L’avion décarboné est mal parti
Les compagnies aériennes promettent de devenir zéro carbone d’ici 2050. Cela paraît impossible avec la croissance des trajets aériens qui se profile. A moins de freiner l’appétit pour les voyages…
L’avion est fort critiqué pour ses émissions mais cela ne semble pas freiner l’ardeur des voyageurs. Brussels Airport annonçait 2 millions de passagers en juin, soit +17% par rapport à juin 2022. Ryanair promet de passer de 168 millions en 2022 à 300 millions de passagers en 2030. Sur le long terme, Boeing et Airbus prévoient que le nombre d’avions dans le monde doublera d’ici 2042. Le trafic global devrait progresser en moyenne de 3,6% par an.
Du point de vue du secteur, c’est une bonne nouvelle. Les comptes des compagnies retrouvent des couleurs. Côté environnemental, c’est autre chose. Le secteur a certes pris des engagements, l’Iata (la fédération mondiale des compagnies aériennes) promet le zéro émission pour 2050. Mais l’avion est l’un des moyens de transport les plus difficiles à décarboner.
Très différent de l’automobile
La situation est très différente de celle de l’automobile pour laquelle des pistes existent (électrification et hydrogène). Même si tout n’est pas parfait, les véhicules “verts” sont opérationnels, commercialisés, l’infrastructure est en déploiement, les réglementations en place, etc. L’aéronautique est très loin derrière. Il faudra encore des décennies pour voir voler les premiers avions commerciaux à hydrogène ou électriques.
“Arriver à des vols zéro carbone me paraît impossible”, estime Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain. Le souci est de trouver une alternative au kérosène. “Cela tient à la nécessité de recourir à une densité énergétique très élevée par kilo transporté”, poursuit-il. Le fuel aéronautique contient plus de 10 kWh par kilo, contre 0,3 kWh, au mieux, pour une batterie lithium-ion.
46.560 appareils Airbus de plus de 100 places pourraient être mis en service en 2042.
“Le seul moyen d’y arriver est de réduire la demande d’ici à 2030-2040”, déclare Jo Dardenne, aviation director à l’ONG Transport & Environment. Qui suggère, pour y arriver, de mettre fin au statut fiscal des compagnies aériennes, exemptes d’accises sur le carburant et de TVA sur les tickets. “Sinon, les prévisions de trafic et le manque de régulation du secteur ne permettent pas d’imaginer raisonnablement d’arriver à un bilan zéro carbone d’ici 2050.”
Les sept pistes
A défaut de magic bullet pour décarboner les vols, le secteur aérien recourt à une panoplie de moyens qui, au mieux, auront une efficacité très progressive. Voici les principales approches.
1. De nouveaux avions moins gourmands
> Réalisable dans les 10 ans. Partiellement efficace (-30% de CO2).
C’est l’approche la plus aisée. Les modèles les plus récents d’Airbus ou de Boeing consomment moins de carburant et donc émettent moins de CO2 grâce à une motorisation plus efficace. Brussels Airlines va, d’ici la fin 2024, recevoir cinq Airbus A320 Neo, qui consomment 30% de moins par siège que les avions actuels. C’est à la fois bon pour les comptes des compagnies et pour l’environnement. Ryanair a commandé 300 nouveaux Boeing 737 (dont 150 options) qui apporteront le même gain. Pour avoir un impact réel, les flottes devraient accélérer leur renouvellement.
2. Les carburants alternatifs
> Techniquement faisable. Prend du temps. Efficacité correcte (-80% au moins). Coûteuse.
C’est la solution privilégiée. Elle consiste à utiliser des carburants durables, les SAF (Sustainable Aviation Fuel) qui sont soit des biocarburants, soit des carburants synthétiques (e-fuels). Les pétroliers s’y mettent. Le premier producteur mondial est le finlandais Neste, dont le carburant My SAF est fabriqué au départ d’huiles de cuisson ou de déchets animaux, avec un bilan carbone jusqu’à 80% inférieur au kérosène. La baisse d’émissions est mesurée sur le cycle total de vie du carburant. Elle est le résultat de la captation de CO2 réalisée par les matières utilisées, tels des végétaux, pour compenser en majeure partie le CO2 émis à la combustion dans les moteurs des avions.
Les vols devront compter 12% de SAF dans les réservoirs en 2025, 16% en 2030, 20% en 2035, 70% en 2050. La décarbonation sera donc très lente. Air France et le groupe Lufthansa disent qu’ils voleront avec 10% de carburant SAF d’ici 2030, Ryanair parle de 12,5%. Combiné à un avion de dernière génération, le gain par passager pourrait tourner autour de 40% d’émissions de CO2 en moins d’ici sept ans, mais Ryanair prévoit à la même échéance 80% de passagers en plus.
Beaucoup de compagnies envisagent de les utiliser ou les tester. Brussels Airlines a ainsi effectué un vol avec 38% de SAF. Mais deux facteurs devraient freiner leur usage: le prix et la disponibilité. Les SAF coûtent deux à cinq fois le prix du kérosène. Les vols à 100% de SAF seront donc chers, quand ils seront possibles car pour l’heure, les avions ne sont pas encore certifiés pour voler avec un plein complet de SAF. Boeing le promet à partir de 2030.
Pour la disponibilité, le chantier ne fait que commencer. Le consultant Bain&Company a publié fin 2022 un rapport peu optimiste sur la décarbonation des vols. Il indique “qu’il faudra un investissement cumulé de 1.300 milliards de dollars pour que la production de SAF puisse satisfaire 20% de la demande en 2050”. Les usines et les matières premières manquent encore.
Les SAF ne sont par ailleurs pas tous égaux dans la décarbonation. Les plus efficaces devraient être des carburants synthétiques fabriqués avec du CO2 capté et de l’hydrogène produit au départ d’énergie renouvelable (e-fuel) qui peuvent afficher une baisse de 85% des émissions. Ils ne sont pas encore produits industriellement et devraient coûter plus cher que le kérosène. La réglementation européenne prévoit un minimum d’e-carburants mais à un horizon lointain: 2% en 2030 et 35% en 2050.
3. L’hydrogène vert
> Utilisation opérationnelle pas encore démontrée. Pas avant 2035-2040. Gain potentiel de 100%.
En principe, un avion fonctionnant à l’hydrogène peut parvenir à un bilan carbone zéro à condition que l’hydrogène soit produit avec de l’électricité renouvelable. Dans l’avion, l’hydrogène pourrait servir à produire de l’électricité via une pile à combustible et alimenter des moteurs électriques. Airbus annonce l’arrivée d’un avion commercial pour 2035. Boeing, lui, mise sur les SAF, qui n’imposent pas de grandes modifications des avions.
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“L’hydrogène a l’avantage d’avoir une excellente densité énergétique mais il prend de la place, il faut le stocker sous forme liquide, compressée, et le réservoir représente un poids important qu’il faut transporter du début à la fin du vol, poursuit Francesco Contino. En outre, il faut amener l’hydrogène dans les aéroports.” Selon une étude de SEO Amsterdam Economics, il faudrait investir 16,4 milliards d’euros pour équiper 335 aéroports européens. L’approche exige encore des années de recherche et de mise au point. L’hydrogène vert, qui est aujourd’hui quasi inexistant, sera plus cher que le kérosène (plus de trois fois, selon Bain&Company).
4. Les vols électriques
> Hypothétiques. Dépend d’une progression de la capacité des batteries. Après 2050. Gain potentiel de 100% de CO2.
“La propulsion à batterie est un gagnant très clair en efficacité, une solution optimale pour décarboner l’aviation à long terme, bien après 2050”, prédit Bain&Company. Le consultant parle ici de l’efficacité énergétique de ce type de motorisation. L’avion électrique ne sera imaginable que s’il y a des progrès révolutionnaires sur la densité des batteries, pour des distances courtes (500/1.000 km).
5. Des gains opérationnels
> Petites améliorations de quelques pour cent.
Une amélioration des opérations au sol ou du contrôle aérien peut apporter quelques pour cent de gains. SEO Amsterdam Economics estime qu’en Europe un gain de 8% est possible avec un contrôle aérien autorisant des vols plus directs, sur des améliorations pour le déplacement de l’avion au sol.
6. Compensation et captation de CO2
> Encore très théoriques et contestées (greenwashing).
L’Iata compte beaucoup sur ces mécanismes de compensation pour arriver à zéro émission en 2050. “Selon les modèles de cette agence, 65% des gains de CO2 proviendront des SAF, 19% de la capture et la compensation”, écrit Christopher de Bellaigue, dans un bref mais très instructif ouvrage sur la décarbonation des vols, Flying Green: On the Frontiers of New Aviation.
“Pour payer le vrai prix de la captation de CO2, il faudrait payer 600 euros pour un aller-retour Bruxelles-Kinshasa.” FRANCESCO CONTINO (UCLOUVAIN)
La compensation est un investissement par exemple dans des plantations qui vont capter du CO2. La captation consiste à recolter du CO2 dans les émissions d’usines ou dans l’atmosphère, et de le stocker à long terme. Certaines compagnies aériennes proposent aux passagers de payer pour compenser le CO2 émis. “En général, cela consiste à financer des programmes de plantation d’arbres, précise Jo Dardenne. En fait, on ne peut pas s’assurer sur le long terme que cette compensation sera réelle, que les arbres seront toujours là. Cela nous paraît l’un des pires outils du greenwashing.” Les sommes demandées sont faibles. Pour payer le vrai prix de la captation de CO2, “il faudrait payer 600 euros pour un aller-retour Bruxelles-Kinshasa”, calcule Francesco Contino.
7. Régulation du marché pour freiner le trafic
> Taxation et plafonnement.
Si toutes les mesures précédentes sont soutenues par le secteur, et l’Iata en particulier, il n’en va pas de même pour la régulation. Transport&Environment (T&E) a proposé dans un récent rapport de taxer le kérosène et d’appliquer la TVA sur les tickets pour mettre fin à une exemption dont ne bénéficient pas les autres modes de transport et qui constitue un incitant à voler. La perte fiscale en Europe représenterait 34,2 milliards d’euros en 2022 (dont 700 millions en Belgique).
Les chances d’y parvenir sont infimes car ces décisions requièrent l’unanimité des 27 Etats de l’UE, quasi impossible à obtenir. Un projet de taxe kérosène est ainsi bloqué. Pour la TVA, il n’y a aucun projet. Il y a bien des taxes nationales, souvent modestes (10 euros maximum en Belgique), sans impact sur les vols. T&E propose que des mesures nationales soit prises, une taxe d’environ 51 euros par vol en Europe, 259 euros pour un long-courrier, pour compenser les taxes non perçues. Une taxe carbone pourrait contribuer à rendre les vols plus coûteux, donc à freiner la demande. Elle existe mais n’est que partiellement appliquée. Les vols hors de l’UE en sont exempts, même si ce sont les long-courriers qui émettent le plus de CO2.
Pas de taxes, mais des aides
“Réduire les vols au moyen de taxes rétrogrades et punitives entraverait les investissements et limiterait les voyages en avion aux seules personnes nanties”, a dit Willie Walsh, le directeur général de l’Iata, dans le communiqué annonçant les plans pour arriver à zéro emission en 2050. Il espère plutôt l’inverse, à savoir des aides publiques, à l’instar des primes à l’achat pour les voitures électriques dans certains pays. Il reste enfin le plafonnement du trafic. En Belgique, les autorités politiques sont aiguillonnées par les riverains mais n’ont pas l’intention de se passer de l’impact économique des aéroports. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les déclarations politiques et syndicales négatives à la proposition du ministre Georges Gilkinet d’interdire les vols de nuit à Zaventem.
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