L’hémorragie des jours

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Dans « Dérives », l’Américaine Kate Zambreno, traduite pour la première fois en français, nous fait dériver dans l’hémorragie des jours et des pensées de sa narratrice.

Son éditeur attend son roman. Il y aura sans doute des personnages, une histoire, comme dans tout roman. Sauf qu’à l’épreuve de l’écriture, la narratrice de Dérives n’en est plus si sûre. En réalité, elle veut « écrire un roman qui contienne l’énergie de la pensée ». Ambitieuse entreprise que de rendre « la difficulté avec laquelle on tente de pénétrer le jour, de décrire ce que ça fait, la texture que ça a, un corps qui déambule ». C’est sans doute le fragment, de très courts chapitres, qui pourront au mieux rapprocher l’écrivaine de cette déambulation dans « l’hémorragie des jours ». Avec Reiner Maria Rilke pour boussole: « Si l’on vit aussi mal, c’est qu’on aborde toujours le présent sans préparation, sans moyens et de la façon la plus distraite », dit le poète qu’elle citera tout au long du texte.

Le titre original de ce livre est Drifts, très proche de « drafts », brouillons, ébauches. Roman sur l’acte de créer, d’observer (la narratrice cite aussi Simone Weil: « L’attention est la même chose que la prière »), de vivre, « de rester silencieuse ou non face au capitalisme, au désir, à ma famille », la narratrice tente d’y « éliminer tout ce qui relève du personnel ». Elle s’apitoie sur le sort des animaux errants, l’état de délabrement des rues ou des voisins (« sans pour autant y faire grand-chose »), elle raconte les cours qu’elle donne dans diverses facultés et le rapport aux étudiants. Un de ses correspondants, romancier, lui suggère d’ailleurs que c’est peut-être à ça que se résume l’écriture aujourd’hui: « Une manière d’exister et d’assimiler l’existence ». On chemine avec Rilke, Chantal Akerman, Robert Walser, W.G. Sebald. Et Agnès Varda dont elle donne à lire cette phrase tirée des Plages d’Agnès : « Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages ». Sûr qu’en ouvrant Dérives, c’est une étendue vaste qui se donne à voir.

Kate Zambreno, « Dérives », La croisée, 248 pages, 22 euros.

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