Déploiement des bornes de recharge en Wallonie: “Nous ne sommes nulle part”
La Wallonie est en retard pour le déploiement des bornes de recharge. Son plan pour y remédier fête sa première bougie, mais les avancées sont faméliques. Une nouvelle illustration que tout ce qui doit passer par les pouvoirs publics prend du temps, beaucoup de temps.
La première édition de l’Automotive eMotion Summit vient tout juste de se clôturer, ce jeudi. Faute de Salon de l’Auto, la Febiac tenait absolument à organiser cet évènement qui rassemblait professionnels du secteur, entreprises et monde politique. Dans ses conclusions, la Febiac a lancé “un appel urgent pour un plan directeur pour le déploiement de l’infrastructure de recharge en Wallonie et à Bruxelles”.
Ça tombe bien, cela fait tout juste un an que la Wallonie a lancé un grand plan de déploiement des bornes de recharge. L’occasion d’établir un premier bilan. À cet égard, le député wallon Jean-Luc Crucke (Les Engagés) ne ménage pas ses anciens collègues de la majorité. Ces dernières semaines, il a interpelé à plusieurs reprises le ministre wallon de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo).
“Où en est-on ? C’est simple, on n’est nulle part. La carte de répartition des bornes électriques pour la Wallonie, en particulier les bornes de charge rapide, est un trou noir au milieu de la Flandre et des pays voisins. C’est la carte de l’échec”, tranche le député, en référence à une carte établie par RetailSonar et publiée par nos confrères de SudInfo.
Mais pour bien comprendre, il faut d’abord une remise en contexte. La Wallonie part de loin. De très loin.
Une Wallonie à la traîne
En Belgique, il y a 50.000 points de recharge (prises) de tous types. Mais la répartition est peu flatteuse pour le sud du pays : 39.000 points de recharge sont situés en Flandre, contre 6.000 en Wallonie et 4.000 à Bruxelles. Pour y remédier, le ministre a lancé en février dernier le “Plan de déploiement des bornes de chargement en Wallonie”. L’objectif à long terme est d’installer 70.000 points de recharge d’ici à 2030. Mais entretemps, la Wallonie s’est fixé des objectifs intermédiaires qui courent jusqu’à 2025 et 2026.
Parmi ces objectifs, il faut distinguer trois types de déploiement : des bornes publiques, installées sur des zones qui appartiennent aux pouvoirs publics ; des bornes privées, installées sur des zones accessibles au public ; et enfin, des bornes rapides sur le réseau structurant (les autoroutes et grandes nationales) dont le déploiement est organisé par la Sofeco, un organisme public qui gère les infrastructures routières. Dans les chiffres, cela donne ceci :
- 2.000 points de recharge publics d’ici à 2025 et 4.000 d’ici à 2026 sur le territoire communal. 262 communes wallonnes ont été sélectionnées pour assurer un maillage de la Wallonie.
- 2.000 points de recharge privés pour 2025, principalement sur des parkings et des stations-services du réseau secondaire.
- 1.000 points de recharge rapides sur le réseau structurant.
Le bilan est maigre
Au niveau communal, le bilan est nul. Le déploiement prend du temps. Rien que la répartition des bornes entre les communes a pris des mois. Les marchés publics vont, eux, à peine être lancés pour un début espéré des travaux à l’été 2024. “Pas une seule borne publique résultant de votre politique ne sera sortie de terre entre septembre 2019 et juin 2024, permettez-moi d’y voir un certain gâchis”, tançait Jean-Luc Crucke, en janvier dernier, à l’adresse du ministre Henry. Le député pointe du doigt un cahier des charges trop compliqué et une mauvaise organisation entre le cabinet du ministre… et son administration. Tiens, tiens, ça ne vous dit pas quelque chose ?
Le porte-parole d’EV Belgium (Fédération de la mobilité zéro émission), Romain Denayer, est plus mesuré. “Le monde politique commence à être conscient des besoins en recharges électriques. Mais il a fallu du temps. Les premiers objectifs de l’installation de nouvelles bornes datent en fait du plan de relance, en 2021. Il a fallu attendre deux ans pour qu’on puisse obtenir une carte de répartition en Wallonie. Il faut maintenant s’occuper de la mise en place, mais aucun appel d’offres n’a encore été publié. Les 4.000 points de recharge publics n’ont pas encore commencé, alors que la Flandre est déjà parvenue à ses objectifs.”
Au niveau des points de recharge rapides, le bilan est plus contrasté. Il existe déjà 800 points de charge. Il reste donc 20% des recharges à mettre en place. La Sofico doit procéder par concession ou par appel d’offres sur les marchés pour trouver des candidats. “Le secteur privé est demandeur, mais il n’y a toujours rien”, renchérit le député. “Les concessionnaires sont obligés de se rabattre à côté des autoroutes, c’est le vide sur les voies rapides.”
800 points de recharges, ça peut paraître beaucoup. Mais il s’agit d’une équivalence liée à la puissance. Dans les faits, une borne équivaut à 30 points. Ce qui fait que la Wallonie ne compte que 26 bornes (avec plusieurs prises) sur ses voies rapides. Le plan en prévoit 10 de plus. “Pour nous, c’est largement insuffisant”, appuie Romain Denayer.
Y a-t-il vraiment une volonté ?
Déployer des bornes de recharge électrique est une obligation européenne. Il en faut tous les 60 km. Mais on sait qu’Ecolo ne fait pas des voitures électriques une priorité. Idéologiquement, remplacer des millions de voitures thermiques par autant de voitures électriques n’est pas du tout la vision du parti, qui mise davantage sur la mobilité douce et les transports en commun. Ce qui est défendable.
Mais il faudrait déjà penser au parc automobile existant. Or, du côté du ministre, on estime que pour le moment, le réseau de recharge est suffisant pour le nombre de voitures électriques présentes sur le territoire wallon. “Ce qui est vrai, si on tient compte uniquement des voitures électriques enregistrées en Wallonie”, complète le porte-parole d’EV Belgium. Mais c’est un chiffre largement sous-estimé. Car il faudrait aussi tenir compte de toutes les voitures de société immatriculées en Flandre ou à Bruxelles qui appartiennent à des Wallons. Or, très peu de sociétés de leasing se trouvent sur le territoire wallon. Il faut y ajouter tous les véhicules en transit vers l’étranger, la Belgique reste un carrefour de l’Europe.
“À nouveau, c’est un coup pour l’attractivité de la Wallonie, tant en matière de tourisme que de transit”, souligne Jean-Luc Crucke. “Aujourd’hui, des propriétaires de voitures électriques préfèrent tout simplement éviter la Wallonie.”
Ce que nous confirme Romain Denayer : “De nombreux automobilistes du nord de l’Europe préfèrent éviter la Wallonie pour passer par l’Allemagne. L’E411 est évitée ainsi que l’E420 après Charleroi, qui permet d’arriver normalement plus rapidement vers la France et puis l’Espagne. Par ailleurs, cela crée des embouteillages sur les autres bornes, aux abords du territoire wallon.
EV Belgium espère que les choses vont s’accélérer. Des réunions de coordination ont d’ailleurs commencé entre les autorités et les différents acteurs du secteur. Le renouvèlement des concessions existantes, en particulier, y est discuté, pour faciliter la transition entre énergie fossile et énergie propre. Et pour les prochains appels d’offres, Denayer demande déjà aux pouvoirs publics d’intégrer de nouveaux critères : “Il faudra se focaliser sur la fréquence des axes routiers et plus uniquement sur une simple carte de répartition. L’accent devra également être mis sur la qualité des chargeurs et la rotation d’une place de recharge pour arriver à des prix compétitifs.”
Voitures électriques
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