Les banquiers sont devenus fous

© GETTY IMAGES

En Europe, mieux vaut être cigale que fourmi, c’est la conséquence des taux d’intérêt négatifs.

Si Alice s’achetait un appartement au pays des merveilles, son prêt ressemblerait sans doute aux offres que vont faire un nombre croissant de banques européennes en 2020 : elle serait tenue de rembourser une somme inférieure à celle empruntée. Les taux d’intérêt négatifs, inversion excentrique des dynamiques habituelles, découlent de la détermination sans faille des banques centrales, qui veulent absolument stimuler l’économie. Mais ce qui est une bonne nouvelle pour les emprunteurs n’est pas sans perturber les bailleurs de fonds et l’économie dans son ensemble.

Quelques chanceux ont déjà réussi à se faire rémunérer pour emprunter de l’argent. Les Etats, qui sont habituellement les emprunteurs dotés de la meilleure solvabilité, en font partie. En août 2019, l’Allemagne a émis des obligations à hauteur de 824 millions d’euros, mais elle ne remboursera que 795 millions d’euros en 2050. Des entreprises comme LVMH et Nestlé, respectivement fournisseurs de sacs Louis Vuitton et de Kit Kat, ont aussi persuadé des investisseurs de leur prêter de l’argent pour moins que rien.

Si les investisseurs acceptent de prêter à des taux négatifs, c’est parce qu’ils cherchent avant tout à conserver de l’argent en lieu sûr, quitte à accuser quelques pertes (remboursement du capital), plutôt que d’encaisser des intérêts (rendement du capital). Ces temps-ci, l’inflation est suffisamment faible pour ne pas grignoter les futurs rendements. Les banques qui conservent leur excédent à la Banque centrale européenne (BCE) se voient désormais facturer ce privilège, alors autant limiter ces pertes en prêtant de l’argent.

C’est précisément l’objectif que veulent atteindre la BCE et d’autres banques centrales pratiquant des taux directeurs négatifs, par exemple en Suède, au Danemark et en Suisse. L’argent bon marché doit susciter plus d’emprunts, ce qui aboutit à une hausse des dépenses et donc à une croissance économique plus dynamique.

Etre rémunéré pour emprunter était autrefois un scénario qui n’existait que dans la tête des économistes, mais c’est aujourd’hui un phénomène courant. De nombreuses obligations qui étaient émises avec un taux d’intérêt classique (positif) sont maintenant associées à des taux négatifs, car des investisseurs désespérés fixent pour ces actifs un prix supérieur à leur valeur faciale.

Les retraités mal lotis

Les taux négatifs sont manifestement une excellente nouvelle pour les emprunteurs. Mais les épargnants tels que les retraités, qui comptent sur le rendement obligataire, en font les frais. Les taux d’intérêt très bas ont anéanti les bénéfices des banques européennes, c’est pourquoi certaines facturent des frais aux clients qui ont des économies. La simple perspective de pénaliser les épargnants de cette manière a fait grincer des dents en Allemagne, haut lieu de la frugalité.

Mais l’Europe ne sera vraiment passée de l’autre côté du miroir que lorsque les citoyens ordinaires pourront contracter des emprunts à taux négatifs au même titre que le gouvernement allemand. L’Europe a déjà inauguré le prêt hypothécaire négatif : la Jyske Bank, un établissement danois, propose depuis l’été 2019 des emprunts à -0,5 %.

Les économistes se demandent depuis longtemps jusqu’où il est possible d’aller dans le négatif. Si les banques facturent les épargnants, ces derniers pourraient, en théorie, récupérer leurs économies pour les planquer sous un matelas. Si ça vous semble fou, demandez-vous si une autre voie est possible.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content