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Limiter les salaires ou la compétitivité ?

On peut dire que le sujet de notre Une de jeudi dernier est tombé à pic. “Le salaire des grands patrons est-il indécent ?” Visiblement, oui, si l’on en croit la proposition de loi déposée par le ministre Paul Magnette.

On peut dire que le sujet de notre Une de jeudi dernier est tombé à pic. “Le salaire des grands patrons est-il indécent ?” Visiblement, oui, si l’on en croit la proposition de loi déposée par le ministre Paul Magnette (PS), au lendemain de cette publication. Nos conclusions, basées sur des comparaisons avec l’étranger notamment, diffèrent sensiblement des siennes. Soit, limiter la rémunération des CEO des entreprises publiques à 290.000 euros brut, c’est un geste politique fort. Trop fort ?

Le régime proposé est pour le moins draconien : même s’il n’est pas concerné par la mesure – celle-ci ne devant entrer en vigueur que pour les contrats futurs – Didier Bellens, le CEO de Belgacom, devrait pour bien faire suivre une cure qui amènerait son salaire à peser près de 10 fois moins que celui qu’il touche actuellement (2.244.080 euros en 2011). Johnny Thijs, le CEO de bpost, devrait quant à lui diviser sa rémunération par trois. En politique, la perte de poids attire visiblement la sympathie, mais tout de même… A vouloir être trop drastique, on risque de subir “l’effet yo-yo” : il ne fait d’ailleurs déjà quasiment plus aucun doute que la proposition de Paul Magnette sera revue à la hausse.

Mais ce ne sont pas tant les chiffres affichés par le cadran de la balance qui comptent. La question fondamentale que soulève cette initiative est celle de la compétitivité de nos entreprises publiques, dans les secteurs libéralisés du moins, comme les deux mentionnés plus haut. Que souhaite-t-on au juste ? Déréguler pour stimuler la compétitivité et la productivité, ou réguler pour garantir l’accès à un service public de qualité acceptable à la majorité ?

Non pas que la limitation de la rémunération des patrons soit une mauvaise chose en soi : en période de crise, lorsque les cours de Bourse dévissent, que les caisses de l’Etat crient famine et que le pouvoir d’achat des ménages est sans cesse raboté, il apparaît plutôt juste que ce même Etat, là où il est actionnaire, exerce son droit d’appeler à la bonne gestion des dirigeants qu’il a mandatés. De même, dans l’absolu, on peut sans doute raisonnablement penser que 290.000 euros annuels constitueraient un package suffisamment confortable pour une majorité de “bons” chefs d’entreprise.

Mais tout est relatif : est-ce qu’un CEO compétent mais également expérimenté, influent et charismatique se satisfera d’un tel montant si le patron de son concurrent direct, qui plus est nettement plus petit en taille, gagne non pas 10, mais 15 fois plus que lui ? C’est ce qui arrivera au successeur de Didier Bellens si les émoluments de Duco Sickinghe, le CEO de Telenet (1,38 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 2.050 travailleurs, contre respectivement 6,4 milliards et 15.788 pour Belgacom), par ailleurs élu Manager de l’Année par nos confrères de Trends, continuent de frôler les 4,7 millions d’euros. En termes de compétitivité, on a connu mieux.

Et pour une disposition qui vise plus d’égalité, on peut dire que l’objectif est manqué : n’a-t-elle pas de sens qu’au sein d’une population comparable ou du moins, se partageant les mêmes ressources ? A quoi bon rendre le salaire d’un “patron public” comparable à celui d’un ministre, puisque ces deux-là n’ont aucune (ou très peu d’) influence l’un sur l’autre, en termes économiques s’entend bien ? Oui, il y a la valeur, non négligeable, de l’exemple. Mais à ces conditions, le prochain patron de Belgacom pourrait bien avoir envie de montrer les dents.

La proposition de loi déposée la semaine dernière devrait être aménagée au moins à deux niveaux : primo, elle devrait être moins sévère et concerner l’ensemble des cadres dirigeants, comme l’a suggéré Charles Michel (MR). Question de bon sens. Et deuxio, elle devrait comporter un volet variable plus intelligent, c’est-à-dire basé sur des critères comme la taille de l’entreprise concernée, son chiffre d’affaires, son degré d’internationalisation, sa capitalisation – boursière ou non – voire sur la valeur ajoutée qu’elle génère, ce qui permettrait de prendre en compte les paramètres de marché et de ce fait, de ne pas mettre toutes les entreprises publiques (Belgacom, Bpost, la SNCB, la Loterie Nationale, Belgocontrol…) dans le même sac.

La diète serait alors sans doute moins difficile à supporter pour les dirigeants, plus efficace sur le plan de la compétitivité à long terme des entreprises, tout en ayant une véritable utilité morale et sociale. Monsieur Magnette, il est peut-être temps de se remettre à table.

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