Michael Verschueren: “Les surprises doivent toujours être possibles”

MICHAEL VERSCHUEREN "Il faut promouvoir la marque RSC Anderlecht à l'étranger également." © KAREL DUERINCKX

Michael Verschueren s’est vu confier début novembre la direction sportive du RSC Anderlecht, le plus grand club de foot du pays. Sa mission : réintégrer le cercle des plus grands clubs européens.

L’année 2018 a été riche en rebondissements pour Anderlecht. Après 47 ans, la famille Vanden Stock a revendu la majorité de ses actions au tandem Marc Coucke-Joris Ide. Un vent nouveau souffle désormais sur l’institution. Soixante personnes ont quitté le club, 30 autres l’ont rejoint. Le directeur technique Frank Arnesen est la dernière recrue en date.

Une plus grande efficacité et une vingtaine de sponsors supplémentaires consolident l’assise financière. Le club est de ce fait moins dépendant des transferts pour atteindre son seuil de rentabilité. Sur le plan sportif, Anderlecht est moins performant suite notamment au licenciement de l’entraîneur Hein Vanhaezebrouck. La priorité aux jeunes joueurs est plutôt encourageante.

Et comme si le club n’avait pas encore assez de chats à fouetter, les 1,2 million de documents afférents aux Football Leaks et l’enquête judiciaire sur les malversations des agents de joueurs ont provoqué une véritable onde de choc dans le monde du foot, incitant la ligue européenne de l’UEFA et la fédération internationale Fifa à imaginer de nouvelles formules de compétition qui profitent essentiellement aux grands clubs.

Tout cela n’empêche pas Michael Verschueren (48 ans) de dormir sur ses deux oreilles. Le parfait trilingue originaire du Pajottenland a prévu une partie de tennis à huit heures et quart du matin. L’entrepreneur indépendant qui a fait carrière dans le secteur du meuble, du marketing numérique et de l’immobilier, est devenu actionnaire de la maison mauve en 2010. Il est le seul Belge à siéger à l’ECA, l’association européenne représentant 232 clubs de football, où il côtoie les représentants des clubs les plus prestigieux du continent comme le PSG, le FC Barcelone et Manchester United. Début septembre, Michaël Verschueren a été propulsé à la tête du RSCA International. Deux mois plus tard, soit 15 ans après son père Michel, il prend les rênes du département sportif.

Le but n’est pas de générer des bénéfices. Tout l’argent revient au football, pas aux dividendes.

TRENDS-TENDANCES. Quel est le modèle commercial du nouveau RSC Anderlecht et quelles sont les possibilités à terme ?

MICHAEL VERSCHUEREN. Le modèle de l’ancien Anderlecht n’était pas sain à terme et n’offrait aucune perspective d’avenir. La stratégie consistait à atteindre le seuil de rentabilité d’ici à trois ans, basée sur une saison rentable, grâce à la participation à la Champions League, et deux saisons structurellement non rentables, grâce à la participation à l’Europa League. La stratégie misait également sur les revenus nets générés par la vente des joueurs.

L’arrivée de Marc Coucke a complètement chamboulé ce modèle. Les recettes commerciales ont explosé et les coûts sérieusement diminué grâce au savoir-faire du CEO Jo Van Biesbroeck. Le club fonctionne désormais beaucoup plus efficacement et le résultat ne s’est pas fait attendre : nous avons atteint le seuil de rentabilité en l’espace d’une saison avec la campagne Europa League. La participation à la Champions League, programmée une année sur deux, équivaut à une injection de 35 à 40 millions d’euros dans le développement sportif du club.

Quel chiffre d’affaires structurel vous semble réalisable, compte non tenu des recettes générées par les transferts ?

Une saison normale permet de réaliser un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros, dont 10 millions d’euros grâce à l’Europa League. La participation à la Champions League booste les recettes à 95 millions d’euros. Des transferts exceptionnels peuvent faire grimper le chiffre d’affaires jusqu’à 100, voire 120 millions d’euros. Le changement s’opère souvent par nécessité. Meilleur fonctionnement du club rime avec meilleure direction sportive. Qui dit plus de recettes, dit plus d’investissements, dans l’infrastructure, de meilleurs joueurs, la formation des jeunes. Nous faisons en sorte que les talents les plus prometteurs restent plus longtemps. D’après les statistiques, il vaut mieux que les jeunes joueurs restent chez nous un ou deux ans de plus avant de partir pour un grand club étranger .

Quelles ambitions ces moyens vous permettent-ils de viser au niveau européen ?

Sur le plan budgétaire, nous faisons partie du top 200. Une 16e de finale à la Champions League est le maximum. A ce niveau, seuls les clubs d’élite sont encore en lice avec un budget de 500 millions d’euros minimum.

Le fossé entre riches et pauvres se creuse-t-il ?

Oui. Des résultats par trop prévisibles ne sont pas souhaitables. Les surprises doivent toujours être possibles et l’argent doit être correctement réparti. Cela va encore pour le moment. A la Champions League, 30% de l’argent est partagé entre clubs de phase de groupes. Une bonne gestion permet de se frotter de temps en temps aux grands clubs. Cela dépendra essentiellement de la structure des compétitions européennes après 2024. Si les recettes des clubs prestigieux baissent, ils chercheront une formule alternative, comme une compétition 100% européenne avec 24 clubs. Si les recettes continuent à croître, les formules de compétition actuelles peuvent être maintenues. La décision devrait tomber dans un ou deux ans.

MICHAEL VERSCHUEREN
MICHAEL VERSCHUEREN “Le changement s’opère souvent par nécessité.”© KAREL DUERINCKX

Les actionnaires suggèrent une augmentation de capital de 30 millions d’euros. Projetez-vous la construction d’un nouveau stade ?

Non. L’augmentation n’est pas indispensable mais une structure de capitaux plus solide offre davantage de possibilités. Il n’y a pas de projet de stade pour le moment. Si le besoin s’en fait sentir, nous assurerons nous-mêmes la construction d’un nouveau stade ou la rénovation des structures existantes. Les pourparlers de l’Eurostadium ( le projet de stade sur le parking C du plateau du Heysel, finalement annulé, Ndlr) ont montré que la formule de la location pouvait générer un conflit d’intérêts entre le club et le promoteur immobilier, ce que nous voulons éviter.

Vous développez les activités internationales d’Anderlecht depuis septembre. Comment voyez-vous les choses ?

Les grands clubs européens génèrent plus de recettes à l’étranger que sur le marché national du fait de leur réputation. Quelques clubs moins importants comme Ajax, Benfica et Olympiakos s’internationalisent depuis un bon moment. Ajax a numérisé et commercialisé ses compétences de centre de formation en Chine, au Japon et aux Etats-Unis essentiellement. Une opportunité que nous n’avons malheureusement pas saisie. La popularité des Diables Rouges constitue une formidable tremplin à l’étranger. A terme, l’internationalisation devrait générer 5 à 10 millions d’euros. Une première collaboration a été conclue avec la ligue de football lituanienne, un contrat d’une valeur de 300.000 euros. Nous sommes actuellement en pourparlers avec deux clubs chinois pour une éventuelle collaboration et envisageons de créer une académie de jeunes talents aux Etats-Unis. Une tournée internationale avec l’équipe est également prévue pour promouvoir la marque RSCA.

Sur le plan budgétaire, nous faisons partie du Top 200. Une seizième de finale à la Champions League est le maximum pour Anderlecht

Quelles pourraient être les conséquences de l’enquête judiciaire sur les agents de joueurs? Lors de la saison 2016-2017, les frais des commissions des agents affiliés à Anderlecht ont augmenté de 6 millions d’euros.

Nous nous efforçons de mieux contrôler ces frais, ce qui a un coût évidemment. Le joueur donne mandat à l’agent mais dans certains cas, les agents étaient aussi payés par les clubs. Conformément à la nouvelle réglementation, le joueur paie son agent. Pour un maximum de transparence. Aujourd’hui, quelque 600 millions d’euros transitent chaque année du football européen aux commissions des agents. Une sacrée fuite car cet argent disparaît dans la nature. La Fifa planche également sur un nouveau modèle, avec obligation pour les courtiers de se faire enregistrer et une clearing house qui contrôle les paiements. Toute la question est de savoir si une indemnité maximale de 5 à 7%, par exemple, peut être imposée.

Il est question de supprimer les avantages fiscaux dont bénéficient les sportifs de haut niveau. Qu’est-ce que cela implique pour les clubs belges ?

C’est une catastrophe. Cette mesure a favorisé les investissements dans les académies de jeunes, c’est indéniable. Mais les conditions devraient être plus claires, plus transparentes, plus contrôlables.

Vous faites partie du groupe de travail Finances de l’ECA qui prône le Financial Fair Play, les règles financières de la ligue européenne de football UEFA. Le FFP a-t-il déjà produit des effets ? Les grands clubs ne font que grandir.

L’objectif du FFP est triple. Primo, réduire les arriérés de paiement entre clubs (passés de 680 millions en 2011 à 70 millions aujourd’hui). Secundo, améliorer la santé financière des clubs. Les pertes autorisées, de maximum 15 millions par an autrefois, sont aujourd’hui limitées à 10 millions d’euros. Tertio, ne pas fermer la porte aux nouveaux investisseurs. Nous avons des difficultés à atteindre ces deux derniers objectifs, pas toujours très clairs. Mais nous faisons de mieux en mieux tous les trois ans.

Il nous faut également lutter contre les structures de holding, synonymes de recettes supplémentaires pour certains clubs, de frais supplémentaires pour d’autres ( par exemple Manchester City, Red Bull Salzburg et Leipzig, Ndlr). Nous nous efforçons de cartographier le problème avec plus de précision.

Que pensez-vous des Football Leaks dont les médias se délectent ?

On ne peut pas en vouloir aux journalistes qui ont accès à 1,2 million de documents relatifs aux réunions, aux assemblées, aux commissions, etc. Il suffit de taper quelques mots-clés pour trouver toutes sortes de documents et en tirer des conclusions qui ne riment à rien. Le fait que le Real Madrid tienne compte d’une possible Super Ligue ou d’une institution comparable et envisage de sortir de la compétition espagnole n’a rien d’anormal. Ce n’est pas parce que je demande au département juridique d’étudier la faisabilité d’une BeNeLigue que j’ai des plans concrets dans mes cartons.

Une BeNeLigue est-elle envisageable ?

Pas dans le contexte actuel. Mais il ne faut jamais dire jamais. Ce n’est pas impossible si les compétitions de nos deux pays gagnent en importance. Le changement s’opère souvent par nécessité.

Que comptez-vous accomplir dans cinq ans ?

Je rêve de voir jouer Anderlecht dans un véritable temple du foot où les matches génèrent des recettes plus substantielles, de voir le club devenir un leader du B to B et du réseautage, et reprendre sa place sur la scène internationale.

Profil

Premier dossier de Michael Verschueren : la nomination de Frank Arnesen au poste de directeur technique.
Premier dossier de Michael Verschueren : la nomination de Frank Arnesen au poste de directeur technique.© BELGAIMAGE

  • Né le 13 août 1970
  • Diplôme en économétrie et en économie quantitative de la VUB (1993)
  • Fondateur de New-Art Import, importateur de meubles (1993-1999)
  • Fondateur d’ABS Creative (depuis 1999, marketing numérique, en 2015 vendu à la filiale WPP de Wunderman)
  • Fondateur de Komito Group (immobilier en Belgique et en Espagne)
  • Administrateur et actionnaire d’Anderlecht (depuis 2010)
  • Administrateur de Prestige Group (organisation non lucrative active dans le domaine des arythmies cardiaques chez les sportifs)
  • Président d’E-Health Valley (incubateur de start-up dans le domaine de la santé, du sport et du bien-être)
  • Administrateur de l’European Club Association (depuis 2013), président de Finance Working Group ECA (depuis 2017)
  • Responsable du département sportif d’Anderlecht (depuis 2018)

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