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La mort à crédit d’un modèle

En filigrane de la divergence de taux d’intérêt entre les pays forts et faibles de la zone euro, c’est l’homogénéité des politiques économiques des Etats membres qui est interpelée

Depuis l’alerte de solvabilité grecque, les spreads de crédit (qui mesurent la perception de la solvabilité) sont devenus désordonnés. Les marchés ne s’y trompent pas. L’incident grec rappelle que certains Etats de la zone euro, les Etats-Unis et l’Angleterre se sont fortement endettés depuis deux ans : les déficits budgétaires abyssaux se conjuguent avec des endettements publics stratosphériques, que rien ne semble arrêter à court terme. Moody’s prévoit que les dettes publiques auront été multipliées par deux entre 2007 et 2010, 80 % de l’endettement émanant des pays du G7.

En filigrane de la divergence de taux d’intérêt entre les pays forts et faibles de la zone euro, c’est l’homogénéité des politiques économiques des Etats membres qui est interpelée. Au travers des conditions du Traité de Maastricht, l’euro postulait la cohésion des économies européennes. Or ces dernières en restent éloignées. Les facteurs de désynchronisation sont nombreux : géographies et modèles de croissance antagonistes, absence de fiscalité et de budget fédéral européen, accès divergents aux marchés des capitaux, disparités des systèmes sociaux, mécanismes de pensions hétéroclites, pressions inflationnistes antinomiques, différentiels démographiques, etc.

Les unions monétaires ne sortent jamais indemnes des grandes crises. En effet, les ancrages de devises sont bâtis en haute conjoncture. Et, surtout, ils exigent une convergence économique qui est justement ébranlée par le manque de rigueur budgétaire découlant des crises financières. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la fragilisation financière de certains Etats ne soit que le symptôme budgétaire d’un mal européen plus important : les insoutenables systèmes de répartition sociaux et des endettements hérités des années 1980.

Des Etats, situés aux confins de l’Europe, vont suffoquer sous la discipline de la monnaie unique. Pour autant, ils n’abandonneront pas l’euro car ce serait un pari inacceptable, équivalent à une terrible dévaluation et proche d’un choix d’hyperinflation. Les autorités européennes s’y opposeront.

La Belgique n’est, quant à elle, pas concernée par des dérives potentielles. Le Royaume est un des pays fondateurs du Système monétaire européen, ancêtre de l’euro. Notre économie est géographiquement enclavée entre des économies fortes : la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Ces trois pays sont les principaux partenaires de l’économie nationale. Pourtant, les années prochaines ne seront pas apaisées car les perspectives économiques sont préoccupantes.

L’euro n’a pas escamoté les problèmes belges, à savoir un endettement public hérité des années 1970 et anémié de keynésianisme. Ces problèmes sont, au mieux, dilués dans des agrégats économiques d’une échelle supérieure, c’est-à-dire à l’échelon européen. Ce sont d’autres pays, aux armatures financières plus solides, qui ont accepté que la Belgique soit le passager clandestin de leurs politiques budgétaires. L’euro a donc constitué un effet d’aubaine pour le Royaume.

Il est donc crucial de réaliser la discipline à laquelle la monnaie unique nous astreint. Dans les années 1990, son adoption espérée avait imposé au pays un régime de rigueur. Durant les 10 prochaines années, sa solidité en requerra une gestion budgétaire à la hauteur des ambitions d’une nation qui s’impose la prospérité. L’euro protégera le patrimoine de la Belgique, mais ce sera au prix d’une discipline fiscale accrue et d’un modèle social repensé. Le déni de réalité et les espoirs providentiels ne nous seront plus autorisés. Il y a quelques mois, le Conseil supérieur des finances faisait l’aveu qu’il n’y a pas de miracle, ni de salut budgétaire à attendre d’une reprise cyclique. Il est difficile d’être plus clair.

Les prochaines années constitueront le véritable test de résistance de la monnaie unique. La crise révèle l’ambiguïté inhérente à la monnaie unique : l’euro est un choix d’économie de marché et de mobilité des travailleurs, alors que le poids des pouvoirs publics dans l’économie communautaire est excessif. Dans tous les cas de figure, l’avenir monétaire sera surprenant. Il sera pétri d’ajustements, d’inflation, d’amortissements de dettes et autres prélèvements fiscaux.

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