Le rêve fou des pionniers du l’Hyperloop

le canadien TransPod travaille sur une capsule propulsée à très grande vitesse dans un boyau métallique sur pilotis. © PG/TRANSPOD

Plusieurs sociétés concurrentes travaillent sur des projets de transport terrestre ultrarapide, proche de la vitesse du son. Les premiers essais sont en vue, mais nombre d’obstacles ne sont pas encore levés.

Au départ, on songe à une vaste plaisanterie : des capsules contenant de 20 à 40 passagers chacune, propulsées en lévitation à près de 1.220 km/h (juste en dessous de la vitesse du son ! ) dans des tubes à très basse pression atmosphérique, capables de boucler en une poignée de minutes des parcours qui prennent des heures en voiture. Soit quatre fois la vitesse des TGV actuels ! Un pari fou, qui commence pourtant à prendre tournure. Malgré une certaine incrédulité, quelques start-up pionnières d’outre-Atlantique sont bien décidées à pousser les recherches, certifier puis commercialiser l’Hyperloop, ce mode de transport inconnu, qui tourne le dos au ferroviaire et défie l’avion.

Ici ou là, les jalons émergent : une première piste d’essai vient d’être achevée dans le désert du Nevada, au nord de Las Vegas, et devrait si tout va bien subir son premier test cet été. Une autre est annoncée pour 2018 sur l’ancienne base militaire de Francazal, près de Toulouse, vouée à recevoir un prototype de capsule usiné chez un sous-traitant espagnol. Une troisième est en cours de négociation au Canada. Par ailleurs, les études pour des corridors potentiels se multiplient. Des Emirats arabes unis à l’Inde en passant par l’Europe et les Etats-Unis, les dirigeants de ces start-up courent le globe et signent des protocoles d’accord à tout-va, chassant si possible des subventions au passage. Ils visent tous, selon leur degré d’optimisme face aux impasses techniques, la période 2020-2022.

” Ces sociétés sont dans une phase où elles veulent verrouiller le maximum de territoire. C’est un jeu de go, le tri va se faire “, estime Christian Brodhag, professeur à l’Ecole des mines de Saint-Etienne. Partisan de cette technologie, ce dernier a fait travailler voici deux ans des étudiants sur une possible ligne ” sous tube ” Saint-Etienne-Lyon, destinée à soulager l’autoroute et le TER actuels. A vitesse modérée néanmoins (400 km/h), en raison du tracé sinueux sur place. ” Au fond, l’Hyperloop n’est pas une technologie très extraordinaire, c’est une combinaison de différents domaines déjà maîtrisés “, dit-il. ” C’est comme le TGV il y a 40 ans : ça paraît fou, et pourtant ça a existé “, ajoute Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, qui n’a pas hésité à investir quelques millions d’euros dans Hyperloop One, l’une de ces jeunes pousses pourtant si opposées par essence à la sacro-sainte culture du rail, qui remonte aux années 1830.

En fait, l’idée des ” vactrains ” (pour vacuum tube trains) est un vieux concept, connu des ingénieurs et remis à la mode par la créativité californienne. Le fils de Jules Verne anticipait déjà, dès 1889, ces transports par tubes pneumatiques lancés sous les océans à 1.500 km/h. Bien plus récemment, des Américains comme Daryl Oster ou Robert Salter, des sociétés telles que ET3 et Rand, rebondissaient : pourquoi ne pas utiliser ces trains à sustentation magnétique, comme celui qui relie l’aéroport de Shanghai-Pudong à la mégalopole chinoise en 7 minutes avec des pointes à 430 km/h, et les enfermer dans des sortes de gazoducs à basse pression, pour minimiser à la fois la friction et l’importante énergie exigée par la supraconductivité ? Dans la même veine, les Suisses furent tout près du but, avec l’ambitieux projet Swissmetro, qui devait flotter à 500 km/h à travers la Confédération dans des tunnels ad hoc. Ce train magnétique fut finalement torpillé pour des raisons politico-financières en 2009.

Un projet en ” open source ”

Comment ces projets pharaoniques sont-ils passés des romans de science-fiction aux logiciels de conception des start-up ? Grâce à la patte d’Elon Musk. En 2013, le visionnaire patron de SpaceX et Tesla est outré face au projet de TGV classique qu’entame alors la Californie : ” Comment cet Etat, fief de la Silicon Valley et des vols spatiaux de la Nasa, peut-il songer à un train à la fois si cher (60 milliards de dollars) et l’un des plus lents au monde ? ” s’étrangle-t-il. Ses équipes élaborent un projet, Hyperloop Alpha, censé couvrir les 380 miles séparant Los Angeles et San Francisco en une demi-heure (contre 7 h en voiture), avec des capsules sur coussin d’air, lancées toutes les 30 secondes. Son coût ? Six milliards de dollars dans une version à deux tubes d’acier, promet-il. Mais ne pouvant mener de front tous ses projets, Elon Musk ne dépose aucun brevet, et offre à qui veut de poursuivre ses propres travaux, sur la base de l’open source.

L’influence du gourou de Los Angeles a payé : au moins trois acteurs, concurrents entre eux, sont à présent sur la ligne de départ. Le plus avancé est Hyperloop One, qui espère transporter des marchandises à partir de 2020 et des passagers l’année suivante. Forte de 230 personnes, la firme californienne dirigée par Rob Lloyd, ancien dirigeant de Cisco, compte beaucoup sur les Emirats comme premier contrat, promettant un trajet Dubaï-Abu Dhabi en 12 minutes. Elle a déjà levé 160 millions de dollars, notamment auprès de General Electric, DP World (l’opérateur portuaire géant détenu par Dubaï)… et de la SNCF française, ravie de ce partenariat qui offre à ses équipes une nouvelle façon de travailler.

” On a tous entendu parler d’open innovation, mais avec Hyperloop One, on est dans l’étape d’après, tout est à inventer, juge Carole Desnost, directrice de l’innovation et de la recherche à la SNCF. C’est le système complet qui est à créer. Ils travaillent par impulsions très fortes et très disruptives, et le fait de ne pas anticiper tous les points bloquants les fait avancer plus vite. ” Sans faire de pronostic sur la viabilité commerciale du système, la SNCF et ses émanations (Keolis, Systra, Geodis) creusent des thèmes précis avec leur partenaire américain, comme le design des futures gares, la sécurité des systèmes guidés, ou la connaissance client. Pour autant, la révolution Hyperloop One n’est pas en avance sur le plan de marche. Le premier vrai test sur la piste du Nevada a été plusieurs fois repoussé. Et la longueur du tube d’essai ramenée de 3 km à 500 m, laissant augurer des tests nettement moins rapides.

A Los Angeles, son rival Hyperloop Transportation Technologies (HTT) est lui aussi actif. ” Depuis nos débuts, voici trois ans, les progrès ont été incroyables. Désormais, c’est clair que nous verrons apparaître des systèmes Hyperloop dans les années qui viennent “, jure-t-on au siège. L’idée initiale était de lancer la première ligne à Quay Valley, une écoville à créer entre San Francisco et Los Angeles. Pour ce transport public alimenté par éoliennes et panneaux solaires, pas question de 1.200 km/h en croisière, mais plus sagement de 300 km/h. Or la construction de cette cité de 25.000 logements a pris beaucoup de retard. D’où la promesse faite en janvier, à l’agglomération de Toulouse, d’édifier – avec aides publiques et don de terrain – un centre de R&D et une piste d’essai de 1 kilomètre, à un jet de pierre des hangars d’Airbus.

Car la grande spécialité de HTT, plus désargenté que son concurrent (il n’a levé que 32 millions de dollars en cash), est de faire travailler des ingénieurs extérieurs, non salariés. En échange de 10 heures par semaine, ces guest stars de Boeing, Apple ou Tesla reçoivent des stock-options de la société. Etats-Unis, Slovaquie, Inde, Emirats arabes unis, Indonésie, Russie : HTT négocie déjà une vingtaine de projets différents. ” Mais méfiance, il a la réputation de ne pas respecter ses engagements “, glisse un concurrent. A Toulouse, en tout cas, les premiers coups de pioche n’ont pas été donnés (on parle désormais d’une installation en 2018) et les pouvoirs publics sont bien peu bavards.

Troisième adepte du boyau métallique sur pilotis : le canadien TransPod, basé à Toronto. Son PDG et cofondateur est le Français Sébastien Gendron, un ancien d’Airbus et Bombardier. Après avoir levé 20 millions de dollars canadiens auprès d’un industriel italien, sa société espère rassembler 50 millions supplémentaires avant la fin de l’année, pour financer ses recherches. Car le document de 2013 d’Elon Musk était ” purement conceptuel “, selon son patron. ” Nous avons passé beaucoup de temps à refaire les calculs : on a abandonné son système de lévitation à air comprimé, nous sommes repassés comme les autres sur des systèmes de lévitation magnétique, passive ou active. Et notre système est plus grand que le sien pour que l’on puisse tenir debout dans le véhicule. Le seul point intéressant dans les travaux de Musk, c’est l’ajout du compresseur à l’avant, qui permet de s’affranchir de ‘l’effet piston’. “Après des discussions sur une possible ligne Montréal-Toronto, TransPod parle maintenant d’un tronçon d’essai près de Calgary (Alberta), qui pourrait être le premier maillon d’un corridor Calgary-Edmonton, mal servi par le train. ” De l’avis de tous les experts, le train roulant à 300 km/h a atteint ses limites, ajoute Sébastien Gendron. Cependant, je vois mal les gouvernements européens dépenser des milliards dans des projets type Hyperloop, contrairement aux pays qui n’ont pas pris le virage de la grande vitesse, comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie. ”

La sécurité en question

Au-delà d’un certain optimisme open source, typique de l’esprit Silicon Valley, les promoteurs du ” vactrain ” vont maintenant devoir surmonter des obstacles considérables. Affiner les prix de revient probablement sous-estimés (20 à 40 millions de dollars du km pour un retour sur investissement de huit à dix ans, selon HTT). Et surtout, répondre aux épineuses questions techniques que ne manqueront pas de soulever les régulateurs, face à ces véhicules qui ne rentrent dans aucune catégorie connue. Quel sera le confort à bord lors des accélérations de ces véhicules sans fenêtres ? Comment prévoir le comportement des capsules en cas de dépressurisation des tubes liée à une brèche accidentelle, voire un trou provoqué par un attentat ? Celui des tubes face à l’énorme dilatation du métal provoquée par la température extérieure ? Et surtout, comment évacuer les passagers en cas d’incident ?

Toute la réglementation reste donc à écrire. Du côté d’Hyperloop One, on ne s’émeut pas plus que ça de cette perplexité : ” Après tout, un avion n’est pas autre chose qu’un tube d’aluminium de 4 m de large, qui vole à 800 km/h et à 9.000 m du sol “. Et pour les 3,5 milliards de passagers annuels qui font confiance au transport aérien, ça ne marche pas si mal…

DENIS FAINSILBER/ LES ÉCHOS DU 23/05/2017

“Je vois mal les gouvernements européens dépenser des milliards dans des projets de type Hyperloop, contrairement à tous les pays qui n’ont pas pris le virage de la grande vitesse, comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie.” Sébastien Gendron, PDG de TransPod

Comment ces projets pharaoniques sont-ils passés des romans de science-fiction aux logiciels de conception des start-up ? Grâce à la patte d’Elon Musk.

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