La fin accélérée des moteurs thermiques

Les grands groupes mondiaux révisent spectaculairement à la hausse depuis quelques semaines leurs ambitions dans la mobilité électrique. En Europe, la chasse au CO2 et la future norme Euro 7 les dissuadent d’investir dans le moteur à combustion.
Le basculement est spectaculaire. Longtemps réticents à adopter la voiture électrique, les constructeurs automobiles ne jurent désormais plus que par la batterie et semblent avoir résolument décidé d’y croire. Plusieurs d’entre eux voient même le pur lithium-ion représenter la majorité, sinon la totalité de leurs ventes à plus ou moins brève échéance.
Le premier grand généraliste à dégainer fin janvier a été General Motors qui ne proposera plus que des véhicules 100% électriques (VE) à compter de 2035. Jusqu’alors, seul le beaucoup plus petit Volvo avait osé un tel calendrier, qu’il vient même de ramener à 2030. Mi-février, Jaguar Land Rover a annoncé la conversion totale de la marque au félin dès 2025, et une proportion de 60% de VE dans les ventes de Land Rover en 2030. Ford ne proposera plus que des voitures 100% électriques en Europe dès 2030. BMW a de même annoncé la fin des moteurs thermiques pour sa marque Mini en 2030, tout en doublant les prévisions de ventes de voitures à batterie du groupe à cette échéance.
Multiplier les annonces sur l’électrique est également une manière de soutenir le cours de Bourse, au moment où Tesla hypnotise les investisseurs.
Conversion radicale
Mais c’est surtout le grand virage de Volkswagen qui a frappé les esprits. Le géant allemand, qui représente à lui seul un tiers du marché européen avec ses 12 marques (VW, Porsche, Audi, Seat, Skoda, etc.) estime désormais que les VE représenteront 60% de ses ventes en Europe à la fin de la décennie, et 50% au niveau mondial. Soit, deux fois plus qu’auparavant. Une conversion pour le moins radicale.
« Rien qu’avec les annonces historiques de ces dernières semaines, on arrive à près de 4 millions de voitures électriques en 2030 en Europe, sur la base des chiffres de 2019, calcule Matthias Schmidt, analyste indépendant basé à Berlin. En comptant les autres constructeurs, comme Stellantis, Renault ou encore Tesla, je ne serais pas surpris que l’on arrive à 9 millions, soit 60% de pénétration du VE en 2030 sur le Vieux Continent. » Un objectif inimaginable il y a quelques mois, lorsque les plus optimistes visaient 50%.
Cette cascade d’annonces n’est pas due au hasard. Certains groupes ont compris qu’ils ne pouvaient pas se contenter de demi-mesures. « Pour bénéficier pleinement de la bascule vers l’électrique, il ne faut pas des petits pas, mais changer d’écosystème, avance Markus Collet, associé chez CVA (Corporate Value Associates). C’est le sens du projet de Volkswagen. » Multiplier les annonces sur l’électrique est également une manière de soutenir le cours de Bourse, au moment où Tesla hypnotise les investisseurs.
Le moteur thermique bientôt banni dans plusieurs pays
Mais si les constructeurs européens se convertissent de manière accélérée au lithium-ion, c’est aussi et surtout parce que l’horizon réglementaire du moteur thermique s’est singulièrement obscurci ces derniers mois, en particulier en Europe. Les interdictions pures et simples, tout d’abord, se multiplient. La Norvège compte interdire dès 2025 la vente de voitures neuves dotées de moteurs à combustion. Le Royaume-Uni va l’imiter en deux temps (2030 puis 2035). Les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la France sont sur la même pente ( la Belgique également avec, par exemple, l’interdiction à Bruxelles du diesel dès 2030 et de l’essence en 2035, Ndlr).
Mais la pression vient aussi de l’Europe. Le Green Deal, projet qui vise à amener l’Union à la neutralité carbone en 2050, affecte évidemment l’industrie automobile. La Commission réfléchit à haute voix à une interdiction des moteurs thermiques sur les nouveaux modèles en 2035. Mais cette échéance pourrait survenir de facto des années plus tôt.
Les constructeurs doivent déjà respecter depuis l’an dernier un plafond moyen d’émissions de CO2 pour les véhicules neufs qu’ils immatriculent dans l’Union. Ce plafond va continuer à descendre: en 2030, les émissions de CO2 devront être réduites de 37,5% par rapport au niveau de 2021, avec un point d’étape de – 15% en 2025.
Et tous les experts anticipent un nouveau tour de vis dans les mois à venir. « La Commission va très probablement porter de -37,5 à -50% l’objectif de réduction pour 2030 », avance Romain Gillet, responsable des prévisions powertrain pour l’Europe chez IHS Markit. Les industriels ont fait leurs calculs: pour y parvenir, la part du 100% électrique et des hybrides rechargeables devra atteindre environ 70% des ventes.
A cela s’ajoute la définition de la future norme Euro 7. Celle-ci vise, comme les précédentes, à limiter les émissions de polluants des moteurs essence et diesel. Mais les industriels se plaignent que la marche s’annonce particulièrement haute. « Les hypothèses sur la table durcissent le niveau d’émissions autorisé, mais aussi les conditions de mesure, déplore l’un d’entre eux. Cette addition de contraintes va se traduire par des surcoûts très importants. »
Les constructeurs sont donc pris entre deux feux: d’un côté, de gros investissements pour atteindre la norme euro 7 à partir de 2025-2026 (date à laquelle elle devrait s’appliquer), avec des voitures diesel et essence qui coûteront plus cher à fabriquer. De l’autre, des objectifs CO2 qui réduiront à la portion congrue les ventes de ces motorisations à partir de 2030.
Pour sortir de cette impasse, les entreprises choisissent donc de pousser les feux sur l’électrique, en sacrifiant tout ou partie de leurs futures modèles thermiques. Des décisions qu’il faut prendre dès maintenant. « 2030, ça peut paraître loin, mais un tel renouvellement de gamme demande six à huit ans de préparation », explique Romain Gillet.
« Le mirage de la solution unique »
Cette fin anticipée du moteur thermique est une bonne nouvelle pour la planète… à condition qu’elle soit soutenable. « Nous ne contestons pas la tendance, mais attention au mirage de la solution unique, prévient Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile, le principal représentant des industriels du secteur en France. Il n’y a, à ce stade, aucune certitude que l’électrique, même appuyé par l’hydrogène, puisse couvrir tous les cas d’usage. Il y a également une question de rythme: attention à ne pas déstabiliser à l’excès la filière moteurs, qui représente 55.000 emplois en France. »
Autre question majeure: les clients suivront-ils? La norme Euro 7 s’appliquera à tous les véhicules quelle que soit leur taille, ce qui poussera à la hausse les prix des petits modèles, et amènera sans doute certaines marques à ne plus proposer que de l’électrique sur ces segments. Face à ce rétrécissement de l’offre, les acheteurs qui auront toujours des réticences sur les voitures à batteries risquent de repousser le moment où ils changeront de voiture.
60%
Selon des experts, ce sera la part de véhicules électriques en 2030 sur le Vieux Continent.
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