Les obligations retrouvent des couleurs

PETER DE COENSEL © PG

L’année 2022 restera dans les annales de la finance comme une période affreuse pour les obligations, avec un recul des cours sans précédent. Mais après des mois de galère, l’investisseur voit poindre de nouvelles opportunités.

L’année est historique pour les marchés obligataires, mais absolument pas dans un sens positif. Au cours des deux derniers siècles, 2022 est la troisième année durant laquelle les marchés de la dette ont affiché des rendements aussi négatifs, note Jim Reid, stratégiste en chef de la Deutsche Bank. L’indice Bloomberg Global Aggregate Bond, qui suit les obligations d’Etat et d’entreprises de haut niveau, a baissé de 20% cette année. D’autres segments des marchés du crédit sont aussi nettement dans le rouge par rapport au début de l’année. Les obligations à long terme contemplent un recul de près de 30%. Les pertes de cette année ont effacé les gains des 10 dernières années, selon les analystes du gestionnaire d’actifs Schroders.

“C’est du jamais vu”, souligne Peter De Coensel, CEO du gestionnaire de patrimoine DPAM et précédemment responsable des stratégies obligataires. “Le retournement, c’est avant tout une question de perspective. Il y a moins d’un an, certaines obligations d’Etat européennes étaient cotées à des rendements négatifs. Mais avec le resserrement des taux d’intérêt par les banques centrales, tout ce complexe de taux s’est mis à glisser vers le haut avec un effet considérable sur la performance des portefeuilles d’obligations.”

Des taux d’intérêt à la hausse ne sont en principe jamais bons pour les titres de créance. Ils rendent moins attrayants les rendements des obligations actuelles, ce qui incite les investisseurs à vendre et fait chuter le prix des obligations.

Le fonctionnement du radar obligataire est différent de celui des marchés d’actions. Pour les obligations, une baisse du cours conduit à une hausse des rendements et vice versa. Une obligation à un an avec un coupon de 1% cotée à 100 euros a un rendement de 1%. Mais si son prix tombe à 98 euros, il est soudain coté à 3% de rendement, à savoir le coupon de 1% plus la plus-value de 2 euros lors du remboursement à l’échéance.

Face au relèvement des taux pratiqué par la quasi-totalité des grandes banques centrales, les prix des obligations se sont effondrés cette année pour ramener les rendements des obligations existantes au niveau de ces taux directeurs plus élevés.

Comme les actions

Les attentes du marché à la fin de l’année dernière donnent une idée de l’agressivité avec laquelle ces hausses de taux ont été mises en oeuvre, notamment par la banque centrale américaine (Fed). “A la fin de l’année dernière, les banques centrales ont réalisé que l’inflation serait plus persistante qu’anticipé, et elles se sont résolues à relever fortement les taux d’intérêt, rappelle Peter De Coensel. Mais à l’époque, on s’attendait à ce que les taux directeurs américains se situent autour de 1,5% à la fin de cette année. Nous sommes déjà aux alentours de 4% et on pense qu’il faudra y ajouter 0,5% avant la fin de l’année.” Les taux directeurs américains n’ont jamais augmenté aussi rapidement que cette année.

“La Fed et les autres banques centrales dans son sillage veulent un effet maximal de chaque hausse de taux. Cela a produit un reset des marchés obligataires”, explique Peter De Coensel. Avec cette forte augmentation, elles ont en quelque sorte pris de l’avance sur ce qui allait de toute façon se passer, mais plus rapidement. Dans le jargon financier, on appelle ça du front loading.

Ce reset ouvre de nouvelles perspectives sur les marchés de la dette. Alors que les obligations d’entreprises américaines dites investment-grade affichaient des rendements d’environ 2 à 3% l’année dernière, nous sommes désormais autour de 6%. Quant aux obligations à haut risque – high yield – elles sont passées de 4 à plus de 8%. Les rendements obligataires européens sont inférieurs de un à quelques pour cent.

“Les obligations redeviennent attractives. Les niveaux de rendement sont semblables ou même supérieurs aux dividendes des actions. Il y a de nouveau de la valeur et des opportunités sur les marchés obligataires, affirme Sam Vereecke, responsable des stratégies obligataires chez DPAM. Nous étions jusqu’à récemment en sous-pondération sur les obligations, mais nous sommes maintenant acheteurs.”

Retour vers le passé

“Aux niveaux de rendement actuels, ça a du sens de choisir des obligations. Celles-ci concurrencent à nouveau le rendement global des dividendes des actions”, confirme Isabelle Vic-Philippe, responsable de la stratégie obligataire européenne chez Amundi. “Le rendement d’une obligation d’Etat allemande à 10 ans est inférieur d’environ 1% au rendement des dividendes du MSCI Europe (le principal indice boursier de la zone euro, Ndlr). C’est très raisonnable. En outre, les obligations remplissent à nouveau leur ancienne fonction de tampon au cas où une récession surviendrait et où les banques centrales devraient à nouveau faire baisser les taux.”

“C’est comme si nous avions atterri dans un nouvel environnement, mais en fait nous sommes déjà passés par là. Nous sommes aujourd’hui aux niveaux du début des années 2000 ou des années 1990. A l’époque, il y avait aussi de la valeur à obtenir des obligations”, ajoute Peter De Coensel.

“Les marchés obligataires ont beaucoup changé par rapport à cette époque, précise Isabelle Vic- Philippe. Les banques centrales n’étaient alors pas aussi dominantes que ces dernières années. Plus de choses se faisaient via les canaux interbancaires, alors qu’aujourd’hui, en raison de la réglementation, les banques sont limitées dans le rôle qu’elles peu-vent tenir sur les marchés de la dette à court terme.” Il y a aussi un facteur générationnel. “Le dernier marché baissier dans les obligations remonte à 1994. Beaucoup de personnes actives dans ce secteur ne savent pas ce que c’est que de négocier dans une situation de hausse des taux, poursuit Isabelle Vic-Philippe. Mais nous retrouvons doucement un environnement où des éléments plus traditionnels, comme la croissance, l’inflation et les acteurs plus classiques du marché, déterminent l’évolution des taux.”

Veiller au “Move”

Reste à savoir ce que nous réserveront les marchés obligataires en 2023. “Le gros des variations de prix et des hausses de rendement sont derrière nous, estime l’analyste d’Amundi. On pense généralement que le taux directeur européen atteindra 2,5 à 3% en cours d’année prochaine.” Il est actuellement de 1,5 et la Banque centrale européenne (BCE) le portera à 2% en décembre. Aux Etats-Unis, il se situe entre 3,75 et 4%, contre 0,25% au début de l’année. Le marché s’attend à ce qu’il culmine autour de 5% l’année prochaine.

Toutefois, l’incertitude n’a pas disparu des marchés de la dette. “En fin de compte, personne ne sait exactement où se situera le pic des taux directeurs, ni comment ils évolueront ensuite. Nous travaillons avec différents scénarios et nous planifions nos investissements en conséquence, reconnaît Sam Vereecke. N’oubliez pas que les interventions des banques centrales depuis le coronavirus ont été d’un ordre tel que tous les modèles classiques sur lesquels les investisseurs obligataires greffaient leurs stratégies ne s’appliquent plus.” Par ailleurs, divers signes montrent que le volume de transactions sur les marchés obligataires est beaucoup plus faible que d’habitude et la volatilité bien plus élevée. “Tout est plus tendu, remarque Peter De Coensel. Nous sommes passés d’une inflation temporaire à une inflation structurelle. Il y a les tensions géopolitiques, et les perspectives sont incertaines. Cela provoque beaucoup d’oscillations, y compris sur les marchés obligataires.” L’indice Move (comme “Merrill Lynch Option Volatility Estimate”), qui mesure la nervosité sur les marchés des taux américains, est structurellement plus élevé cette année que les 10 années précédentes. Mais le marché a bien résisté à ce resserrement agressif, selon Peter De Coensel et Sam Vereecke. “Je n’aurais jamais pensé qu’il le digère aussi bien. Il n’y a pas eu d’accidents comme au début de la pandémie”, constate Peter De Coensel.

Marché sous-estimé

L’impact de taux directeurs élevés sur le reste du système financier et sur l’économie ne doit pas être négligé. “Ils déterminent le taux interbancaire, une sorte de taux d’intérêt opérationnel sur lequel les banques greffent toutes leurs transactions. Quand ce taux augmente, tout augmente aussi pour les entreprises et les consommateurs, comme les prêts hypothécaires, les prêts-relais, les prêts aux entreprises, les prêts à la consommation et autres”, détaille le CEO de DPAM. Le taux directeur à court terme est comme la marée qui fait monter tous les bateaux…

Enfin, l’importance des marchés obligataires pour le reste des marchés financiers est parfois sous-estimée. “La santé du reste des marchés dépend de la manière dont les entreprises et les pouvoirs publics peuvent se financer et gérer leur dette, insiste Peter De Coensel. Si on imagine les marchés financiers comme une maison, alors les marchés monétaires et des obligations d’Etat à court terme en sont les fondements, les marchés obligataires à long terme pour les pouvoirs publics et les entreprises constituent le rez-de-chaussée et le premier étage, et ce n’est qu’au-dessus que viennent se poser les marchés d’actions.”

JEF POORTMANS

La Fed et les autres banques centrales dans son sillage veulent un effet maximal de chaque hausse de taux. Cela a produit un ‘reset’ des marchés obligataires.” PETER DE COENSEL (DPAM)

Ça a du sens de choisir des obligations. Elles concurrencent à nouveau le rendement global des dividendes des actions.” ISABELLE VIC-PHILIPPE (AMUNDI)

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