plupart des constructeurs misent plutôt sur l’électrification. Certaines marques misent sur les carburants synthétiques, comme Porsche ou Ferrari. Mais en principe, les e-fuels pourront alimenter tous les moteurs à carburant existants. Les modèles autorisés à la vente à partir de 2035 devront être conçus pour n’accepter que ce carburant synthétique. Il y a une grande incertitude sur l’impact réel de la décision, car beaucoup de marques, comme Volvo, ont annoncé ne vouloir produire à terme que des autos électriques. Mais beaucoup de groupes continueront à fournir des autos à carburant hors d’Europe, où les carburants resteront encore en usage pour les voitures.
6. Quels sont les avantages et inconvénients des e-fuels ? Ils ont le grand avantage d’être utilisables par des moteurs à carburant actuel. Il n’y a donc aucun changement pour les automobilistes, ce qui peut motiver ceux qui n’ont aucune envie de passer à l’électrique. Au rang des inconvénients, outre le prix qui reste encore un point d’interrogation, il y a les émissions toxiques qui devraient en partie subsister, même si le bilan carbone est neutre. Ces moteurs continueront ainsi à produire du NOx. Il faudra donc encore des dispositifs dépolluants. Cela signifie que les véhicules roulant à l’e-fuel pourraient être interdits dans des zones à basse émission comme celle de Bruxelles, qui prévoit l’interdiction de tous les véhicules à carburant à partir de 2035, à moins que la Région accepte les motorisations à e-fuels.
7. Les autos à e-fuels seront-elles moins chères que les autos électriques ? C’est loin d’être certain, car d’ici 2035, les autos électriques devraient arriver à la parité avec les autos à carburant. Ce serait le cas à partir de 2025/2027. Actuellement une auto à batterie coute facilement 25% à 30% plus cher qu’un modèle équivalent à carburant. L’équation des autos à e-fuels pour 2035 est impossible à établir, elles pourraient coûter plus cher à l’achat et à l’usage qu’une auto à batterie, ce qui réduirait leur intérêt pour des véhicules très particuliers (coupés sportifs, etc.) de prix. Les turbulences de ces 12 derniers mois montrent que le scénario peut encore changer. Les prix des batteries, qui avaient fortement diminué, sont repartis à la hausse avec la conflit ukrainien et l’inflation du prix des matières premières, comme le lithium. Ce dernier a fort augmenté, et qui recule à présent. Par ailleurs, les autos à e-fuels qui seront autorisées à la vente à partir de 2035 devront être équipées en systèmes de dépollution. Il faudra encore attendre 2030 sans doute pour avoir une idée du coût probable des autos à e-fuels.
Notons que la décision qui limite à la vente d’autos et d’utilitaires légers aux véhicules à zéro émission à partir de 2035 ne porte que sur le marché du neuf. Dans l’état actuel des législations et réglementations, les véhicules en circulation à carburants fossiles pourront encore être utilisés en 2035 et au-delà, sauf dans les zones à basses émissions qui les excluent.
Un résurection
Les carburants synthétiques ne sont pas une nouveauté. Les Allemands les connaissent fort bien. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée allemande, qui manquait d’accès à des puits pétroliers, a largement utilisé des carburants synthétiques pour faire rouler chars et camions et voler des avions. Ces carburants étaient fabriqués au départ de charbon liquéfié. Le procédé utilisé a été imaginé par les ingénieurs Franz Fischer et Hans Tropsch. Ce carburant n’avait pas un bilan carbone neutre, tant s’en faut, mais tel n’était pas le but de l’opération. Les Américains se sont aussi intéressés au carburant synthétique. La disponibilité d’importantes sources pétrolières bon marché au Moyen-Orient a affaibli l’intérêt pour ces carburants. La récente quête d’une mobilité sans émission de gaz à effet de serre (notamment le CO2) a redonné vie à ce qui est appelé aujourd’hui e-fuel, ou carburant synthétique.
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